Le Premier Fugueur

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Le Musée d’Art Contemporain de Bordeaux (CAPC) vient de présenter une exposition intitulée « le premier fugueur » de Johann Furåker, artiste né en 1978 qui vit à Malmö, en Suède.

Le CAPC occupe l’entrepôt Lainé, immense bâtisse de pierre de taille et de briques construit en 1824 dans le quartier bordelais des Chartrons pour stocker des marchandises du commerce colonial. Parmi les expositions actuellement présentées, celle de Johan Furåker est particulièrement intéressante.

Le « premier fugueur » est un bordelais, Albert Dadas. En 1887, il est hospitalisé dans un hôpital de sa ville. Il dit au psychiatre qu’il revient d’un long voyage et qu’il n’a qu’un désir, celui de repartir. Sous hypnose, il raconte que son voyage a duré un an, qu’il « parcourait parfois jusqu’à soixante kilomètres à pied en une journée, qu’il était allé du sud de la France à Moscou en passant par l’Autriche, la Turquie ou l’Algérie notamment, qu’il égarait ses papiers d’identité et pouvait ainsi errer dans une amnésie identitaire pour passer « librement » d’une détention à l’autre, d’un train à l’autre », dit le catalogue de l’exposition. « Albert Dadas est d’abord un fugueur. L’étude de son cas fait de lui un « touriste pathologique ». C’est le premier. Cette manière incontrôlable et obsessionnelle de voyager sans but apparent et avec des trous de mémoire quasi-insondables, est à l’origine de la fascination qu’exerce son histoire sur Johan Furåker. »

Furåker suit les traces de Dadas, dont le portrait, regard dans le vague, scande le parcours de l’exposition. Il utilise plusieurs techniques, de l’aquarelle à la peinture à l’huile, et s’inspire de plusieurs styles, d’un hyperréalisme presque photographique à des œuvres abstraites évoquant la confusion mentale du « touriste pathologique ». Les œuvres les plus remarquables sont des sites urbains baignés dans une couleur improbable, dont certains éléments sont peints dans un extrême détail, pendant que d’autres sont laissés opaques. Un tableau évoque ainsi la gare de Nice. Tout semble net comme dans une photographie. Mais les voitures taxi attelées sur le parvis de la gare sont dénuées de portes et de fenêtres, noires comme des corbillards.

Les sites visités par Dadas nous apparaissent comme en rêve, parfois identifiables mais pas toujours, souvent associés à des images de machines, l’autre grande obsession du dix-neuvième siècle, qui industrialisa le mouvement et inventa la mobilité de masse.

Illustration : Gare de Nice en 1890, Johan Furåker 2008. (www.johanfuraker.com)

Rouen, à l’ombre de Saint Jean-Baptiste

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La Tour du Gros Horloge à Rouen est décorée d’un bas relief représentant Saint Jean-Baptiste. Et l’un des portails de la Cathédrale illustre sa décollation.

A gauche, le roi Hérode et ses convives admire la danse de la belle Salomé. Celle-ci obtient en remerciement la tête de Jean-Baptiste. Comme dans une bande dessinée, on assiste à la décapitation du saint dans son cachot, à droite de la scène. Mais l’histoire ne suit pas tout à fait l’ordre chronologique : on revient au centre du tableau pour voir Salomé recevoir son trophée.

Lorsque la cathédrale a été construite, Rouen était une capitale du textile. Comme dans les Cotswolds, en Angleterre, les tisseurs avaient le culte du mouton et avaient fait de l’ermite à la peau de mouton leur saint patron.

Photo « transhumances »

Rouen, Aître Saint-Maclou

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Dans le centre historique de Rouen, l’Ecole des Beaux-arts abrite un monument unique, l’aître Saint-Maclou, un charnier créé aux seizième siècle pour enterrer les victimes de la peste. Les bâtiments qui le bordent sont décorés de bois sculpté représentant une danse macabre.

Sur des panneaux de bois sont représentés des ossements, des instruments liturgiques de l’office des morts, les instruments de la passion du Christ et les outils du fossoyeur.

Sur les colonnes sont sculptées des séries de couples personnifiant une danse macabre. « La danse macabre », dit le feuillet remis aux visiteurs, « est liée directement au choc psychologique provoqué par l’effroyable mortalité de la Peste noire et aux résurgences de l’épidémie qui fauchent les générations suivantes(…) L’angoisse de la mort omniprésente se développe parmi les populations. La danse macabre répond à cette peur en dressant une satire sociale reprochant la recherche des honneurs et des richesses et affirmant l’égalité de tous après la mort, sans distinction de rang ni d’âge. »

L’aître Saint Maclou à Rouen est de la même veine que l’église de la Chaise Dieu. Les inquiétudes collectives existent aujourd’hui, mais pas au niveau d’angoisse qui prévalait il y a quatre siècles.

Photo « transhumances »

Susan Hiller à la Tate Britain

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La Tate Britain présente une exposition consacrée à l’artiste Susan Hiller, née aux Etats-Unis en 1940 et qui travaille en Grande Bretagne depuis le début des années 1970.

« Hiller juxtapose des connaissances dérivées de l’anthropologie, de la psychanalyse et d’autres disciplines scientifiques avec des matériaux généralement considérés comme non importants tels que des cartes postales, des papiers peints, des films populaires ou des annonces sur Internet ; elle joue à la fois sur le familier et sur l’inexpliqué et invite le spectateur à  participer à la création du sens », dit le catalogue de l’exposition. Nous avions déjà trouvé ces caractéristiques, utilisation de matériaux de la vie de tous les jours et invitation au spectateur à trouver lui-même une signification, dans les collages de John Stezaker.

Une œuvre particulièrement intéressante est intitulée « From the Freud Museum » ; elle fut en effet initialement conçue pour la Maison de Freud à Londres. Une série de boites ouvertes associent un objet (un disque, des têtes en porcelaine peinte etc.) et une image onirique qui confère à l’objet un aspect insolite et troublant.

« Witness » est une série de morceaux de verres et de microphones suspendus du plafond dans une salle obscure. Chaque microphone raconte une histoire de rencontre avec des OVNI. Il y a des dizaines de microphones, de locuteurs et de langues. Le murmure qui s’en dégage et la couleur bleue dans laquelle baigne toute l’œuvre donnent à la fois un sentiment d’étrangeté et d’harmonie.

Illustration : « Witness » de Susan Hiller