« Au grand lavoir », roman de Sophie Daull (Éditions Philippe Rey, 2018) parle de la réconciliation d’un meurtrier avec soi-même et de la restauration de la relation avec sa victime.
Ni le meurtrier, ni la victime, n’ont d’identité. Elle est écrivaine. Il est jardinier municipal à Nogent le Rotrou. Il y a trente ans, il a sauvagement violé et assassiné sa mère. Outre ce deuil, elle porte celui de sa fille emportée par un virus faute de soins à l’hôpital.
Le meurtrier a été condamné à trente ans de prison. Il en a fait dix-huit et a été libéré pour bonne conduite. Il fait la fierté des conseillers d’insertion et de probation, des psychologues et des juges d’application des peines. Il a été le héros d’un documentaire télévisé à une heure de grande écoute. On lui a trouvé ce travail de jardinier, qu’il aime et exerce efficacement. Sous l’influence d’un codétenu, il s’est libéré de l’alcool et mène une vie végétarienne et saine.
« La femme de cœur que je suis, humaniste et progressiste, écrit l’écrivaine avec un humour glacial, ne peut qu’applaudir à l’exemplarité de cette expérience de reconstruction : la cellule comme cabine d’ascenseur social, la vie derrière les barreaux comme stage d’épanouissement personnel, mené à bien avec succès. » Mais lorsque celle-ci vient à Nogent le Rotrou rencontrer ses lecteurs, tout se détraque.
Ses vieux démons s’emparent de l’homme. « On m’avait encordé à un réel millimétré et insignifiant, un quotidien anesthésique certifié conforme pour un protocole de désendettement pour un rachat bas de gamme. » Il sait qu’il doit rencontrer l’écrivaine. À mesure que l’horloge le rapproche de ce « rendez-vous », la signature du livre de l’écrivaine dans la librairie de la ville, le vernis de normalité cède la place au cauchemar.
L’écrivaine se méfie « des gens étriqués qui fonctionnent avec des principes binaires : bourreau/victime, coupable/innocent, faute/punition ». Elle sait qu’il faut trouver autre chose, et que seuls les mots permettent d’éradiquer des taches difficiles « comme certaines poussières de pistil, safran des crocus, sang des mûres. Et l’indigo profond des hématomes. »
Pour ce qui la concerne, le grand lavoir, c’est la littérature, « une invitation permanente pour le bal des possibles. Mon palais : la langue de mon pays. Mes bonnes marraines : la syntaxe et la musique. Mes sujets : les livres. Mes princes : les poètes. Mon royaume, l’imagination ».
Pour le meurtrier trop bien rangé, le grand lavoir sera l’immersion dans la sciure du vieux tilleul qu’il vient de débiter. « Fonds baptismaux. Lessive expiatoire. Chaleur matricielle. L’odeur était âcre et sucrée à la fois. J’infusais dans la sagesse des arbres et du monde (…) À moi, le vieux tilleul avait fourni une surface de réparation, une immensité. »
Le jardinier a pris sa place dans la file des lecteurs qui font dédicacer le livre par son auteur. La rencontre avec sa victime va avoir lieu.
Un acte de justice restaurative.