L’Angola et ses prédateurs

  

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 Le Sénateur Charles Pasqua annonce de sensationnelles révélations sur l’affaire de trafic d’armes et de corruption connue comme l’Angolagate. Dans un livre de 2005, Predadores (Ediçãos Dom Quixote) le romancier Pepetela (Artur Carlos Maurício Pestana dos Santos) raconte l’histoire d’un prédateur au sein de l’histoire tourmentée de l’Angola, depuis son enfance misérable jusqu’à sa chute annoncée.

En avril 2001, Vladimiro Caposso inaugure la fazenda qu’il a fait construire dans une vallée de la région de Huíla, au sud de l’Angola. Outre sa femme Bebiana et ses quatre enfants, Djamila, Ivan, Mireille et Yuri, sont présents son associé pakistanais Karim, des chefs d’entreprise, des ministres et des hauts fonctionnaires venus de Luanda par son propre hélicoptère et deux autres appareils prêtés par les forces armées. Il a de grands projets : édifier un barrage où l’on pourra pratiquer la voile et qui irriguera un terrain de golf,  construire une piste d’aviation. Deux ans plus tard, alors qu’il approche de la cinquantaine, son mariage religieux avec Bebiana donne l’occasion d’une autre fête d’un luxe inouï, largement couverte par la presse et la télévision. Mais c’est le début du déclin : Caposso Trade Company passe sous le contrôle d’actionnaires étrangers, ses affaires en Angola perdent de l’argent et il hésite à les renflouer en rapatriant les millions de dollars que pendant un quart de siècle il a amassés dans des paradis fiscaux.

Profitant de l’anarchie de la guerre et de la propension des fonctionnaires de l’état civil à accepter des gasosas (dessous de table), Caposso a fabriqué son passé. Né à Calulo dans le sud du pays, nommé José par ses parents, séparé de sa mère à l’âge de huit ans, il suit son père aide-soignant dans une errance qui l’amène adolescent et miséreux à Luanda. Il se dira né à Catete, patrie du héros de l’indépendance, et fils d’un révolutionnaire maquisard qui l’aurait  nommé Vladimiro en hommage au grand Lénine.

Le jeune Caposso a une place de commis dans une petite épicerie tenue par un Portugais. Celui-ci quitte le pays lors de l’indépendance en 1975 et lui laisse la gérance de son négoce, qu’il ne tarde pas à s’approprier. Il entre à la cellule de la jeunesse du MPLA de son quartier, trouve un poste de chauffeur au Ministère de l’Education, utilise la voiture de fonction comme taxi clandestin. Remarqué pour ses capacités d’organisation de manifestations sportives, il est nommé à un poste qui lui permet de voyager à l’étranger, de jouer sur les notes de frais et de mettre en place des comptes en dollars. Il achète en Hollande des minibus qu’il fait circuler à Luanda, et la pénurie de transports en commun rend ce circuit parallèle fort rentable.

Au cours du congrès du MPLA de 1985, Vladimiro n’hésite pas à témoigner en faux contre un haut dirigeant, en contrepartie de son ascension au Comité Central. Mais il n’y est pas élu, et décide l’année suivante de se consacrer totalement aux affaires. Le filon consiste à acquérir illégalement des marchandises du Monopole du Commerce et de les revendre aux détaillants à un prix intégrant la garantie d’approvisionnement. « Les gens de son âge constituaient la nouvelle génération de responsables des entreprises étatiques (…) Ce sont eux qui l’intéressaient, ils avaient les mêmes références, les mêmes rêves et surtout les mêmes ambitions, ils grimpaient rapidement dans la vie, même s’il était nécessaire de  passer sur le corps de beaucoup (…) Il apprit que chaque individu avait un prix, sauf les saints et les héros, toujours plus rares. Pour s’enrichir, il fallait payer toujours le minimum acceptable. Si la gasosa était excessive, les personnes s’habituaient à exiger davantage et les gains chutaient. L’art résidait en payer seulement et toujours le minimum, à ne jamais gonfler la gasosa ». Il consistait aussi en « avoir accès à des fonctionnaires influents, franchir en souriant les couloirs les mieux gardés, entrer sans frapper dans les cabinets ministériels. Plus de possibilités de connaître les choses du dedans, discuter la situation politique, influencer la prise de décisions, capter des informations ultraconfidentielles, être au bon endroit au bon moment avec la meilleure proposition. Ainsi grossit un requin ».

En 2004, la situation a changé. Caposso « oublie » de payer des commissions et les oubliés ne l’oublient pas. Il n’a pas accès aux marchés publics ouverts pour la reconstruction du pays après trois décennies de guerre. Il constate avec amertume que ses enfants ne suivent pas sa voie. Sa préférée, Mireille, étudie l’histoire de l’art à Paris. Il considère Ivan comme un « imbumbável », un fainéant bon à rien. Djamila rêve d’être médecin du travail dans l’entreprise de son père, dangereuse rêverie philanthropique, et Yuri fait du cinéma aux Etats-Unis. Une mode de « bonne gouvernance » s’est emparée des administrations, des entreprises et des médias.

Dans ce monde de prédateurs, Pepedela nous présente deux âmes pures. Nacib, fils de charpentier, rêve de mécanique. A la sortie du collège, il travaille comme apprenti chez un garagiste. Alors que Mireille, son amour inaccessible, lui fait sentir la différence de classe, il se lie d’amitié avec Kasseke, un gamin des rues. Revenu des Etats Unis avec son diplôme d’ingénieur pétrolier en poche, il n’oubliera pas son ami. Sebastião était ami d’enfance et de misère de Caposso lorsque celui-ci ne faisait pas encore appeler Vladimiro. Par idéal, il militait au MPLA et cherchait à s’engager. Trente ans plus tard, il est avocat bénévole d’une association qui milite, dans la région d’Huíla, aux côtés d’éleveurs privés de transhumance par les barbelés d’une fazenda et privés de leur ruisseau par un barrage. Le propriétaire se trouve être Caposso. Celui-ci rend visite à l’avocat, tente de l’amadouer en rappelant leur ancienne amitié. Mais celui-ci répond au « tu » par le « vous » et inflige au nouveau riche sa première défaite.

Le roman de Pepetela laisse un goût d’inachevé. La guerre que mène Vladimiro à Mireille pour la convaincre de s’associer à ses affaires est seulement esquissée, l’amour de Nacib pour Mireille semble presque sans espoir, Vladimiro paraît décidé à vivre en rentier, mais à cinquante ans à peine, l’idée de rapatrier ses fonds de l’étranger pour relancer une entreprise ne peut que le tenter. La frustration que ressent le lecteur n’est-elle pas celle de la vie elle-même ? Le roman est à l’image de l’Angola elle-même : en chantier.

 

Banque Palmas : contre la misère, la circulation monétaire

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Le livre de Joaquim Melo « Viva Favela, Quand les démunis prennent leur destin en main », écrit en collaboration avec Elodie Bécu et Carlos de Freitas (Michel Lafon 2009) raconte l’aventure d’un bidonville devenu en trente ans un quartier respecté, grâce à l’action collective de ses habitants. La création d’une banque de micro crédit, la Banco Palmas, est la plus récente étape de cette rédemption.

La Banque Palmas se présente comme une « pratique de socio économie solidaire de l’association des habitants du Conjunto Palmeiras », dépendant de la ville de Fortaleza, dans le Nord-Est du Brésil. Il s’agit d’un « système intégré de crédit, production, commerce, consommation et bonheur humain » : vaste et ambitieux programme ! Il existe un site Internet en français, http://www.banquepalmas.fr/.

46 autres banques ont été créées dans plusieurs Etats du Brésil sur le modèle de la Banque Palmas. « Le principe est toujours le même : une banque gérée par les habitants, qui utilise une monnaie valable uniquement dans le quartier et distribue des prêts à la production et à la consommation (…) Une banque communautaire vise à aider les quartiers où existent de fortes inégalités, et où les habitants n’ont pas accès aux services bancaires classiques. Elles constituent le noyau central d’un réseau d’économie sociale et solidaire et l’articulent autour des entreprises pour créer de l’emploi dans la communauté. »

Le principe est de mettre en circulation dans un quartier une monnaie qui n’a cours que sur place. Le crédit libellé dans cette monnaie permet aux commerçants de s’agrandir et à des entreprises locales de s’équiper ; il donne du pouvoir d’achat aux habitants et les fait accéder au statut de consommateur des produits fabriqués et commercialisés sur place. Cette monnaie, le Palma dans le cas du Conjunto Palmeiras, est convertible au taux de 1 pour 1 avec le Real, la monnaie officielle du Brésil, ce qui renforce la confiance des commerçants et des producteurs et leur permet de se procurer hors du quartier les biens qui ne se trouvent pas sur place. La banque est à la fois une « caisse de crédit mutuel » pour les habitants du quartier, et le correspondant local de la Banque Populaire du Brésil, une vraie banque avec son bilan et son informatique, créée par le gouvernement du président Lula à destination des publics les plus fragiles.

Il s’agit de l’application d’une équation de base de l’économie : le produit intérieur brut d’un territoire est le produit de la masse monétaire par la vitesse de la monnaie. Le génie de Joaquim Melo et des habitants du Conjunto Palmeiras est d’avoir su définir un territoire tout petit, celui d’une communauté de 32.000 habitants dotée d’une forte cohésion par les luttes passées, et d’avoir accru la vitesse de la monnaie en la découplant de la monnaie légale.  Bien contrôlé, ce mécanisme peut créer de la richesse et combattre efficacement la pauvreté.

Je reviendrai dans les jours prochains sur ce livre passionnant, un excellent traité d’économie sociale mais aussi le récit d’une aventure collective et personnelle.

 

Le Sacré rendu réel

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La National Gallery propose jusqu’au 21 janvier 2010 une exposition intitulée « The sacred made real » consacrée à la peinture et à la sculpture polychromique en Espagne au dix-septième siècle.

Les pièces présentées, dominées par les peintures de Francisco Zurbarán et les sculptures polychromiques de Pedro de Mena, figurent de façon réaliste les tortures subies par Jésus, sa mise à mort et la douleur insupportable de sa mère. Celui que la Bible désigne comme le « Fils de Dieu » est un jeune homme athlétique soumis à la plus extrême des souffrances. Son corps est meurtri de plaies sanglantes et couvert de bleus.

La religiosité espagnole du dix-septième siècle a pour arrière-plan l’Islam et sa foi dans un Dieu que nul ne peut représenter. Peintres et sculpteurs n’ont de cesse de mettre en scène l’Incarnation de Dieu dans la chair martyrisée. Elle s’oppose au protestantisme par un excès de mise en scène, de couleurs et de senteurs ; et elle lui dispute aussi le terrain de l’austérité par la référence constante à Saint François d’Assise et aux mystiques.

L’exposition a sans cesse le souci de présenter la continuité entre peinture et sculpture, illustrée par Alonso Cano, qui excellait dans les deux disciplines. Sa sculpture de la tête de Saint Jean de Dieu est tout en subtilité et en humanité. Vu par Cano, le saint, un Grenadin militant des droits des pauvres à la santé et fondateur d’hôpitaux, frappe par sa détermination et par sa compassion.

Nous retrouvons avec émotion Saint François en méditation, un tableau de Zurbarán propriété de la National Gallery, qui avait inspiré l’œuvre de la jeune peintre écossaise Alison Watts. Celle-ci avait en particulier été sensible aux plis de la robe de bure du personnage dont naissent lumière et ombre et, par leur affrontement, une vie possible à côté de la mort.

 

Ange Gardien

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 Le correspondant à Madrid du quotidien anglais The Guardian raconte comment une femme de Barcelone doit la vie à un médecin qui, dans un bus, lui diagnostiqua une maladie rare (The Guardian, 29 octobre).

Montse, une barcelonaise de 55 ans, éveille la curiosité de la femme assise en face d’elle dans le bus 64. Après avoir observé la forme particulière de ses mains, elle lui dit qu’elle présente les symptômes d’une maladie rare, une tumeur provoquant des troubles hormonaux. Elle lui tend un papier sur lequel elle a noté deux analyses de laboratoire à réaliser. Quelques semaines plus tard, Montse consulte son gynécologue pour son check-up annuel et lui demande d’ajouter les analyses recommandées par l’inconnue. A la surprise du médecin, elles révèlent des mesures totalement anormales qui confirment le diagnostic fait dans l’autobus. Montse est opérée avec succès d’une tumeur de la taille d’un petit pois sur une glande située à la base de son cerveau. Son « ange gardien », une endocrinologiste de 60 ans vient d’appeler le journal La Vanguardia : « les mains me donnaient beaucoup d’indices, dit-elle, mais je n’étais pas sûre de l’opportunité de dire quelque chose. Mais je suis une personne plutôt spontanée, j’aime mieux mettre les pieds dans le plat que de garder mon inquiétude pour moi ».

Combien d’entre nous évitent de mettre les pieds dans le plat lorsqu’un danger menace un inconnu ou même un proche ? L’Ange Gardien n’est pas un ange. C’est un gêneur qui s’invite dans la vie privée des autres, c’est un Cassandre qui ne craint pas d’annoncer de mauvaises nouvelles, c’est un empêcheur de mourir en rond.