Les visiteurs de personnes sous main de justice – en prison ou en milieu ouvert – se voient parfois qualifiés de « Bisounours ».
Ce sobriquet souligne leur gentillesse. Comme les ours en peluche, ils sont sociables, affectueux, attentifs aux autres. On les décrit aussi comme altruistes et généreux. Mais ils souffrent d’un défaut rédhibitoire : l’ingénuité.
La visiteuse ou le visiteur Bisounours s’imagine naïvement que tous les êtres humains sont, comme eux-mêmes, fondamentalement gentils. Il ne peut concevoir que le mal soit ancré au plus profond d’individus et de collectifs, au point d’en devenir indéracinable. Il ne voit pas qu’ils représentent un danger pour la société. Ils baissent la garde.
La faute du Bisounours, aveuglé par un optimisme coupable, consisterait à menacer la sécurité des citoyens. Celle-ci serait au contraire garantie par une « tolérance zéro » : des peines exemplaires dissuaderaient les délinquants et les criminels. La prison permettrait de neutraliser les gens dangereux tant qu’ils sont confinés derrière les barreaux. L’application de peines plancher aux récidivistes garantirait que leur éloignement soit de longue durée.
Et si le Bisounours avait raison ? Une approche « restaurative » (tenter de réparer les dommages commis) ne garantirait-elle pas mieux la sécurité publique qu’une approche « rétributive » (faire souffrir les infracteurs au moins autant qu’ils ont fait souffrir autrui) ?
L’empilement de lois de plus en plus répressives – création de nouveaux délits, allongement des peines encourues et des délais de prescription – a pour effet mécanique de remplir les prisons bien au-delà de leur capacité opérationnelle. Des milliers de détenus – et parmi eux beaucoup de jeunes – n’ont pas accès à l’enseignement, à une formation, au travail. Ils sont réduits à l’oisiveté. Ils conçoivent de l’amertume à l’égard de la société qui les traite mal. Ils s’engagent en prison dans les réseaux qui, à leur sortie, leur permettront de pratiquer la délinquance de manière plus professionnelle et d’accroître leurs chances d’échapper à la justice.
Loin d’être naïf et ingénu, le Bisounours est lucide. Il voit bien que la spirale de la répression génère à terme plus d’insécurité. Son expérience de relation avec des personnes qui ont commis des crimes et des délits le convainc de la nécessité de changer le paradigme de la justice pénale. Punir bien sûr, mais d’abord organiser les conditions de la « désistance », c’est-à-dire d’un parcours de sortie de la délinquance.
Finalement, être qualifié de Bisounours représente un compliment : le Bisounours est celui qui porte son regard plus loin que les mirages du court terme.
Magnifique !
MERCI Xavier, tu sais mettre des mots et l’accent sur ce que je pressentais, mais n’aurais su l’exprimer aussi clairement… Bravo 🙂