À la suite des atroces attentats de Nice et Saint Etienne du Rouvray, ceux qui réprouvent la prolongation de l’état d’urgence sont taxés d’angélisme. Cet angélisme, je le revendique fièrement.
Face aux actions terroristes, la première réaction spontanée est le désir de vengeance. Il faudrait frapper fort, intimider, écraser, éradiquer. George W. Bush avait adopté cette position à la suite du 11 septembre, avec le Patriot Act, la généralisation de la torture et l’invasion de l’Irak. Il ne semble pas que son action ait apporté la paix au Proche-Orient.
La droite française, les yeux fixés sur sa primaire pour l’élection présidentielle, se livre à une surenchère : « tout ce qui aurait dû être fait depuis dix-huit mois ne l’a pas été » (Nicolas Sarkozy), « si tous les moyens avaient été pris, le drame de Nice n’aurait pas eu lieu » (Alain Juppé). Qu’aucune des mesures répressives proposées n’aurait permis de détecter les intentions du tueur de Nice et d’empêcher son crime ne la décourage pas : ce qui compte, c’est de crier plus fort que ses rivaux.
Et l’ancien président de la République de proposer, notamment, la mise sous bracelet électronique ou le placement en centre de rétention de « l’ensemble des personnes fichées S ». L’abus de droit n’est pas loin : il ne s’agirait plus de punir les auteurs d’actes illégaux ; mais de neutraliser ceux qui pourraient, un jour, commettre de tels actes. On est certes loin encore de la situation en Turquie, où l’état d’urgence permet de garder à vue sans limite des magistrats, des enseignants et n’importe quel opposant. Mais l’état d’esprit est le même. Notons que, dans le domaine des crimes de droit commun, la « rétention de sûreté » adoptée durant la présidence Sarkozy s’inspire du même principe : garder sous les verrous des personnes ayant acquitté leur dette envers la société en raison de leur dangerosité supposée.
En France, l’état d’urgence a été renouvelé pour six mois. La justice a la main de plus en plus lourde, et le nombre de détenus atteint un sommet historique, en particulier celui des personnes placées en détention provisoire dans l’attente de leur jugement. La crispation s’installe, et c’est exactement le résultat qu’escomptent les islamistes radicaux : monter une partie de la population contre l’autre, créer un climat de guerre civile entraînant des personnes de religion musulmane dans leur projet mortifère.
Les personnes qui commettent ou préparent des crimes terroristes doivent être punies conformément à la loi. Des préconisations de bon sens, comme la fusion des services de renseignement et une meilleure coopération internationale dans ce domaine, doivent être mises en œuvre avec énergie.
Mais la dynamique de la montée de la violence d’État opposée à la violence terroriste doit céder la place à un travail de pacification en profondeur de notre société. L’argent investi dans la construction de nouvelles places de prison devrait l’être au contraire dans la prévention de la délinquance, la médiation et la justice restaurative. Il faudra se fixer des objectifs parallèles de réduction des taux de réitération de délits ou de crimes d’une part, de diminution du nombre de détenus d’autre part. Il faudra imaginer une approche de la « déradicalisation » davantage centrée sur le rétablissement de la communication et des liens affectifs avec la société que sur la répression et la mise à l’isolement.
Ceux qui défendent cette vision, minoritaire dans l’opinion, sont volontiers accusés de cécité, d’idéalisme, d’irréalisme. Mais qu’est-ce qui est irréaliste ? L’idée que la répression suffira à éradiquer le cancer terroriste est-elle réaliste ?
Oui, nous sommes « en guerre ». Mais ne nous trompons pas d’ennemis : nous devrions être en guerre contre le sentiment d’exclusion que vivent beaucoup de jeunes issus de l’immigration (et pas seulement eux) ; contre les préjugés et l’intolérance ; contre le racisme ; pour le soutien personnel aux jeunes égarés dans l’extrémisme ; pour le dialogue des religieux entre eux et avec les athées ; pour la remise en route de « l’ascenseur social ».
L’exploitation des peurs et l’appel à plus de répression confortent l’extrémisme dans son projet et nourrit une spirale de plus en plus destructrice. Il nous faut être réalistes et tisser de nouveau du lien social dans un esprit de paix. Vive l’angélisme !