La bannière de « transhumances »

La photo de la bannière de transhumances m’a été donnée par Fabienne Bonnet. Fabienne tient un blog photographique, http://prismatic.aminus3.com suivi par des dizaines de passionnés en France et dans le monde. Ses images sont construites avec une rigueur toute géométrique mais expriment aussi une passion contenue.

La photo de « transhumances » a été coupée pour les besoins de la bannière. La voici tout entière.

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Aphasie : étranger dans sa propre vie

Le quotidien britannique « The Guardian » publie aujourd’hui le témoignage de Rhianon Howells sur l’aphasie dont souffre son père Keith depuis huit ans à la suite d’une attaque (http://guardian.co.uk/lifeandstyle/2009/sep/29/aphasia-kevin-howells).

« A mon mariage il y a quelque temps cette année, mon père me conduisit à l’atuel. Notre démarche pour remonter la nef était hésitante – il marche avec un bâton – mais il le fit. C’était un but important, mais réalisable ; faire un discours ne l’était pas ».

Rhianon raconte la thérapie à raison d’une séance par semaine, et l’abandon au bout d’un an : « la première année magique » (celle où une guérison est réputée possible) « était passée et mon père était toujours un étranger dans sa propre vie ».

« Mon père se bat pour communiquer en utilisant des gestes, des dessins et des jeux de devinette verbale tarabiscotés. Il utilise souvent un mot associé pour faire passer une idée. C’est ainsi que « Amérique » devient « là cousin », parce que nous avons un cousin qui vit en Amérique. Sil ne peut dire un mot, il essaiera de l’écrire. Une bizarrerie de l’aphasie est que la partie du cerveau qui travaille avec un langage « pré-programmé », par exemple les jurons, est souvent non affectée.

L’une des grandes frustrations de papa est de voir des gens prétendre qu’ils comprennent ce qu’il veut dire lorsque c’est le contraire, ou des gens qui ne prennent pas le temps de se faire comprendre. Cela demande de la patience de communiquer avec quelqu’un qui est globalement aphasique – il faut lui parler lentement, se répéter, peut-être mimer ou dessiner ce que l’on veut dire – mais lorsque finalement vous établissez la connexion, le moment du Eureka peut être grand. »

Rhianon Howells cite le chiffre de 250.000 personnes atteintes d’aphasie en Grande Bretagne chaque année, plus que de Parkinson, et elle regrette l’insuffisance du financement pour l’accompagnement des malades et la recherche sur une maladie dont on parle peu.

« Depuis son attaque, la capacité linguistique de papa n’a progressé que marginalement, mais ses autres dons de communication n’ont jamais été meilleurs. Et maintenant ma mère les a inscrits tous les deux à un cours de Makaton, un système de communication basé sur le geste et des symboles graphiques. Mon père est une preuve vivante que même si vous ne pouvez parler, vous pouvez toujours être entendu – si seulement les personnes prennent le temps d’écouter. »

Sorry!

Ayant la chance de vivre depuis deux ans en Angleterre, je tiens la chronique de mes étonnements.

Dans les rues d’une ville anglaise, il y a une règle d’or : ne pas stationner sur les trottoirs. Les droits des piétons sont sacrés. Comme le stationnement unilatéral n’existe pas et que les rues sont généralement étroites, circuler en voiture relève du gymkhana. On se glisse d’un créneau à l’autre en faisant assaut de courtoisie à l’égard des conducteurs venant en face, eux aussi anxieux de ne pas passer pour les goujats motorisés.

Dans les campagnes anglaises, les routes sont souvent si étroites qu’on ne peut s’y croiser. Comme elles sont souvent bordées de talus, de murs et de haies, la visibilité est restreinte. Lorsqu’on se trouve brutalement face à face avec un autre véhicule, l’un d’entre eux doit reculer souvent de plusieurs centaines de mètres pour laisser le passage. On fait alors assaut de sourires et de signes amicaux.

Dans le métro comme dans les routes, les Anglais sont habitués à des situations de foule où l’on risque à tout moment la collision, que l’on évite de justesse, courtoisement et avec un mot magique : « sorry ! »

La maladie de Sachs

TV5 Monde a programmé hier le film de Michel Deville « la maladie de Sachs » avec dans le rôle principal Albert Dumontel, réalisé en 1999 d’après le livre écrit l’année précédente par Martin Winckler. Voici une note de lecture de ce livre attachant.

« La vie, c’est risqué », répond Bruno Sachs, médecin du village de Pay, à qui lui demande s’il ne craint pas que la grossesse gémellaire de Pauline, sa compagne, soit compliquée. Le livre de Martin Winckler[1] raconte quelques mois décisifs de la vie de cet homme de trente-quatre ans, taciturne et tourmenté. Professionnellement, Bruno se définit comme « soignant » et non comme « docteur » : il prend chaque jour le risque de se charger de la douleur d’autrui au risque qu’elle l’entraîne vers le fond et le détruise. C’est un autre risque qu’il va découvrir et assumer, celui de l’amour, et finalement de la paternité : « toutes ces morts m’ont appris une chose paradoxale, une chose insupportable et pourtant irréductible : c’est qu’il est moins douloureux de penser à la mort que d’aimer. Car si nos corps vivent, c’est grâce au corps de l’autre, de l’être aimé. Aimer, c’est savoir qu’on verra la vie et l’amour mourir chez l’autre. Et qu’en voyant l’autre mourir, on mourra tout vif ».

Qu’est-ce que « la maladie de Sachs » ? En médecine, les maladies et les syndromes portent le nom des médecins qui les ont décrits pour la première fois, et non celui de la personne qui en souffrait (comment peut-on être fier de donner son nom à une saloperie, Down, Charcot ou Lapeyronie ? se demande Bruno). Si c’est la maladie découverte par Sachs, c’est de la médecine elle-même qu’il s’agit : « la médecine est une maladie qui frappe tous les médecins, de manière inégale ». Si c’est la maladie dont il souffre, c’est une angoisse marquée dans sa peau : « si je vous connais », lui dit Pauline, « si je sais qui vous êtes, ce que vous ressentez, c’est aussi parce que mes doigts se repèrent aux aspérités que vous portez là en permanence, inscrits sur votre chair, comme un texte en braille, invisible pour ceux qui ne vous connaissent pas, incompréhensible pour ceux qui n’ont jamais voulu le lire. Je vous aime, Bruno, avec vos plaies et vos cicatrices, et tout ce que vous ne pouvez pas dire, qui bouillonne juste au-dessous de la surface. »

La vie, c’est le corps : « les corps décharnés, les corps obèses, les corps pustuleux, les corps suintant l’eczéma ou constellés de plaques de psoriasis, les corps en sueur, les corps gonflés, les corps potelés, les corps désirables, les corps déformés, les corps couverts de crasse et sentant le feu de bois, les corps blancs sous un visage tanné par le soleil, les corps nauséabonds, les cors mutilés, les corps balafrés de bas en haut par les chirurgiens, les corps grêlés, les corps tordus par la douleur, les corps fuyant sous la main, les corps atones, les corps gluants, les corps tendus, les corps frémissants sur le drap glacé, les corps lourds, les corps brûlés, les corps gémissants… ». « Le corps souffre parce que le corps vit. La souffrance n’est ni rédemptrice, ni punitive. Elle est consubstantielle à la vie. Le corps n’est pas fragile, il est hypersensible, irréparable, biodégradable. Le corps est une foutue machine à sensations et la plupart de ces sensations sont désagréables, parce que chaque seconde qui passe aggrave sa détérioration ».

Le corps de l’autre est un enjeu de pouvoir où fait rage la guerre des sexes : « vous savez ce que c’est que les hommes, vous savez ce que c’est que les femmes ». La maladie de l’autre est vécue comme une attaque personnelle : « il m’a fait un infarctus ».

« Oh, elles te croient, les mères, quand tu leur dis qu’ils ne se laisseront pas mourir de faim, mais elles n’arrivent pas à comprendre que leurs mômes ne bouffent pas ce qu’elles se tuent à leur faire avec tant d’amour et de soin. Elles ne comprennent pas qu’ils veulent, et qu’ils peuvent, bouffer et vivre leur vie sans elles.

Oh, elles te croient, les filles, quand tu dis qu’un ancien ça ne peut pas manger comme un ouvrier de quarante ans, que ça ne voit pas aussi bien qu’avant, qu’il se déplace moins vite, que ça fait tout à l’économie, que c’est fatigué… (Mais jusqu’à son attaque, il y a six mois, il allait si bien !), qu’il faut respecter leur rythme, les soutenir, les accompagner mais ne pas en attendre plus qu’ils ne pourront donner à l’avenir. Mais elles ne veulent pas comprendre qu’ils sont assez grands pour mourir sans elles. »

« Pourquoi écoutez-vous votre montre quand vous êtes soucieux ou tendu ? » demande Pauline à Bruno. « Si j’étais triste ou si je m’étais fait mal en tombant, mon père me prenait dans ses bras. J’écoutais le tic-tac de sa montre pendant qu’il me consolait. C’est une montre automatique, elle se remonte quand on la porte. Quand il est tombé malade, il ne la mettait plus, je la prenais sur sa table de chevet le soir, je la portais la nuit… Je ne l’ai jamais laissée s’arrêter, mais il est mort quand même. »

La vie et la tendresse, au risque de la mort.