L’Origine des Espèces a cent cinquante ans

Le livre de Charles Darwin, l’Origine des Espèces, a été publié le 24 novembre 1859, il y a juste cent cinquante ans. Ce livre qui allait révolutionner l’idée que l’homme se fait de son humanité a été mûri en silence pendant vingt ans. Né en 1809, Darwin s’installa avec sa famille à la campagne en 1842 dans le village de Downe, à 25km de Londres dans le Kent. Voici une photo de la maison qu’il habita, aujourd’hui transformée en musée à sa mémoire.

 

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Tragédies Romaines

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 Le théâtre du Barbican, à Londres, a présenté le week-end dernier les Tragédies Romaines du Toneelgroep Amsterdam : 6 heures de représentation en langue néerlandaise sous-titrée en anglais devant un public enthousiaste.

Les Tragédies Romaines, présentées en 2008 au Festival d’Avignon par la troupe hollandaise Toneelgroep Amsterdam, sont l’assemblage de trois pièces de William Shakespeare inspirées de l’histoire de Rome, et écrites entre 1599 et 1607 : Coriolan, Jules César, Antoine et Cléopâtre. Le metteur en Scène, Ivo van Hove, est passionné par la dimension politique de l’œuvre de Shakespeare. Coriolan, un guerrier revenant à Rome couvert de gloire n’accepte pas de se compromettre avec le minimum d’hypocrisie qui lui attirerait les faveurs du peuple. Banni, il pactise avec l’ennemi. Arrivé avec leur armée aux portes de Rome, il accepte de négocier avec ses concitoyens une paix honorable et est exécuté par ses nouveaux amis pour cette seconde trahison. Brutus tue César pour protéger Rome contre le risque que le héros se transforme en dictateur. Mais la fin ne justifie pas les moyens : un nouvel homme fort, Marc Antoine, écrase les conjurés. Tombé amoureux de Cléopâtre, Marc Antoine est tiraillé entre une vie personnelle qui n’a rien de privé et la conquête du pouvoir suprême. Octave quant à lui ne connait pas ce déchirement et suit une route qui le conduira à l’empire.

La mise en scène joue sur la transposition de la pièce dans le monde politique d’aujourd’hui. Le décor se présente comme le hall d’un centre de conférence, avec un bar, des divans et de multiples écrans de télévision qui diffusent de l’actualité en continu, des dessins animés ou des exploits sportifs. Des horloges marquent l’heure à Tokyo, Londres et New York. Deux percussionnistes créent une atmosphère sonore lourde d’angoisse ou libèrent le tonnerre des batailles.

Plusieurs tableaux ne sont pas joués devant le public, mais filmés par des caméras fixes ou mobiles et retransmis sur un écran géant. Ceci permet à l’action de quitter le plateau et d’occuper la coulisse ou même, dans un cas, la rampe d’accès au parking du Barbican. Les personnages sont parfois interviewés comme au journal télévisé ou s’affrontent comme dans une émission politique. Ils sont vêtus comme les hommes et femmes politiques d’aujourd’hui, souvent en costume et cravate.

Le public est invité à s’installer sur des divans au milieu des acteurs et à consommer aux bars situés des deux côtés du plateau. Un seul espace lui est interdit : il se situe au fond de la scène, entre deux vitres qui symbolisent la frontière du monde des vivants et des morts. Car tous les personnages principaux, Coriolan, César, Brutus, Marc Antoine et Cléopâtre, connaîtront un destin tragique.

La mise en scène est politiquement correcte : une femme joue le rôle d’Octave ; l’acteur jouant le rôle de Marc Antoine souffrant d’une fracture de la jambe, le décor a été aménagé pour qu’il puisse jouer en fauteuil roulant ou avec des béquilles.  

Le spectacle est entrecoupé toutes les 30 ou 45 minutes d’une brève pause qui permet de se dégourdir les jambes et de changer de place, y compris sur la scène, car les sièges n’ont pas été attribués à la réservation. Il commence à 16h et s’achève vers 22h par l’ovation debout d’un public captivé. Au long de ces 6 heures, il n’y a pas eu un temps mort. Le dynamisme de la mise en scène et l’extraordinaire jeu des acteurs transposent sans une ride l’œuvre de Shakespeare dans le monde de Gaza, du réchauffement climatique et de la crise financière.

(Photo Toneelgroep Amsterdam, www.tga.nl)

Transatlantic Sessions

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 La chaine culturelle anglaise BBC 4 présente « Transtlantic Sessions », une émission d’une demi-heure consacrée à la musique folk écossaise, irlandaise et américaine qui suscite l’enthousiasme.

Il est possible d’écouter la dernière « Transatlantic Session » sur http://bbc.co.uk/programmes/b00gtlnv. Le principe est que des musiciens se retrouvent pendant trois jours dans une vieille maison au cœur de l’Ecosse avec une équipe de télévision. Il y a un groupe permanent et des chanteurs ou instrumentistes folk d’Ecosse, d’Irlande ou d’Amérique invités. La salle dans laquelle ils jouent est haute de plafond, mais suffisamment petite pour que musiciens et chanteurs soient tout proches les uns des autres. Une grande variété d’instruments est utilisée du violon à l’accordéon, de la guitare à la cornemuse et du piano à la harpe celtique. Le réalisateur parvient à rendre palpable l’intimité du lieu et la jouissance des musiciens s’émulant les uns les autres dans la recherche de la perfection. C’est un pur délice.

Talons aiguille

   

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 Le roman d’Almudena Solana, « les femmes anglaises abîment les talons quand elles marchent » (las mujeres destrozan los tacones al andar, Suma de Letras, 2007) nous parle de Louise, une jeune femme issue de l’immigration espagnole en Grande Bretagne, à la recherche de son propre destin entre deux cultures.

« Les femmes anglaises abîment les talons en marchant. Moi parmi elles. Toutes nous courons ici et là, mais nous ne renonçons pas à la hauteur ni aux talons aiguille ». Louise est une jeune anglaise  banale dans un métier banal : téléopératrice dans un call-center près de l’aéroport de Heathrow dans la banlieue de Londres.  « Mon monde c’est celui-là, le métro, le travail, les courses, parfois la piscine ou sortir avec les amis du travail. »  Pour aller travailler, elle doit emprunter la ligne bleue du métro du début à la fin. « Je la connais par coeur, ses wagons, ses stations, les affiches, la mégaphonie, et y compris ses habitants, les chaussures de ses habitants. Ces wagons de la ligne bleue sont, en quelque sorte, mon foyer. Je déambule avec eux en avant, je déambule en arrière, je crois que je dois supposer qu’au long de ce zigzag je construis la vie ».

Louise mène une vie solitaire et médiocre. « Ma vie est pleine de contrôle, quelque chose semblable à une vigilance continue ». C’est le cas au travail, c’est le cas aussi dans son existence quotidienne, limitée par un budget serré. Ses amis du call-center sont des minables dont le loisir favori est de piéger la nuit les clients de la station-service où travaille John, l’un d’entre eux. Ils appartiennent au monde de ceux qui jamais ne connaîtront la gloire, gloire qu’ils vivent par procuration en regardant au pub les exploits des joueurs de football.

Pourtant, Louise aime son travail au call-center, qui à ses yeux ne manque pas de poésie. Vu d’en-haut, dit-elle, les télécabines ressembleraient à une grande caisse de minéraux. Cette réflexion lui vaut le surnom de « Pirita », petite pyrite. En apparence, Pirita est semblable aux autres. En réalité, elle est héritière d’une humble mais spirituellement puissante tradition familiale. Son grand-père, Antón, était cordonnier dans un village de Galice… et amateur de minéraux. Son père lui parlait inlassablement de cet homme passionné par son métier et qui dessinait des maquettes de chaussures neuves que la rudesse des temps de guerre civile ne lui avait jamais permis de réaliser.

Le père et la mère de Louise émigrèrent à Londres pour fuir la misère, s’épuisant dans de petits boulots pour assurer un avenir à leur fille. Pendant ses cinq premières années, celle-ci vécut au village en Galice avec ses deux grand-mères. Puis elle rejoignit ses parents à Londres. Maintenant, ceux-ci sont retournés au pays, mais avec un sentiment d’échec que l’alcoolisme du père ne fait qu’amplifier. Louise souffre de l’absence de ceux qu’elle aime et rêve de les réunir.

Dans le métro, Louise dessine des croquis de chaussures, imagine des modèles nouveaux. Quelque chose se passe dans sa vie. Le call-center va être délocalisé au Kenya et va fermer son établissement londonien. Un jour à la piscine, une professeur de natation remplaçante communique au groupe de personnes âgées dont elle a la charge confiance et enthousiasme. Louise se sent des ailes et se lance dans une brasse papillon. Le lendemain elle met ses « chaussures à triompher dans la vie ». Dans les dernières heures du call-center, elle se confie à un industriel de la mode et de la chaussure, qui avait appelé pour demander un renseignement. Séduit par le dynamisme et la créativité de la jeune femme, il lui offre de travailler à ses côtés comme styliste. Louise peut enfin, à Londres, réaliser son rêve de réunir sa famille, les vivants comme les absents.

Le livre d’Almudena Solana m’a profondément touché, non seulement parce qu’il établit un pont entre l’Espagne et Londres, mais aussi par la description qu’il fait de la masse sans nombre des petites gens privés de gloire, l’évocation de la vie apparemment conforme d’une jeune femme que son enracinement familial rend exceptionnellement forte et le récit d’une rédemption improbable comme un conte de fées.

Le livre nous parle de passion pour le travail bien fait, de poésie dans les choses banales et de la force d’un regard d’amour posé sur les autres et sur la vie. Il concentre notre attention sur une partie de nous-mêmes que nous déprécions parfois, nos pieds, et des mille manières de leur faire honneur : mocassins, bottes, sandales, espadrilles et escarpins.

(Photo Chaussures Femmes)