Le président du parti « Les Républicains », Nicolas Sarkozy, vient d’annoncer son intention, s’il était de nouveau élu président de la République, de faire construire 20.000 nouvelles places de prison. Cette proposition est à contrecourant de l’évolution constatée dans le monde occidental.
La construction de nouvelles places de prison s’inscrit dans un programme sécuritaire qui inclut aussi la création d’un grand ministère de la sécurité intérieure regroupant police, administration pénitentiaire et douane. L’accent serait mis sur la répression aux dépens de la réinsertion.
Ce qui est troublant, c’est le fait que la France emprunterait ainsi un chemin contraire à celui de la plupart des pays occidentaux. Le 5 novembre, le Justice Secretary du gouvernement conservateur britannique, Michael Grove, a ainsi déclaré qu’il « souhaite voir le nombre de personnes incarcérées diminuer ».
Aux Pays-Bas, vingt-six prisons vont être fermées dans les cinq ans à venir, s’ajoutant aux huit qui l’ont été depuis 2009. Pour atténuer l’effet de ce mouvement sur l’emploi du personnel pénitentiaire, la prison de Tilburg héberge depuis cinq ans 500 détenus belges, et une convention vient d’être signée avec la Norvège pour l’hébergement dans la prison de Norgerhaven de 250 détenus de ce pays.
En Finlande, la population carcérale a diminué des deux tiers depuis les années 1970, sans incidence sur le taux de criminalité. En Suède, on ferme des prisons.
Même les États-Unis reviennent sur le « tout-carcéral »
Et ce mouvement atteint aussi les États-Unis, pays pourtant champion du monde de l’incarcération (710 détenus pour 100.000 habitants, contre 123/100.000 en France). Le Gouverneur de l’État de New York, Robert Cuomo, a déclaré en octobre vouloir moins de prison et plus de compassion. Et ce ne sont pas moins de sept prisons qui ont été fermées depuis quatre ans dans cet État. L’opinion publique commence à douter de la pertinence du tout-carcéral, de la même manière qu’elle se détache, peu à peu, du dogme de la peine de mort.
Dans le monde occidental, le vent souffle dans le sens de limiter la peine de prison aux délits et aux crimes les plus graves, et à mettre en place des peines alternatives pour les autres. Les raisons en sont multiples.
Les effets pervers de la prison
Il y a d’abord la prise en considération des effets pervers de la prison. L’incarcération prive le prévenu ou le condamné de son travail et de sa famille. Elle lui impose un sceau d’infamie, le rend suspect dans la société et indigne à ses propres yeux (sauf dans le cas de la grande délinquance, pour laquelle le passage en prison vaut décoration). Elle inflige au conjoint et aux enfants une souffrance et réduit les ressources familiales avec le risque d’obérer les chances des enfants et d’ouvrir la voie à la délinquance. Elle le met en contact avec de grands délinquants et facilite son intégration dans des bandes criminelles à sa sortie de prison.
Le maintien d’un prévenu ou d’un condamné dans son milieu, assorti d’obligations et d’interdictions à respecter, évite ces pièges. Les études menées en France et à l’étranger montrent qu’il réduit le risque de récidive.
Le coût budgétaire de la prison
Plus peut-être qu’à l’aspect contreproductif de la prison, les milieux conservateurs occidentaux sont sensibles au coût de la prison. Il se situe en France autour de 100€ par détenu et par jour, alors que le suivi en milieu ouvert est beaucoup moins onéreux, même après avoir sensiblement accru les moyens des services qui en sont chargés. C’est ainsi qu’en Grande-Bretagne par exemple, la fermeture de prisons s’inscrit dans un programme massif d’économies budgétaires.
Les positions prises par le président du parti « Les Républicains » s’avèrent donc rétrogrades, non seulement par rapport à la politique judicaire du gouvernement actuel (loi Taubira de 2014 instaurant la contrainte pénale), mais aussi par rapport à celle menée en occident par des gouvernements conservateurs.
Regarder hors de l’Hexagone
Pourquoi cette incongruité ? Elle s’explique largement par la décision stratégique de disputer le terrain des peurs sécuritaires au Front National, au risque que ce dernier dicte l’agenda et les thèmes de toute la droite française. Elle découle aussi de la nature de l’entourage de l’ancien président de la République, dans lequel les milieux policiers tiennent une place importante.
Plus que jamais, il faut éviter une vision hexagonale des questions de société. Regarder ce qui se passe ailleurs, dans des pays semblables aux nôtres, peut nous éviter de faire collectivement des choix erronés et lourds de conséquence pour l’avenir.
Xavier,
Lis bien la deuxième ligne de l’avant dernier paragraphe (en dessous de « regarder en dehors de l’Hexagone » et tu y verras le nom en question.
Exact Benoît, tu est meilleur lecteur de mes articles que moi-même !
Si l’argument de ce que la droite française cherche à disputer le thème de la sécurité au Front National était éculé, nous en serions tous ravis…
Le problème est que le FN a depuis longtemps cessé de recruter à droite: il capture des électeurs qui votaient à gauche!
Sur les thèmes de justice et de sécurité, qui sont quand même les piliers de notre système démocratique, il me semble que le débat mérite de dépasser les anathèmes que se lancent la droite et la gauche.
Ah, Xavier, nous-y revoilà.
Je respecte ton point de vue mais n’y adhère pas. Du moins pas sans discussion plus approfondie.
1.Il y a peut-être une erreur de raisonnement lorsque tu dis que certains pays renoncent à la prison car ils réduisent le nombre de prisons. C’est peut-être simplement que, leur taux de criminalité ayant diminué, il y a moins de condamnés.Si tel est le cas, il serait en effet intéressant de voir comment ces pays sont parvenus à faire diminuer la criminalité.
2. Tu préconises l’abandon des peines de prison. Bien. Mais par quoi les remplaces-tu? Abandonnes-tu toute notion de « peine », c’est-à-dire sanction?
3. Tu parles du coût budgétaire de la construction de prisons puis de l’entretien des prisonniers. Bien. Mais évalues-tu le coût, en personnel notamment, des peines alternatives ?
4. Le soupçon, ou même l’accusation, de tout contradicteur de « faire-le-jeu-du-FN » commence à être très éculé.
Bref, il y a encore du grain à moudre sur ce sujet si on veut l’aborder sans simplisme, démagogie ou bisounoursisme.
Tibi
Merci Benoît,
Non, je ne préconise pas l’abandon des peines de prison. La privation de liberté doit rester dans l’arsenal des peines disponibles. Mais infliger à un condamné un ensemble d’interdictions et d’obligations (dont celle d’indemniser les victimes) constitue aussi une peine, une sanction.
En ce qui concerne le lien entre taux de criminalité et taux d’incarcération, il faudrait en effet amener des chiffres comparatifs par pays. J’ai en mémoire un article lu récemment où un responsable de la Justice en Finlande parlait d’un taux de criminalité relativement stable et d’un taux d’incarcération en très forte baisse sur trois ou quatre décennies.
J’ai vu des chiffres très nets (concernant la Grande Bretagne en particulier) sur la différence de coût entre l’incarcération et la « probation ». je m’efforcerai de les retrouver.
La référence au Front National est absente de mon article, même en filigrane. C’est la position du président de « Les Républicains » que je discute.
Amicalement
« Bisounours »