A Londres, la critique accueille avec enthousiasme la sortie du film d’Eugène Green, la Religieuse Portugaise, tourné en 2008.
Nous avons vu « La Religieuse Portugaise » le lendemain du « Cygne Noir ». A la frénésie hallucinatoire de celui-ci répond la longue méditation mystique de celle-là.
Lucie, une jeune comédienne française avec des origines portugaises (Leonor Balque), vient à Lisbonne tourner un film inspiré de la Religieuse Portugaise, un roman qui narre l’amour impossible d’un officier français et d’une nonne au dix-septième siècle. Elle décide de s’imprégner totalement de l’ambiance de cette ville remplie d’histoire, de nostalgie et de sentimentalité qu’elle ne connait pas. Le film épouse le rythme de sa découverte, les yeux grands ouverts, silencieuse, envoûtée : il y a de longs plans sur la ville et sur le Tage, de longs plans sur des visages qui trahissent une émotion ou sur des pieds hésitants, des fados filmés sans coupure dans l’émotion des mots et des guitares.
Lucie est à un tournant de sa vie. Elle vit de passions charnelles et de chagrins. Elle aspire à quelque chose de nouveau. Au détour d’une ruelle, elle rencontre Vasco, un gamin de six ans à l’abandon. Au sortir d’un restaurant, elle se lie avec un aristocrate désespéré, qu’elle sauve du suicide sans presque s’en apercevoir. Elle est fascinée par une jeune religieuse qui, chaque nuit, prie dans une chapelle, le visage radieux. La femme affamée de rencontres physiques et la vierge mystique se parlent d’amour, du Dieu emprisonné au plus profond de leurs corps et dont elles font le siège comme d’une forteresse. On sent, présent dans leur dialogue glacial et brûlant, l’esprit de Thérèse d’Avila.
Les acteurs parlent avec la lenteur, la froideur et la préciosité de personnages de Truffaut. Il y a dans ce film une recherche sur le langage d’autant plus élaborée qu’elle se joue sur deux langues, le portugais et le français, toutes deux parlées de façon soutenue, impeccable jusque dans les liaisons. Eugène Green est un américain qui a fait du français sa langue de travail, au cinéma comme dans la littérature. Il a aussi appris le portugais. De la perfection de la langue de l’autre, les personnages semblent attendre une parfaite altérité, celle de Dieu peut-être.
La Religieuse Portugaise est un film atypique, invraisemblable, lourd de beauté intériorisée. Il nous ajuste à son rythme, celui d’une méditation où Lisbonne n’est pas un décor mais un acteur à part entière. Nous nous sentons peu à peu habités, apaisés, conquis.
Illustration : Leonor Balque dans La Religieuse Portugaise.