Dans « Azincourt par temps de pluie » (Mialet Barrault, 2022), Jean Theulé raconte à sa façon la bataille d’Azincourt, le vendredi 25 octobre 1415, dans lequel l’armée du Roi de France fut décimée par les Anglais d’Henry V. « Toutes les armées du monde ont, un jour ou l’autre, pris la pâtée, écrit Theulé, mais pour un désastre de cette ampleur, un seul mot s’impose : grandiose ! »
Débarquée à Harfleur, l’armée du roi Henry V tente de rejoindre Calais pour revenir en Angleterre. Elle est affamée, épuisée par une gastroentérite contractée par l’’absorption de moules avariées, inférieure numériquement à l’armée française qui lui barre la route du retour. Sa seule force : un corps d’archers capables de tirer une flèche toutes les cinq secondes.
Le roi de France Charles VI n’est pas sur le champ de bataille. Il est reclus dans son palais, atteint d’une grave psychopathie. Sur le terrain, c’est la discorde. Les seigneurs qui ont accouru avec leurs oriflammes et leurs armures de Milan ou d’Augsburg entendent figurer au premier rang. Les chevaux y sont si tassés qu’il est impossible de manœuvrer.
Les bombardiers capables d’envoyer des boulets de pierre dévastateurs et les arbalétriers dont l’efficacité est redoutable ne sont pas jugés dignes d’une bataille de chevaliers et sont relégués au dernier rang. L’idée d’attaquer les Anglais en s’infiltrant dans les bois qui jouxtent le champ de bataille est jugée indigne de la chevalerie. La boue qui entrave les pas des chevaux empesés par 100 kg de ferraille d’armure ne préoccupe pas l’État-Major, pas plus que l’inclinaison du terrain en faveur des Anglais, ni l’étroitesse du passage entre deux forêts, qui réduit la capacité de manœuvre. Une offre de paix honorable par Henry V est repoussée avec dédain.
Lorsque la bataille s’engage, la chevalerie française engluée dans la boue ne peut avancer. Le déluge de flèches provoque de nombreux morts dans l’avant-garde, y compris le général en chef, qui a tenu à combattre en première ligne, au mépris de la prudence. Les chevaux pris de panique rebroussent chemin et écrasent des soldats de l’arrière-garde. C’est une véritable boucherie. La piétaille et les hobereaux sont impitoyablement massacrés ; les princes sont pris en otage dans l’espoir d’une rançon, mais égorgés lorsque le roi Henry V craint une contre-offensive.
Les Anglais manœuvrent sous l’autorité de leur roi Henry V. leurs armes sont rudimentaires : des arcs, et des pieux ramassés dans des élevages de moules et aiguisés en leur tête pour éviscérer les chevaux. Les Français, privés d’un commandement unique et respecté, sont avant tout attachés à leur rang, à leur respectabilité, à l’honneur du code de la chevalerie.
Jean Theulé raconte la bataille d’Azincourt sans minimiser l’horreur d’une boucherie qui laissera des milliers d’hommes égorgés, noyés dans la boue, démunis de leur armure, jetés nus dans des fosses communes. Mais il manie une ironie mordante. Un exemple. « Les princes aux très pesantes armures complètes exubérantes pour épater les barons en découvrent les désagréments. Trop alourdis, ils s’enfoncent davantage dans la boue (…) Devant eux, les archers à poil tirent sans relâche sur les fervêtus du premier rang. Un comte voudrait se battre. Il empoigne le pommeau de son épée de guerre mais ne peut l’ôter du fourreau, à cause de son voisin trop collé contre lui. Ils sont si entassés qu’ils ne peuvent même pas s’emparer de leur lame ni tendre une lance.
Mais ne poussez pas ! »