Hajj, voyage au coeur de l’Islam

Le British Museum présente jusqu’au 15 avril une exposition intitulée « Hajj, a journey to the heart of Islam ».

 Il n’est pas facile de produire une exposition sur le pèlerinage à La Mecque, tant les susceptibilités sont à fleur de peau, tant du côté Musulman qu’Occidental. Les commissaires de l’exposition ont surmonté les obstacles. Elle dresse un portrait flatteur du cinquième pilier de l’Islam, mais ne censure pas par exemple le voyage incognito de l’explorateur Richard F. Burton à La Mecque en 1855 – malgré l’interdiction des non-musulmans dans ce lieu sacré – et elle donne un espace à de jeunes artistes qui expriment le Hajj selon les canons de l’art moderne (c’est le cas de Magnétisme, œuvre peinte en 2011 par Ahmed Mater).

 Lorsqu’ils se rendent à La Mecque, les pèlerins sont invités à un voyage au centre du monde (musulman) et à se recentrer eux-mêmes sur ce qui est essentiel. Ils ont au préalable remboursé leurs dettes et se sont mis en paix avec leurs proches. Ils se vêtent d’un vêtement blanc (irham), signifiant ainsi qu’il ne peut y avoir de différences en ce lieu et ce moment entre races ou conditions sociales. Ils se sentent membres de l’humanité, par l’intermédiaire du prophète Mohamed, d’Abraham et Ismaïl, constructeurs de la Kaaba, et d’Adam, qui apporta du Paradis une pierre blanche noircie par le péché des hommes.

 Parmi les découvertes de cette exposition, je citerais le pèlerinage du roi malien Mansa Musa en 1324 – 1325. Son voyage de Tombouctou à La Mecque par Ain Salah, Ghadames, Aujilla, Le Caire, Akaba et Médine fut spectaculaire : son convoi comportait 8.000 personnes dont 500 esclaves, marchant en tête chacun portant 2kg d’or. Les dépenses de Mansa Musa en Egypte furent si extravagantes que l’économie en fut déprimée pendant une dizaine d’années.

Près de trois millions de personnes ont fait le pèlerinage à La Mecque en 2011, dont 25.000 Britanniques et 23.000 Français. Les Indonésiens sont l’un des peuples les mieux représentés, avec pas moins de 250.000 pèlerins.

 Photo de l’exposition au British Museum : certificat de Hajj, 17ième – 18ième siècle. Au centre de l’image, la Kaaba.

Le Cri de la Grèce

Le caricaturiste du Guardian Steve Bell s’est inspiré de la peinture d’Edvard Munch “Le Cri” pour évoquer la situation de la Grèce après la mise en œuvre du plan de sauvetage de l’Union Européenne et du Fonds Monétaire International.

 « Le Cri » a été peint par Edvard Munch en quatre versions différentes. L’aquarelle (1895) appartenant à un collectionneur privé, vient d’être mise aux enchères par Sotheby à New York au prix de 80 millions de dollars. Comme le dit Simon Shaw, directeur des collections impressionnistes et modernes de Sotheby, « le Cri de Munch est l’image qui définit la modernité… Instantanément reconnaissable, c’est l’une des images très peu nombreuses qui transcendent l’histoire et atteignent la conscience universelle. »

 Steve Bell utilise le Cri pour évoquer la situation de la Grèce, étranglée par ses créanciers. Il est probable que l’accord écarte le risque systémique qui pesait sur les banques européennes et mondiales. Il est possible qu’il permettre à la Grèce, avec un produit national brut un quart moins élevé qu’avant la crise, de redémarrer sur une base assainie et de trouver son chemin au sein de l’Euro. Dans l’immédiat, ce que ressentent les Grecs, c’est l’angoisse des faillites d’entreprises, des pertes d’emploi, de la misère. Edvard Munch était Norvégien, mais son tableau illustre bien les sentiments de ce grand peuple de la Méditerranée.

Cézanne et Paris

Une exposition au musée du Grand Palais a présenté un aspect peu connu de l’œuvre de Paul Cézanne (1839 – 1906) : ses peintures liées à l’Ile de France.

 Paul Cézanne est connu pour ses peintures de la Provence, éclatantes de soleil et de couleurs. Mais il a commencé sa carrière à Paris, sous l’égide de son camarade de classe Emile Zola, et est souvent revenu en Ile de France, sur les rives de la Seine, de la Marne et de l’Oise, à la recherche d’une lumière toute en nuances. Il fréquentait assidument les ateliers d’autres peintres, notamment Pissarro, et passait de longues heures dans les salles du Louvre, avide de découvrir la source du génie de ses prédécesseurs. Matisse lui-même achètera au marchand réunionnais Ambroise Vollard un tableau de Cézanne, les Baigneuses, et dira que, lorsqu’effrayé par ses propres découvertes, il doutait de la voie à suivre, cette toile lui redonnait confiance en lui-même.

 Cézanne casse les lois de la perspective, ouvrant la voie au cubisme. Il célèbre le corps de la femme d’une manière étrange dans « l’Eternel féminin ou le Veau d’Or », où l’on voit des personnages aussi variés que possible (un peintre, un musicien, un évêque même) faire cercle autour d’une femme nue sur un lit, mais sans la regarder. Il peint sa propre épouse qui pose pour lui immobile pendant des heures, inexpressive, et prétend que le changement d’un détail l’obligerait à repenser totalement l’équilibre des formes et des couleurs.

 Dans le Pont de Maincy (1889 -1890), c’est l’harmonie du paysage où les arbres se reflètent doucement dans la rivière qui frappe le spectateur.

 Illustration : affiche de l’exposition au Musée du Luxembourg.

Géopolitique des stéréotypes et des préjugés

L’artiste bulgare Yanko Tsvetkov s’est fait une spécialité d’imaginer des cartes géographiques reflétant les stéréotypes et les préjugés. Dans The Guardian Week-end du 18 février, Tim Dowling rencontre Tsvetkov et présente son travail.

 Puisque la Grèce fait la une de l’actualité, la carte illustrant cet article de « transhumances » présente le monde vu depuis la Grèce. L’Europe est divisée entre la Grèce elle-même, les territoires grecs « prêtés » pour toujours (la Sicile, la Turquie), les zones semi civilisées (dont l’Union des Abrutis de Travail Radins – l’Union Européenne) et les orthodoxes barbares (civilisés par nous – la Russie).

 Une carte du monde vue depuis les Etats-Unis montre le Canada comme « Végétariens », l’Espagne comme « Mexique », la France comme « des gens qui puent », l’Italie comme « parrains » et l’Asie centrale comme « Borat ».

 Tsvetkov a aussi réalisé une carte d’Europe berlusconienne. L’Italie est « Mamma Mia », la France « Bravissima Carla », l’Espagne « Minette en feu », le Royaume Uni « The Queen », la Biélorussie « Minette dictatoriale » et la Russie « des hommes plus petits que moi ».

 L’idée de réaliser des cartes à partir des stéréotypes et des préjugés des peuples les uns sur les autres est venue à Yanko Tsvetkov alors qu’il vivait encore dans sa Bulgarie natale. Tim Dowling écrit de lui « Tsvetkov lui-même est bien loin d’avoir l’étroitesse d’esprit de ses tableaux. Il parle plusieurs langues, vit actuellement en Espagne et se sent à l’aise dans toute l’Europe. « J’ai des amis dans la plupart des principaux pays européens », dit-il. « Je suis designer, donc nous sommes une grande communauté. Nous sommes comme l’idéal européen ». Est-ce que son cosmopolitisme contribué à faire de lui un expert sur les préjugés et stéréotypes locaux ? « Oui, il y a des choses que vous ne pouvez percevoir qu’en vivant parmi les gens, mais Internet est utile ».

 Illustration : L’Europe selon les Grecs, Yanko Tsvetkov.