Dans « Algérie du possible », Viviane Candas enquête sur la mort de son père près de Constantine en Algérie en 1966 et sur le déraillement de la révolution algérienne.
Yves Mathieu avait 42 ans lorsqu’il est mort dans un accident de voiture le 16 mai 1966. Sa fille Viviane Candas avait 12 ans et était élève au lycée français d’Alger lorsque le drame s’est produit. C’est un camion de l’armée algérienne qui provoqua l’accident. De sérieux indices laissent supposer qu’il s’agissait d’un assassinat.
Yves Mathieu était en effet lié à Ben Bella, déposé par le coup d’État militaire par le Colonel Boumediene un an auparavant. Avocat des « terroristes » du FLN impliqués dans le sabotage des dépôts de pétrole de Mourépiane près de Marseille en 1958, il était venu vivre à Alger lors de l’indépendance, en 1962.
Mathieu avait joué un rôle important dans la rédaction des décrets de mars 1963 qui organisaient la nationalisation des biens laissés vacants par les Européens qui avaient fui l’Algérie. C’était un partisan convaincu de l’autogestion. Les domaines agricoles confisqués aux colons allaient être exploités par les paysans qui éliraient un comité de gestion chargé de prendre les décisions qu’un directeur nommé par l’État appliquerait.
Le film de Viviane Candas rappelle l’extraordinaire ferveur qui accompagna la mise en place de l’autogestion, en même temps que les foules s’enthousiasmaient lors de la visite en Algérie de Nasser, Chou Enlai ou Guevara. Des centaines de milliers de volontaires venaient replanter des arbres là où le napalm avait brûlé la végétation.
Pourquoi l’autogestion a-t-elle fait long feu ? Il y a à cela des raisons endogènes : les paysans et ouvriers n’avaient pas la formation qui leur aurait permis de mettre les directeurs appointés par l’État au service de leurs intérêts, et ceux-ci devinrent vite seuls maîtres à bord. L’autogestion a aussi été victime de promesses non tenues : les prêts qui avaient été annoncés ne sont jamais venus. Enfin, le pouvoir fut totalement détenu à partir de l’éviction de Ben Bella par l’armée, dont le principe de fonctionnement a peu à voir avec la logique de l’autogestion.
« Algérie du possible » donne la parole à de nombreux témoins des événements, à commencer par Ahmed Ben Bella lui-même, qui fut interviewé avant sa mort survenue en 2009. Le film laisse un goût amer. Peu importe au fond si Yves Mathieu a été victime d’un assassinat. Les idées qu’il défendait étaient déjà moribondes : le rêve d’une Algérie autosuffisante sur le plan alimentaire grâce à ses paysans et exportatrice vers l’Afrique noire grâce à ses ouvriers autogérés ne s’est pas réalisé. Le pays est devenu de plus en plus dépendant de la rente des hydrocarbures, largement confisquée par la classe dirigeante.