Dans le film « Après l’ombre », la réalisatrice Stéphane Mercurio raconte le montage par Didier Ruiz de la pièce de théâtre « Une longue peine ».
« C’est étrange, dit Didier Ruiz. Ce mot « peine » qui signifie punition et chagrin en même temps ».
Pour sa pièce « Une longue peine », Ruiz a choisi comme acteurs quatre hommes qui ont passé de longues années en prison : Alain, 48 ans, 14 derrière les barreaux ; André, 73 ans, 35 derrière les barreaux ; Éric, 51 ans, 19 ans derrière les barreaux ; Louis, 67 ans, 18 derrière les barreaux. Et aussi une femme, Annette, compagne de Louis, dont la peine était collatérale à la sienne : des années de parloir.
Stéphane Mercurio filme la genèse de la pièce, au long de trois semaines pendant lesquelles les comédiens amateurs, Didier Ruiz et ses collaborateurs, partagent pauses et repas.
La première phase consiste en des entretiens avec chacun des ex-détenus. Il s’agit de faire connaissance, de faire tomber les réticences et de gagner la confiance. Didier Ruiz laisse ses interlocuteurs se raconter. Il note, parmi les situations qu’ils ont vécues, celles qui méritent d’être mises en scène.
La pièce sera faite de ces histoires racontées dans une mosaïque de monologues qui finissent par se répondre l’un l’autre jusqu’à dresser un tableau sidérant de la détention.
On parle de la douleur de n’avoir pas été autorisé à assister aux obsèques d’une mère ou d’un fils. On parle du fiasco de relations sexuelles avec des prostituées lors de permission et des exploits que l’on raconte ensuite aux codétenus. On évoque l’angoisse du temps qui passe dès la première minute de parloirs d’une demi-heure.
Éric raconte son mutisme à l’égard des surveillants et, face à des douleurs dentaires, insupportables, l’extraction qu’il s’impose de chaque dent à la fourchette et au couteau à bout arrondi.
Annette parle de ses crises de larmes face à son fils de 3 ans lorsque Louis a été incarcéré, de la promesse qu’elle se fit de ne plus pleurer devant lui et des ravages que produisent dans le cœur les larmes qu’on ravale. Annette encore nous émeut lorsque, lors d’un repas avec la troupe, elle chante « et si on s’amusait à devenir vieux, et si on s’amusait à jouer tous deux ».
Un ancien détenu raconte son émerveillement lorsque, après des années en maison centrale, il avait été transféré en vue de son jugement en maison d’arrêt et qu’il avait vu le soleil : après l’ombre !
L’un des ex-détenus avoue avoir du mal à faire confiance. Un autre ne supporte pas qu’on le touche : en prison, on est touché par la violence ou par les surveillants.
En assistant à la pièce « Intra-muros » d’Alexis Michalik, j’avais observé qu’il s’agissait d’un théâtre à deux faces : ce qui se passait sur scène jouait ce qui se passe dans une prison, où chacun, détenu ou surveillant, joue un rôle.
Le film de Stéphane Mercurio amplifie cet effet de reflets. La vie carcérale se reflète dans la pièce que monte Didier Ruiz, laquelle se reflète dans le film. Il y a là toutefois un ancrage solide dans la réalité : quatre hommes et une femme qui ne jouent pas la comédie mais narrent, avec une sincérité poignante, ce qu’a été leur vie dans l’entonnoir d’une longue peine.