Dans « Bye bye Tibériade », Lina Soualem mène un dialogue avec sa mère, la comédienne Hiam Abbass, dans lequel il est question d’enracinement et de déracinement, de terre et de famille, de mères et de filles.
Les aïeux de Lina et Hiam étaient de Tibériade (Taibari en arabe), la ville au bord de « la mer » (le lac) où, selon les Évangiles, Jésus fit de pécheurs ses disciples, apaisa une tempête, réalisa une pêche miraculeuse, marcha sur les eaux.
En 1948, lors de la « nakba » (la catastrophe), ils en furent chassés par l’armée de ce qui deviendra Israël. Bloqués à la frontière, la famille reflua vers la Palestine. Expropriée de Tibériade, elle s’installa dans un village palestinien, Deir Hanna. Une tante de Hiam trouva refuge en Syrie, pays qu’elle ne fut jamais autorisée à quitter.
Le film de Lina Soualem utilise des images de différentes époques. En 2023, Hiam retrouve trois de ses sœurs dans la maison de leur mère décédée à Deir Hanna ? En juillet 1992, elle revient en Palestine, accompagnée de sa fille Lina, âgée de 3 ou 4 ans : un acte de réconciliation, après plusieurs années de brouille familiale. Le film utilise aussi des images d’archive sur la guerre de 1948 ainsi que des films de famille tournés en super-8, en particulier lots du mariage d’une sœur de Hiam.
Hiam a toujours voulu vivre libre. À l’âge de 14 ans, elle écrivait des poèmes, qu’elle dit dans un arabe mélodieux devant la caméra de sa fille. Ses parents la destinaient à devenir avocate ou médecin. Elle préféra étudier la photographie à Haifa, puis intégrer une troupe de théâtre à Jérusalem. Elle arracha à son père l’autorisation d’épouser un Anglais, vécut avec lui à Londres, divorça et s’installa à Paris alors qu’elle ne connaissait pas un mot de français afin d’exercer le métier de comédienne.
Bye bye Tibériade parle des liens de famille. Lorsque Hiam, munie de son passeport français, parvient à rejoindre sa tante exilée dans un quartier de Damas, elles s’étreignent longuement. Sa tante s’émeut de retrouver dans sa peau l’odeur de sa grand-mère, de sa mère, de sa terre.
Car c’est aussi du lien charnel avec la terre que parle le film. Sur les collines autour du village de Deir Hanna, des avants postes de colons israéliens ont été établis. La signalétique dans la ville de Tibériade est en hébreu. La menace d’une nouvelle expulsion, rejouant le scénario de 1948, est bien présent.
Peut-on se construire en repartant de zéro, en vivant éloigné de la terre où on a grandi ? En rompant les liens avec la mère qui t’a mise au monde, avec sa grand-mère, avec son arrière grand-mère ? En collant les photos de famille sur un mur de la maison familiale de Deir Hanna, sur le point d’être vendue, Hiam et Lina tentent de recoudre le tissu de leurs existences.