La mort de Jean Ferrat m’attriste. Sa poésie chantée a accompagné les différentes étapes de ma vie depuis l’adolescence.
Dans son livre « si c’est un homme », Primo Levi raconte l’unique moment ressemblant au bonheur qu’il vécut dans l’univers concentrationnaire. Choisi par un compagnon pour le rare privilège de chercher la soupe, il lui déclama des poèmes de Dante. C’est l’image qui me vient en apprenant la nouvelle du décès de Jean Ferrat. Le rapprochement n’est sans doute pas fortuit. Le père du chanteur disparut dans l’holocauste. L’une de ses plus belles chansons est « nuit et brouillard » : « ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers, nus et maigres tremblant dans ces wagons plombés ». Comme Dante était solidement ancré dans la mémoire de Levi, la poésie de Ferrat et celle d’Aragon magnifiée par Ferrat est pour moi indéracinable.
Un jour, un jour viendra couleur d’orange, un jour de palmes, un jour de feuillages au front, un jour d’épaule nue où les gens s’aimeront…
Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre, que serais-je sans toi qu’un cœur au bois dormant, que cette heure arrêtée…
Pourtant que la montagne est belle, comment s’imaginer en voyant un vol d’hirondelles que l’automne vient d’arriver…
Dieu le fracas que fait un poète qu’on tue…
Oh mon jardin d’eau fraîche et d’ombre… heureux celui qui meurt d’aimer…
Aimer à perdre la raison, à n’avoir que toi d’horizon, à n’en savoir que dire…
C’ets mon frère qu’on assassine, Potemkine !…
Camarade !
De plaines en forêts de vallons en collines / Du printemps qui va naître à tes mortes saisons / De ce que j’ai vécu à ce que j’imagine / Je n’en finirai pas d’écrire ta chanson / Ma France
Au grand soleil d’été qui courbe la Provence / des genêts de Bretagne aux bruyères d’Ardèche / Quelque chose dans l’air a cette transparence / Et ce goût du bonheur qui rend ma lèvre sèche / Ma France
Cet air de liberté au-delà des frontières / Aux peuples étrangers qui donnait le vertige / Et dont vous usurpez aujourd’hui le prestige / Elle répond encore du nom de Robespierre / Ma France
Celle du vieil Hugo tonnant de son exil / Des enfants de cinq ans travaillant dans les mines / Celle qui construisit de ses mains vos usines / Celle dont Monsieur Thiers a dit qu’on la fusille / Ma France
Picasso tient le monde au bout de sa palette / Des lèvres d’Eluard s’envolent des colombes / Ils n’en finissent pas tes artistes prophètes de dire qu’il est temps que le malheur succombe / Ma France
Leurs voix se multiplient à ne plus faire qu’une / Celle qui paie toujours vos crimes vos erreurs / En remplissant l’histoire de ses fosses communes / Que je chante à jamais celle des travailleurs / Ma France
Celle qui ne possède en or que ses nuits blanches / Pour la lutte obstinée de ce temps quotidien / Du journal que l’on vend le matin d’un dimanche à l’affiche que l’on colle au mur du lendemain / Ma France
Qu’elle monte des mines descende des collines / Celle qui chante en moi la belle la rebelle / Celle de trente six à soixante huit chandelles / Ma France.
(Photo RFI)