Procès d’Assises

L’approche d’un procès d’assises constitue pour une personne détenue, et pour son visiteur, un moment de vérité.

 Cet article est écrit à partir de l’expérience de visiteurs de prison membres de leur association nationale, l’ANVP. Il est illustré par Serge Marty, ancien visiteur du centre pénitentiaire de Bordeaux Gradignan, qui a voulu restituer par la peinture ce qu’il avait vécu auprès de détenus pendant de nombreuses années.

Un groupe de visiteurs réfléchit sur la question posée par l’un d’entre eux. Il visite depuis près de trois ans un homme accusé d’avoir tenté d’assassiner son ex-épouse. Au fil des mois, une relation d’estime et même d’amitié s’est nouée entre le visiteur et le prisonnier. En première instance, ce dernier a été lourdement condamné aux Assises. En prévision de son jugement en appel, il sonde son visiteur : accepterait-il de témoigner en sa faveur ?

160401_Serge_Marty_4_Avant_Jugement
Serge Marty, l’accusé à la veille du jurgement

Le visiteur aurait en effet des choses à raconter aux jurés et au juge, des situations que le prisonnier lui a rapportées au fil des semaines et des mois : comment il encourage un codétenu à suivre des cours et comment il l’aide dans ses devoirs. Comment il tempère les ardeurs de jeunes tentés par une interprétation radicale de la religion musulmane. Comment il écrit régulièrement à ses filles, au risque de ne pas recevoir de réponse. Comment il participe à un groupe de parole organisé par un psychologue pour des auteurs de violences, comment ces séances mettent des mots sur des frustrations, comment elles désarment les pulsions de mort.

Un autre visiteur déconseille à son collègue de témoigner aux Assises. Il lui est arrivé d’assister, dans le public, à un procès où était jugé un accusé qu’il visitait. Les faits reprochés étaient atroces et crapuleux, très éloignés du récit édulcoré qu’en faisait son interlocuteur lors de leurs rencontres hebdomadaires au parloir de la maison d’arrêt.

160401_Serge_Marty_2_Victime
Serge Marty, victimes

Rencontrer le mensonge fait partie du quotidien du visiteur de prison. Beaucoup d’auteurs de crimes abominables se réfugient dans le déni, racontent à leur manière ce qui s’est passé et parfois finissent par se persuader eux-mêmes de la contrefaçon qu’ils ont forgée. C’est un rempart qu’ils édifient autour d’eux. S’il s’écroule, ils peuvent s’effondrer, se disloquer et ne trouver d’issue que dans la mort qu’ils s’infligent. Le visiteur doit apprendre à vivre avec ce mensonge–rempart : ce n’est pas un affront personnel que lui fait le détenu. C’est une carapace qui le protège, mais aussi l’empêche d’avancer. Le visiteur devrait être en mesure de faire comprendre calmement à son interlocuteur qu’il n’est pas dupe et qu’il est disponible pour en parler, s’il le souhaite et quand il le souhaitera.

Au visiteur, témoigner aux Assises ferait donc courir le risque de découvrir, lors de l’exposé du crime commis, un versant noir de la personnalité de celui qu’il a accompagné pendant de longs mois. C’est même la crédibilité de son témoignage qui serait en cause. Faut-il courir ce risque ? Le visiteur l’acceptera s’il pense que moralement il doit témoigner, s’il ressent que s’abstenir serait lâche. Il l’acceptera s’il croit que ce que le détenu lui a raconté au fil des semaines sur son comportement en détention est véridique.

160401_Serge_Marty_5_Detention
Serge Marty, en détention

La discussion du groupe de visiteurs s’engage alors sur l’expérience que deux d’entre eux ont fait de la Cour d’Assises en tant que jurés. Ce qu’ils en racontent est contradictoire. L’un d’eux a vécu ces journées de manière positive. Il a été frappé par le désir des jurés de comprendre le crime, son auteur et sa victime, et par le savoir-faire du juge dans le questionnement des jurés. L’autre, une femme, a ressenti fortement le caractère écrasant de la procédure et du cérémonial judiciaires, l’absence d’empathie à l’égard de l’accusé, le peu de place réservé à la victime. Elle voudrait s’engager pour une justice alternative.

160401_Serge_Marty_Visiteurs
Serge Marty, les visiteurs de prison et les détenus visités

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *