Pittsburgh

Le sommet du G20 se déroule à Pittsburgh. Le récit que l’on va lire date d’un voyage dans l’est des Etats Unis en août 2002.

Les orages de la nuit ont abaissé la température, et à l’inverse de ce qui s’est passé jusqu’ici, nous recherchons le côté ensoleillé des rues. Nous laissons la voiture dans un parking d’Oakland, le quartier universitaire de la ville de Pittsburgh.

Au centre d’Oakland se trouve une tour de 42 étages construite au début du 20ième siècle, de style néo-gothique, the Cathedral of Learning, la Cathédrale de l’acquisition des connaissances. L’intérieur est une immense nef digne des belles cathédrales françaises. Mais on n’y trouve ni chœur, ni autel, ni statues. De petites tables rondes sont disposées tous les deux mètres environ, et permettent de travailler ou de se rencontrer dans une ambiance de ferveur intellectuelle. Tout autour de la nef sont disposées des salles de classe, chacune dédiée à l’un des peuples présents à Pittsburgh. Le style, l’aménagement et la décoration de chacune des pièces sont inspirés par l’âge d’or de chaque pays, l’époque victorienne pour l’Angleterre, le 18ième siècle pour la France. Tout a été étudié avec soin, les matières, les formes, les objets décoratifs, les couleurs, pour créer une ambiance puissamment évocatrice et donner de chaque pays l’image que l’Université de Pittsburgh souhaite lui attribuer. The Cathedral of Learning est un hymne au savoir, mais aussi à la diversité des cultures que l’Amérique n’a cessé de réinterpréter.

Nous visitons la Heinz Memorial Chapel, inspirée de la Sainte Chapelle, avec de merveilleux vitraux à dominante bleue, qui représentent les héros d’aujourd’hui, de Louis Pasteur à Abraham Lincoln.

Nous descendons à Down Town par le bus, que nous présumons être le moyen le plus économique. Le billet coûte 1,60 dollars. Comme la machine à côté du chauffeur ne rend pas la monnaie, l’aller simple nous revient à 2 dollars par personne. Il aurait été trois fois moins coûteux d’aller en voiture jusqu’à un parking du centre ville. Du moins nous sommes nous offert ainsi une nouvelle expérience.

Dès notre arrivée à Down Town, nous nous rendons au musée Andy Warhol. L’artiste a vécu et travaillé à New York, mais est né ici. Comme celui de Norman Rockwell, son art est enraciné dans le quotidien. Une boîte de soupe concentrée devient un objet fascinant ; une paire de chaussures féminines prend des formes délirantes et reçoit des talons à ressort ; les artistes transcendent leur statut d’humains et deviennent des stars.

Nous traversons la ville avec ses gratte-ciel et son palais de justice de style roman. Nous empruntons un funiculaire plus que centenaire, le Monongahela Incline, et accédons à un fantastique point de vue sur Pittsburgh, au confluent de deux fleuves qui constituent l’Ohio. En contrebas, d’immenses trains de marchandises ne cessent de passer au ralenti, saluant Pittsburgh de longs hurlements de sirène.

Pittsburgh garde le souvenir de son premier âge industriel marqué par une pollution effrayante et des conditions de travail ouvrier qui la faisaient redouter comme l’enfer. Ses capitaines d’industrie, Carnegie, Forbes, Heinz, Mellon, Westinghouse, étaient aussi des philanthropes qui laissèrent bibliothèques, stades, musées, monuments. Aujourd’hui, Pittsburgh est une ville d’espaces verts, de fleuves, de collines, au confluent de peuples et de cultures. C’est certainement une ville où il fait bon vivre.

 

D’où viens-tu ? Où vas-tu ?

Vivant depuis deux ans au Royaume-Uni, je tiens la chronique de mes étonnements. Parfois, l’usage de la langue est différent d’un pays à l’autre.

p2280015.1253731775.JPG

Pour indiquer que l’on a compris la logique qui sous-tend l’idée d’un collègue, un français dira : « je vois où tu veux en venir ». Un anglais : « I see where you come from », je vois d’où tu viens.

Les Anglais semblent fermement enracinés dans leur patrimoine culturel. Les Français se projettent spontanément dans l’avenir. D’un côté le pragmatisme et le souci de composer avec la réalité pour la transformer. De l’autre, les idées qui mènent le monde.

Trop souvent, des points de vue différents engendrent des antagonismes stériles. Lorsqu’ils sont vécus comme des apports complémentaires, l’entreprise s’enrichit des différences.

Ulysse, de Bagdad à la « jungle de Calais »

 L’un des chapitres du roman d’Eric Emmanuel Schmitt « Ulysse from Bagdad » (Albin Michel 2008) se déroule près de Calais.

« Je m’appelle Saad Saad, ce qui signifie en arabe Espoir Espoir et en anglais Triste Triste ; au fil des semaines, parfois d’une heure à la suivante, voire dans l’explosion d’une seconde, ma vérité glisse de l’arabe à l’anglais ; selon que je me sens optimiste ou misérable, je deviens Saad l’Espoir ou Saad le Triste ».

Né à Bagdad dans une famille intellectuelle et heureuse, étudiant en droit, Saad assiste plein d’espoir au renversement de Saddam Hussein par les Américains. La généralisation du chaos en Irak, la mort de plusieurs membres de sa famille dans des attentats, celle de son propre père sous les balles américaines alors qu’il réclamait des secours, le persuadent de quitter le pays. Son pays de cocagne se nomme l’Angleterre, le rêve de sa fiancée Leila avant qu’elle disparaisse dans le bombardement de son immeuble.

Comme Ulysse, Saad commence un interminable voyage en Méditerranée. « Ulysse rêvait de revenir chez lui après une guerre qui l’en avait éloigné. Moi, j’ai rêvé  de quitter mon pays dévasté par la guerre. Quoique j’aie voyagé et que j’aie rencontré des milliers d’obstacles pendant ce périple, je suis devenu le contraire d’Ulysse. Il retournait, je vais. A moi l’aller, à lui le retour. Il rejoignait un lieu qu’il aimait ; je m’écarte d’un chaos que j’abhorre. Il savait où était sa place, moi je la cherche. Tout était résolu, pour lui, par son origine, il n’avait qu’à régresser, puis mourir, heureux, légitime. Moi je vais édifier ma maison hors de chez moi, à l’étranger, ailleurs. Son odyssée était un circuit nostalgique, la mienne un départ gonflé d’avenir. Lui avait rendez-vous avec ce qu’il connaissait déjà. Moi j’ai rendez-vous avec ce que j’ignore. »

Saad entre en contact avec El Qaida dans l’espoir que l’organisation terroriste l’envoie à l’étranger, s’échappe de Bagdad pour Le Caire avec des trafiquants d’objets d’art et de drogue, survit au Caire comme gigolo dans un dancing fréquenté par des dames âgées, voyage jusqu’à Tripoli comme agent de sécurité d’un orchestre rock, navigue à bord  d’une coquille de noix surchargée frétée par des passeurs jusqu’à Malte, fait naufrage en Sicile où il vit une idylle avec une jeune italienne, parvient à passer en France, connaît l’horreur de l’attente à Calais, parvient enfin à franchir la Manche après avoir retrouvé, puis perdu de nouveau, Leila.

Tout au long de l’ouvrage d’Eric-Emmanuel Schmitt, j’ai ressenti une frustration. Il y avait là matière à mille romans, à l’exploration de l’âme humaine dans les situations les plus extrêmes. Plus qu’un roman, le livre est un conte philosophique dans la veine de Voltaire. Le personnage central, Saad, raisonne et parle comme un jeune parisien. Rien dans sa façon d’être ou de s’exprimer n’est arabe. A la réflexion, je crois que cela résulte d’un choix délibéré de la part de l’auteur : il était important pour lui que le lecteur français s’identifie aisément au héros de l’histoire, de manière à rendre la démonstration plus probante.

La thèse que Schmitt veut démontrer est qu’il y a un antagonisme fondamental entre les valeurs d’« égalité » et de « fraternité ». « En circonscrivant un ensemble d’êtres solidaires qui s’entraideront quoiqu’il arrive, il faut aussi désigner ceux qui seront tenus à l’écart et n’y appartiendront pas. Bref, il faut tracer des limites (…). Il n’y a pas de société humaine sans un tracé de frontière ». Dans un sens, Saad, dans sa tentative vertigineuse de construire son propre avenir hors de chez lui, est un paradigme de l’avenir : « Je ne rêve pas d’être apatride, je rêve que le monde le devienne. Je rêve que le « nous » que je prononcerai un jour soit la communauté des hommes intelligents qui cherchent la paix. »

Comme dans « Hôtel des deux mondes », la mort ne s’oppose pas à la vie, mais est une autre modalité d’existence : tout au long du voyage, Saad reçoit la visite de son père venu d’outre tombe pour le conseiller.

Une partie intéressante du conte philosophique est celle où, alors que Saad sort d’une rencontre traumatisante avec Al Qaida, son père lui énonce les commandements du parfait terroriste. 1- N’avoir qu’une idée. A partir de deux idées, on commence à réfléchir ; or, le fanatique sait, il ne pense pas. 2- Détruire ce qui s’oppose à cette idée. Ne jamais admettre des points de vue différents, encore moins divergents. 3- Abattre ceux qui s’élèvent contre cette idée. Les contradicteurs ne méritent pas d’exister car ils représentent un danger pour l’idée, la sécurité de l’idée. 4- Considérer que l’idée vaut mieux qu’une vie, y compris la sienne. Etre fanatique, c’est avoir rencontré une valeur comptant davantage que les individus. 5- Ne pas regretter la violence car elle constitue la force agissante de l’idée. La violence a toujours les mains propres, même si elles dégoulinent de sang. 6- Estimer que toutes les cibles touchées par la juste violence sont coupables. Si l’une d’elles se trouvait par hasard être d’accord avec toi, le terroriste qui s’est immolé, alors ce n’est pas une victime innocente, c’est un deuxième martyr. 7- Ne pas laisser l’hésitation entrer en toi. Dès que tu sens qu’un scrupule s’infiltre, tire : tu tueras également le doute et la question. A bas l’esprit critique. »

 

 

 

Grande Bretagne : Chronique d’étonnements

J’ai la chance de vivre depuis près de deux ans à Watford, à 30km au nord-ouest de Londres. Voici ma chronique d’étonnements.

 Ophélie

090921_millais_ophelia.1253564688.jpg

En cette belle dernière journée d’été, nous marchons le long du Grand Union Canal à Watford puis nous traversons la rivière Gade. Un attroupement s’est formé sur le pont qui enjambe la rivière. Une jeune femme est prise sous l’objectif d’un photographe. Il s’est avancé dans le lit de la rivière et l’eau lui arrive aux mollets. Elle porte une robe de mariée et est allongée dans le courant, sa longue robe flottant et vibrant à la surface. La scène fait penser au tableau Ophelia du peintre préraphaélite John Everett Millais (1851 – 1852) représentant Ophélie noyée dérivant sur un plan d’eau au milieu des plantes aquatiques. Le sens de la scène, aujourd’hui, nous échappe.

Dutilleux

L’auditorium du Barbican joue à guichets fermés un concert symphonique de Debussy, Dutilleux et Ravel par le London Symphonic Orchestra sous la direction de Valery Gergiev. J’admire cette ville de Londres capable de remplir des salles de concert quelques jours seulement après la clôture des « Proms », la série de quatre-vingts concerts estivaux de la BBC. Les applaudissements chaleureux après l’exécution du concert pour piano « L’arbre des songes » d’Henri Dutilleux se transforment en ovation lorsque le chef d’orchestre désigne un vieil homme assis dans l’assistance. Le compositeur lui-même, malgré ses quatre-vingt treize ans, est venu écouter la représentation de son œuvre. Extraordinaire City, capable de produire de si rares moments !

Grippe A

En France, la consigne est : « si vous sentez des symptômes de grippe, consultez votre médecin généraliste (payant) ». En Grande Bretagne, c’est « n’importunez pas votre general practioner (gratuit), consultez le site Internet de la grippe et téléchargez vos ordonnances ! » De ce côté de la Manche, la médecine est gratuite. Elle est général dépréciée par les expatriés français. De mon côté, j’admire son caractère fondamentalement démocratique et sa recherche du maximum de service au moindre coût.