Dans « A la cárcel » (en prison), roman publié en Argentine en 2017 et récemment traduit en français sous le titre « sur un os », l’écrivain Chilien Ricardo Elías propose un récit déjanté, à la fois drôle et tragique, dans les murs d’un pénitencier au Chili.
Lalo Cartagena, détenu depuis cinq ans pour un crime qu’il ne reconnaît pas (« le coup de feu est parti tout seul… »), ne supporte plus la prison. Avec l’aide de codétenus, il décide de l’évader en creusant un tunnel. Ses assistants se prénomment Boticeli (d’après le peintre) ou encore Yanclot (probablement une déformation de Jean-Claude).
La première partie du roman s’apparente à un conte de fées. Le détenu en recherche de cavale tombe sur un os, identifié comme un fossile d’hadrosaure, un dinosaure jamais rencontré dans la région. Peu à peu, c’est un squelette entier qui est rassemblé et monté dans la cellule 15.
On donne un nom à l’animal, qui devient Juan Cachantún Faiste. On organise des visites payantes, d’abord pour les détenus, puis pour toute la ville. Le directeur du musée d’histoire naturelle de Londres annonce sa visite.
Les détenus se passionnent pour l’histoire des dinosaures. Ils s’approprient la bibliothèque. Elías raconte avec humour sa transformation. « La propreté de ses murs, de son tapis et de ses fauteuils se devait, entre autres choses, à ce que nul n’y entrait. Aucun prisonnier ne franchissait la porte de cette bibliothèque, même pas par erreur. La seule fois qu’il y eut des gens à l’intérieur fut pour son inauguration. Même le président de la République y assista. La bibliothèque carcérale la plus moderne et la plus complète d’Amérique latine. (…) Cet après-midi-là, le professeur de préparait à éteindre la lumière quand Lalo Cartagena entra.
- Les toilettes sont au bout du couloir – indiqua Olmedo
- Je viens à la bibliothèque, professeur, répondit Lalo
- À la bibliothèque ? demanda Olmedo fort étonné. »
Devenus fiers lecteurs, les détenus philosophent sur la descente du singe sur la terre ferme, sur la distinction entre le bien et le mal. Lalo s’interroge sur sa vie. « J’aurais dû devenir paléontologue au lieu de délinquant, pensa-t-il. Encore qu’une chose n’exclue pas forcément l’autre. Il aurait pu être paléontologue et délinquant en même temps. On ne choisit pas d’être délinquant, on est délinquant parce que les circonstances l’exigent. Il y a peu d’enfants dans le monde qui répondraient « je voudrais pratiquer la délinquance » quand on leur demande ce qu’ils voudraient faire une fois adultes. À sept ans, Lalo répondait « politicien », c’est-à-dire « délinquant » lui rétorquait-on, et pour un enfant ces choses restent gravées. »
Mais le conte de fées tourne court. La prison est régie par trois pouvoirs. Le directeur, Gualdio Tapia, est un curieux bonhomme, qui collectionne les télécommandes de télévision. Il favorise l’aventure du dinosaure tant que celle-ci neutralise les détenus occupés à lire des ouvrages de paléontologie et tant qu’elle apporte de la notoriété à sa prison. Mais lorsque le ministère de la justice se mettra en travers, tous les moyens seront bons pour briser l’expérience.
Le chef des surveillants, Sergio Lillo, ou Le Chien Lillo, est un sadique qui prend son plaisir dans la souffrance des détenus.
Le troisième pouvoir est le caïd de la prison, Chuma, que les détenus n’osent approcher par peur des gorilles qui l’entourent et devant qui ils s’inclinent respectueusement. Lorsque Chuma est assassiné, une lutte de pouvoir de déclenche, une lutte à mort. La mort rôde dans la prison. Des armes circulent, comme ce couteau bricolé à partir d’une lame Gillette et d’un manche de tournevis cassé. Elías évoque Lalo et Boticeli. « Si tous les deux avaient quelque chose en commun, c’était la peur de la mort, et plus encore le sang de la mort, d’une mort violente comme celles qui avaient lieu à l’intérieur de cet établissement pénitentiaire. Grâce à cela, aucun des deux n’avait encore tenté d’en finir avec la vie, comme tant d’autres. »
Lalo tentera pourtant de se suicider, après avoir raté sa réconciliation avec son ancienne compagne Ursula et l’avoir agressée. Il se réfugia « au plus profond du tunnel, rempli de honte. Il essaya de se couvrir de terre, de s’enterrer vivant. » Ricardo Elías parvient à exprimer la violence et la douleur de la prison en maniant l’humour noir et un réalisme presque documentaire. Une vraie réussite.