Claude Monet au Grand Palais

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La rétrospective Claude Monet 1840 – 1926 au Grand Palais constitue une occasion unique d’admirer et de comprendre dans son étendue historique l’œuvre de l’un des fondateurs de l’impressionnisme.

Séjournant à Antibes en 1888, Claude Monet se dit très inquiet de ce qu’il fait : « c’est si beau ici, si clair, si lumineux ! On nage dans de l’air bleu, c’est effrayant ! ». Cette réflexion dénote le choc d’un peintre habitué à la lumière subtile de la Normandie, de la vallée de la Seine ou de Londres lorsqu’il est confronté à la lumière méditerranéenne. Plus profondément, elle exprime une attitude profondément contemplative : le peintre reçoit les falaises d’Etretat, le reflet de l’église de Vétheuil dans la Seine, le Parlement britannique environné de brume, la fumée des locomotives dans la gare Saint Lazare ou le jeu du soleil sur la façade de la Cathédrale de Rouen comme de sublimes et éphémères manifestations de la Beauté qu’il lui faut fixer sur la toile. Le métier de peintre est une lutte incessante, que les « séries » (de meules de foin, de cathédrales, de paysages) illustrent parfaitement : Monet mène de front plusieurs toiles, qu’il reprend à différentes heures de la journée de manière à capter la luminosité propre à différents moments.

Au début 1880, Monet peint la débâcle de la Seine à Vétheuil. L’hiver a été particulièrement rigoureux et le fleuve charrie d’énormes blocs de glace disloqués. Quelques mois plus tôt, il avait peint sa jeune épouse Camille sur son lit de mort. Comme le dit le catalogue de l’exposition, « le visage semble emporté comme les glaçons des Débâcles sur la Seine, au diapason du  deuil et de la douleur de l’artiste ». Cette toile est particulièrement émouvante.

Illustration : la débâcle, temps gris, par Claude Monet, 1880.

Bulgari

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L’exposition « Bulgari, 125 ans de magnificence italienne » au Grand Palais offre pour douze euros l’accès éphémère à un monde interdit où l’art le dispute à la séduction et à l’étalage du luxe.

Organisée à l’occasion du cent vingt cinquième anniversaire de l’installation par Sotirio Bulgari de sa première boutique d’orfèvrerie à Rome, l’exposition présente 500 bijoux classés selon un ordre chronologique, des origines encore marquées par l’esthétique néohellénique à la haute joaillerie d’aujourd’hui, en passant par la révolution des années soixante marquée par l’introduction de pierres précieuses colorées.

L’exposition peut se lire sous différents angles. Il s’agit d’abord de la saga d’une famille dont les racines sont en Grèce mais dont le pays d’adoption est l’Italie. Cette saga raconte un incroyable succès industriel et commercial. Sotirio Bulgari s’implanta d’abord à Naples, puis à Rome dans la dynamique de la toute jeune république italienne. Il ouvrit ensuite des boutiques là où ses clients italiens fortunés passaient leurs vacances, Saint Moritz ou San Remo, ce qui lui permit en rebond de se construire une renommée parmi l’aristocratie et la haute bourgeoisie d’Europe du Nord. Les générations suivantes ont persévéré dans la même veine : bâtir un empire du luxe centré sur ce qu’on appelle aujourd’hui la jet-set.

L’exposition se lit aussi comme un parcours dans l’histoire de l’art de la joaillerie. D’une décennie à l’autre, les formes, les volumes et les proportions évoluent ; à la monochromie de l’argent succède la symphonie de couleurs des émeraudes, rubis et saphirs. Bulgari cueille l’esprit du temps et crée des bijoux jamais vus. Des armées d’ouvriers taillent les pierres en s’efforçant de restituer leur âme ; d’autres les assemblent avec des mécanismes ingénieux.

Enfin, l’exposition constitue une plongée dans le monde des stars, du sexe et du pouvoir. Intelligemment, des images de films italiens privées de leur son montrent des actrices rayonnantes de séduction, parées de bijoux Bulgari. Le cas le plus flagrant est celui d’Elizabeth Taylor qui, sur le tournage de Cléopâtre en 1962 rencontre Richard Burton. Entre l’amant, Richard, et le quatrième mari, Eddie Fisher, s’engage une compétition dont la règle est d’acheter chez Bulgari les bijoux qui feront pâmer la belle.

Le visiteur est frustré de se retrouver ce ce côté-ci du miroir et de regarder comme un badaud une société de milliardaires planant à des années-lumière. Mais il reste au moins l’art à admirer, sublime.

Illustration : « cent vingt cinq ans de magnificence italienne, Bulgari au Grand Palais ».

Ashmolean Museum à Oxford

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L’exposition « les Préraphaélites et l’Italie » nous a donné l’occasion de connaître le Musée Ashmolean d’Oxford, qui vient d’être rénové.

A vrai dire, l’exposition « les Préraphaélites et l’Italie », qui s’est achevée le 5 décembre, nous a déçus. Nous aimons cette « fraternité » de peintres anglais du milieu du dix-neuvième siècle qui prétendait renouer avec la spontanéité et la naturalité d’avant Raphaël : Rossetti, Hunt, Millais ont profondément marqué l’esthétique en Grande Bretagne. Mais les tableaux rassemblés ne sont pas les meilleurs et leur éclairage est détestable. L’intérêt de l’exposition repose principalement sur l’évocation de la personnalité de Ruskin, un passionné de l’art italien, qu’il fit connaître et préserver ; Ruskin fut un sponsor des préraphaélites. Les peintures du lac de Côme ou de la cathédrale de Lucques ont ranimé de chers souvenirs.

Il est étonnant que la mise en scène de l’exposition ait été ratée. La rénovation de l’Ashmolean, qui se flatte d’être le premier musée public de Grande Bretagne (depuis 1683) est un grand succès. Le musée offre un condensé de l’art à travers les époques et les continents. Les pièces présentées sont souvent exceptionnelles, et l’éclairage souligne leur beauté. Les explications sont lisibles. Nous regrettons de n’avoir le temps de louer un audio-guide : il constitue certainement un cours d’histoire de l’art complet, appuyé sur la matérialité des collections présentées.

Illustration : Le premier anniversaire de la mort de Béatrice par Dante Gabriele Rossetti. Site Internet de Ashmolean Museum : http://www.ahsmolean.org.uk

Francis Bacon par Tom Lubbock

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En marge de l’article de Tom Lubbock dans The Observer (voir le précédent article de « transhumances », Quand les mots m’ont lâché), Laura Cumming rend hommage à son ami Tom, une source d’inspiration pour elle. Elle cite un article écrit par lui sur l’exposition Francis Bacon à la Tate Britain en septembre 2008 pour The Independant.

« Sa théâtralité est évidente. Les peintures de Bacon sont des scènes, faites de zones distinctes, de toiles de fond, de portes et d’accessoires et d’acteurs assortis. Ses gens sont présentés en plein cadre, généralement au centre. Je ne nie pas que ces personnes sont parfois dans un terrible désarroi. Tout le monde a, au premier contact avec l’art de Bacon, une impression de voitures accidentées, d’impact de bombes, de brûlures, d’effondrement, d’abattoir. La peinture rouge et les bouches ouvertes encouragent bien sûr cette réaction. Mais elles ne devraient pas nous distraire de la surprenante pièce qui se joue devant nos propres yeux. Bacon est un magicien, un artiste de la métamorphose. Il réussit les actes de disparition et de réapparition les plus soudains, les fusions et les transformations. La chair glisse, boit à grand bruit, se souille, éclate, s’estompe, s’efface, s’évapore, se dématérialise brutalement. Prestidigitation : il est tout simplement impossible de voir comment c’est fait, comment ça bouge du solide à la pellicule au fantôme au reflet et en sens inverse.

Tout ce dégât met en fait de l’animation. Il n’y a pas un cadavre partout dans le travail de Bacon. Son traitement sauvage est en  fait une extension, une exagération, des propres mouvements, sensations et expressions du corps. Et bien que son utilisation de la peinture à l’huile lui donne un langage plus liquide, on aurait tort de le voir dans la ligne de la caricature graphique anglaise, et la manière dont il utilise la distorsion ne se contente pas de jouer avec la vraisemblance, mais elle injecte de l’énergie et met les nerfs à nu. »

Photo de l’exposition de 2008 à la Tate Britain : Francis Bacon, triptyque, 1972.