Encore heureux

Avec « Encore heureux », Benoît Graffin réalise un film étrange et troublant, qui amène le spectateur à prendre le parti d’une famille qui se met hors-la-loi.

« L’honnêteté, c’est un concept inventé par les riches pour que les pauvres ferment leur gueule », dit Madeleine (Bulle Ogier) qui est partie en maison de retraite pour que sa fille Marie (Sandrine Kiberlain), son mari et leurs deux enfants puissent emménager dans son studio dans un quartier chic de Paris.

Depuis deux ans, Sam (Édouard Baer), qui fut cadre supérieur, cherche du travail, ou fait semblant d’en chercher car le découragement l’a plongé dans la dépression. Les dettes s’accumulent au point qu’arrive un avis d’expulsion. Sam croit avoir trouvé la solution : revendre sur internet les objets qu’il récupère dans la benne à ordures en face de chez eux, transformée par son imagination fertile en « pompe à fric ». La chance lui sourit : il vend plus de dix mille euros une lampe Gallé abandonnée dans cette décharge.

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En fait, la lampe provient de l’appartement de la voisine d’en-dessous, une femme seule, âgée et acariâtre qui a la faiblesse de laisser Alexia (Carla Besnaïnu) répéter sur son piano en prévision d’un concours. La voisine meurt inopinément, laissant à portée de main dans son coffre ouvert un trésor qui résoudra d’un coup de baguette magique toutes les difficultés de la famille.

Dans « Encore heureux », les gens honnêtes sont odieux, qu’il s’agisse de la vieille voisine ou de la concierge qui, par mesquinerie, n’hésite pas à dénoncer les voleurs. Toute la sympathie va à Marie, Sam, Alexia et Clément, à cause de leur malheur, qui fait dire à Marie « on est la risée du quartier, même Hollande on le regarde avec plus de respect. » On les aime aussi pour leur folie, la folie de Sam qui croit faire fortune sur un tas d’ordures, celle d’Alexia qui croit triompher à un concours de piano sans un instrument à elle sur lequel s’entraîner, celle enfin de Marie qui reste amoureuse de son homme, bien qu’elle rêve d’un riche sarkozyste qui lui donnera enfin l’abondance et que cet homme, elle l’a presque trouvé en la personne d’un beau ténébreux (Benjamin Biolay).

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Enfin, on aime cette famille parce qu’elle est solidaire, qu’elle se serre les coudes, que Clément (Mathieu Tortoling) est prêt à recevoir sans broncher une gifle de sa mère pour lui permettre de faire diversion et de passer à la caisse d’un supermarché sans payer, que Marie rêve tout simplement d’avoir un jour une carte bleue.

Sam, dit Édouard Baer, est « un personnage qui peut agacer au départ : quelqu’un qui ne peut ou ne veut pas voir la réalité en face. En quoi vous touche-t-il ? Même s’il est cassé à l’intérieur, même si les choses sont mal engagées avec sa femme, lui continue par amour à faire comme si… Sam est soutenu uniquement par la force de ses sentiments et en cela il est très émouvant. Il n’y a plus de vernis social, plus de travail, plus d’argent mais les sentiments qui lient cette famille restent les plus forts et vont les faire rebondir ».

Le spectateur est donc conduit prendre émotionnellement le parti des voleurs. Peut-être est-ce pour le réalisateur une manière de dire que le plus grand vol n’est pas celui commis pour quelques pommes dans un supermarché, mais celui d’une société qui frustre des hommes et des femmes de la possibilité de travailler et de gagner honnêtement leur vie.

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