Emmaüs France et le Secours Catholique Caritas France ont ensemble publié une étude sur le lien entre la pauvreté et la prison, dans laquelle sont formulées 25 recommandations.
« La prison fonctionne aujourd’hui comme un mode de gestion de la pauvreté, à l’abri des regards, et contribue indéniablement à l’aggravation de la précarité, loin de sa mission première de réinsertion », écrit Antoine Sueur, président d’Emmaüs France dans son introduction au rapport, résumant ainsi son principal message.
Le rapport a été établi à partir des réponses de 1 119 personnes détenues dans 79 établissements pénitentiaires à un questionnaire administré en 2020, complétées par une approche qualitative. Dans sa version complète, il intègre de nombreux verbatims des personnes interrogées et des informations tirées de travaux universitaires ou parlementaires sur la prison. Il constitue à ce titre un document de référence pour les professionnels et les bénévoles en milieu carcéral.
La prison accroît la pauvreté
Le rapport est structuré en trois parties, dans l’ordre chronologique : avant, pendant, après la détention. La pauvreté a partie liée avec l’emprisonnement. Véronique Devise, présidente du Secours Catholique, l’exprime ainsi : « une personne sans domicile fixe aura 5 fois plus de risque d’être traduite en comparution immédiate qu’une personne logée et la probabilité à être condamnée à de l’emprisonnement ferme 8,4 fois plus élevée. »
La prison, démontre le rapport, accroît la pauvreté et agit comme un facteur majeur de précarisation. La sortie de prison manque souvent de préparation et de progressivité, ce qui expose les personnes les plus vulnérables à une précarité économique et sociale encore plus importante, ce qui accroît la probabilité de la récidive. « Nous voyons alors ; dit le rapport, s’instaurer un cercle vicieux de pauvreté-incarcération que les politiques pénales actuelles ne permettent pas d’enrayer. »
Des verbatims illustrent l’antisélection opérée par la prison, le dernier barreau de l’échelle sociale. « L’aide sociale à l’enfance (ASE) est donc un service d’état, pendant des décennies, il a fourni le gros des troupes des prisons. C’est-à-dire des gens qui étaient soustraits à leurs familles, soit placés dans des institutions de l’État, soit placés dans des familles d’accueil, donc la caricature de gens pas aimé ou mal-aimés. Et beaucoup d’entre eux, et ça continue aujourd’hui, finissent en prison. » Ou encore : « la majeure partie des prisonniers et des prisonnières rentrent en détention souvent avec des vies fracassées, sans lien familial, sans lien social, mauvaise santé, sans culture, bref. Dans des conditions qui ne leur permettent pas de résister à la machine de ce que j’appelle la mangeuse d’hommes qu’est la prison, voilà ». Et puis : « Si on est rentré en prison, c’est parce qu’on a enlevé ce mot « confiance » et « amour ». C’est ces deux mots-là qui nous ont menés à la prison. Le pourcentage de détenus qui entrent en prison c’est ce que c’est très souvent un manque d’amour dans son passé. Et que c’est des personnes qui n’ont jamais eu ce mot « confiance » dans leur vie. »
Un miroir moche de la société
Le rapport cite Dominique Simonnot, ancienne journaliste au Canard Enchaîné, maintenant Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté. « J’ai repensé à un film réalisé il y a 15 ans par des associations de lutte contre la pauvreté, qui décrivait une ville « dont 25% des habitants sont illettrés, où 30% souffrent de graves troubles mentaux, où seuls 25% ont accès au travail, où tous doivent patienter des mois avant de voir un psychiatre, un dentiste, un chirurgien »40. Cette ville, c’est la prison. Pas grand-chose n’y a changé depuis 15 ans, sinon qu’elle s’est enrichie de 8 000 habitants, jusqu’à en compter 68 000 en août 2021. On s’y suicide toujours plus qu’ailleurs et, miroir moche de la société, elle est toujours peuplée de ceux qui n’ont eu que peu de contacts avec l’école, la médecine, le logement ou le travail. »
Le rapport détaille les caractéristiques de l’emprisonnement en France : la surpopulation carcérale, l’impossibilité de vivre dignement en prison si on ne dispose pas des 200€ mensuels qu’un rapport parlementaire jugeait un minimum vital, l’insuffisance du travail, de la formation, des activités. Le rapport souligne que « la part des personnes détenues ayant accès à un emploi en détention a connu un déclin continu depuis vingt ans, passant de près de 50% de personnes employées au début des années 2000, à 28% en 2018. Le nombre de postes d’emploi n’a pas évolué autant que la population carcérale, qui est elle-même passée de 51 900 à 69 000 détenus entre 2000 et 2018. De même, tandis que les prisons sont de plus en plus surpeuplées, les espaces qui peuvent y être consacrés à la formation et au travail ne se sont pas élargis. »
L’emprisonnement impacte aussi les proches des personnes détenues. « On estime que près de 95 000 enfants seraient concernés chaque année par l’incarcération de l’un de leurs parents. Pour 55% d’entre eux, le parent incarcéré représentait la source de revenus unique pour la famille. Les familles des personnes détenues, surtout si ces dernières en étaient le support financier, peuvent s’appauvrir et rencontrer de graves difficultés sociales. Les spécialistes de la question évoquent dans ces cas-là une forme « d’incarcération invisible ».
Le lien avec l’extérieur peut sauver des vies
L’isolement accentue la désocialisation. Le rapport souligne que 40% des personnes détenues ne reçoivent aucune visite. Or, souligne une personne détenue, « le lien avec l’extérieur et l’énorme travail qu’effectuent autant les visiteurs de prison que les associations qui interviennent en prison, ça peut paraître anodin de l’extérieur, mais ce n’est pas anodin à l’intérieur, ça peut sauver des vies. Même s’il n’y a pas de paroles, c’est une présence, on peut se dire que la personne a pris du temps sur sa vie, elle a des tas de choses à faire, je ne sais pas moi, aller au théâtre, elle peut aller au cinéma, qu’est-ce qu’elle est allée faire à entendre les bruits des grilles, des clefs des prisons pour aller voir quelqu’un assis, derrière une chaise ? »
Le rapport souligne que 2/3 des personnes libérées en 2016 l’ont été sans aucun aménagement de peine. Or, une étude montre que l’aménagement de peine réduit fortement le taux de récidive : 63% de nouvelle condamnation dans les 5 ans si le détenu n’a pas bénéficié d’un aménagement, 55% s’il a bénéficié d’un aménagement, 39% s’il cet aménagement consiste en une libération conditionnelle.
Réussir l’insertion après la prison
Qu’est-ce qu’une insertion ‘‘réussie’’ ? Le rapport cite Christiane de Beaurepaire. « Les critères en sont finalement assez basiques : c’est, pour une personne donnée, le fait de trouver sa place. Il s’agit pour commencer d’un emploi (une place au travail), puis d’un logement (une place où dormir, poser ses affaires et vivre), puis d’une famille (où l’on trouve sa place de fils, de père, d’époux), puis de relations sociales, etc. Il s’agit chaque fois de faire ou de trouver sa place propre qui procure un sentiment de sécurité, d’autonomie et de liberté aussi ».
Le rapport formule 25 recommandations, qui découlent de l’analyse. Elles s’articulent autour d’idées force. La prison ne doit plus être la peine de référence de notre système judiciaire. Il convient de développer le travail en prison. Il faut mieux utiliser la formation comme outil d’insertion. Pour garantir une vie digne, il faut garantir un socle financier minimum à tous les détenus, au-delà des 20€ d’aide actuelle aux indigents. Les personnes étrangères doivent pouvoir accéder à leurs droits. Il importe de favoriser le maintien du lien familial. L’intervention des associations en prison doit être facilitée. Enfin, il convient de donner du sens à la réinsertion à la sortie de prison.
Le rapport définit ainsi un programme de travail qui devrait inspirer les femmes et hommes politiques qui se réclament du christianisme… et les autres.