Le désert des Tartares

Dans le Désert des Tartares, publié en 1940, Dino Buzzati (1906 – 1972) offre aux lecteurs une puissante méditation sur le temps qui passe.

 « Quel est le livre qui a changé votre vie ? » demande souvent François Busnel dans « la grande librairie » sur France 5. Ma réponse est « Le désert des Tartares » de Dino Buzzati, que j’ai lu pendant ma période italienne (1997 – 2000). Au mitan de ma vie, il m’a fait prendre conscience de ma condition d’homme vieillissant et mortel, et aussi de la tragique beauté de cette condition.

Jeune officier, Giovanni Drogo est nommé à la Forteresse Bastiani, un fortin encastré dans une chaine de montagnes, face à une plaine immense et désertique d’où pourraient déferler les redoutables Tartares. Drogo n’a qu’une hâte : obtenir sa mutation en ville, où l’attendent sa famille, sa presque fiancée, les plaisirs de la ville et la certitude d’une belle carrière.

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Image du film de Valerio Zurlini, « le désert des Tartares », 1976

 Il promet de rester quatre mois, seulement quatre mois. Mais au terme convenu, il ne peut se résoudre à partir. Pourquoi ? Giovanni Drogo s’attache à l’espoir qu’un jour les Tartares attaqueront et qu’alors il se couvrira de gloire. Mais il y a aussi « la torpeur des habitudes, la vanité militaire, l’amour domestique pour les murailles quotidiennes ». Drogo est encore jeune. « Tout le bon de la vie paraissait l’attendre. À quoi bon se presser ? »

 La situation se dégrade à la forteresse. L’État-major la considère comme quantité négligeable et réduit les effectifs. Après quatre ans de séjour, Drogo obtient une longue permission, mais en ville tout a changé ; c’est désormais dans les montagnes inhospitalières et le fortin à moitié en ruines qu’il se trouve chez lui. « Le fleuve du temps passait sur la forteresse, mais sur Drogo il passait en vain ; il n’avait pas encore réussi à l’agripper dans sa fuite ».

Guiliano Gemma
Image du film de Valerio Zurlini, « le désert des Tartares », 1976

 Drogo rêve que des fantômes viennent chercher son compagnon Angustina et l’emmènent vers l’abysse. Et c’est bien ce qui se passe. Il meurt héroïquement de froid pendant une reconnaissance de frontière. Angustina était d’un sérieux excessif, il avait une extrême volonté de plaisanter, « de faire voir que lui, Angustina, n’avait besoin de la pitié de personne ». Sur le visage d’Angustina mort, on reconnait un sourire.

 Drogo prend enfin conscience que le temps a passé et qu’il ne se rattrape plus. Sur le chemin escarpé qui monte à la forteresse, un jeune officier à cheval l’interpelle, exactement comme il avait interpellé le Capitaine Ortiz vingt-cinq ans auparavant.

 Le destin est cruel avec Giovanni Drogo. Il a maintenant 54 ans, il est rongé par la maladie et cloué au lit, alors que, finalement, les Tartares vont attaquer et que la grande occasion se présente. Il est renvoyé de la forteresse pour se soigner. Sa vie apparait comme un gigantesque gâchis.

 Giovanni se trouve seul dans une auberge, seul et désespéré. Il comprend qu’il va mourir. Son heure n’est jamais venue. Il ne fera jamais butin de gloire. Le temps, qui lui semblait jadis une richesse inépuisable, se compte maintenant en heures, peut-être en minutes.

 Pourtant, il est décidé à faire face en soldat à l’échec et à l’humiliation. « Courage, Drogo, va à la rencontre de la mort en soldat, et que ton existence ratée finisse bien. Venge-toi de ton sort. Nul ne chantera tes louanges, mais c’est justement pour cela que ça vaut la peine. »

 Dans l’obscurité, bien que personne ne le voit, il sourit, comme Angustina, le héros.

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Dino Buzzati, dessiné en 1938 par Alfred Seckelmann

 

 

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