Autumn

Dans « Autumn » (Collection Folio, 1990), Philippe Delerm évoque le groupe des préraphaélites dans la période qui va de décembre 1850 à octobre 1869.

Au centre du livre se trouve Dante Gabriel Rossetti. Lorsque commence le récit, il a 22 ans. Deux ans auparavant, il a créé avec William Holman Hunt et John Everett Millais, sous le mystérieux sigle « PRB », the Preraphaelite Brotherhood, la fraternité préraphaélite.

Dante Rossetti est un homme de l’automne. Il aime passionnément la couleur rousse, celle des feuilles qui tombent, celle de la chevelure des femmes qu’il aime : Elizabeth (Lizzie) Siddal, qui sera pour elle la Béatrice de Dante, Fanny Costforth, la belle et voluptueuse prostituée, Jane Burden Morris, un modèle de beauté sauvage. Il aime aussi le côté crépusculaire de l’automne. Rossetti déteste le bonheur : il pense que l’art ne peut aller de pair qu’avec la proximité de la mort. Il mène une vie de débauche qui met sa santé en péril. Lizzie devient sa femme alors qu’elle a déjà contracté la tuberculose qui l’emportera.

Autour de Rossetti naviguent de fortes personnalités. John Ruskin, âgé d’une dizaine d’années de plus que lui, est déjà un critique d’art connu et admiré. Il vit un mariage malheureux et non consommé avec Euphemia (Effie). Il est resté enfant dans son âme et dans sa tête, et rêve d’une beauté pure, sans rien de charnel. John Everett Millais s’éprend d’Effie et l’épouse. Il apprendra avec elle le bonheur. Pour Rossetti, l’accès de Millais à la félicité signe la fin de son talent de peintre, car le talent a partie liée avec le mal de vivre et la fin de la vie.

Le livre de Philippe Delerm traite d’une période que mon séjour en Angleterre m’a rendue familière. Il trouve souvent des accents poétiques que Rossetti, imprégné de l’œuvre de Dante Alighieri et poète lui-même autant que peintre, aurait appréciés.

Walter Deverell, un ami de Rossetti, accompagne sa femme dans un grand magasin, celui dans lequel il repèrera une jeune modiste d’une exceptionnelle beauté, Lizzie. « Pour lui, le temps n’était jamais du temps perdu. Il adorait se fondre dans les atmosphères, comme pour les enfouir en lui, en garder quelque chose, une couleur, un reflet. Ce grand bateau caréné de bois chaud lui semblait délicieux, avec les bruissements soyeux sur le plancher parfaitement ciré, les phrases ébauchées, la lenteur des regards, quêtant dans les miroirs l’idée d’une autre image, l’intime et décisive transformation que donnerait à la silhouette le choix d’une chapeau différent ».  On reconnait volontiers en Deverell Delerm lui-même, l’auteur de « la première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules ».

Ou encore : « tout dans Lizzie traduisait une mystérieuse vibration intérieure, révélait une âme, une qualité de présence indéchiffrable, mais qui changeait l’espace autour d’elle, en faisait son décor ».

Lorsque Millais découvre le bonheur avec Effie, il trace une ligne de partage : « oui, il avait vécu tout cela. Aimer les choses qui s’en vont, la mélancolie de finir. Apprivoiser le mal de vivre, en boire la douleur à gorgées douces-amères. Aimer la pluie, les vignes vierges rougeoyantes, aimer l’octobre des saisons, les chenins atténués, la mort en valse lente, et quelque chose de l’adolescence en valse lente, et quelque chose de l’adolescence jusqu’au bout. » Il sait qu’il va maintenant vers d’autres rêves, d’autres couleurs, d’autres chemins.

Jane Burden Morris en Proserpine, par Dante Gabriel Rossetti

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