Jours de Pêche en Patagonie

Alejandro Awada et Victoria Almeida dans « Jours de Pêche en Patagonie »

Le film « Días de Pesca » (Jours de pêche en Patagonie) de l’Argentin Carlos Sorin nous raconte la tentative d’un homme pour renaître à la vie après que sa vie a fait naufrage.

 Marco Tucci (Alejandro Awada), cinquante-deux ans, se rend dans à Puerto Deseado (Port Désiré), dans le sud glacial et venté de l’Argentine, pour prendre des vacances. Il entend s’initier à la pêche au requin. En réalité, il a un autre projet : renouer avec sa fille Anna (Victoria Almeida), avec qui il a rompu depuis des années.

 Marco est un homme éternellement souriant. Il se lie facilement. Dans un bar routier, il fait la connaissance d’un entraîneur et de sa boxeuse. Au bord de l’eau, il engage la conversation avec un pêcheur de moules : celui-ci l’invite à partager son barbecue ; il est Colombien et veut faire le tour du monde avec ses deux copines. Il fait affaire avec un pêcheur aux requins, qui le prendra à son bord.

 Marco refuse obstinément l’alcool. C’est qu’il sort d’une cure de désintoxication. L’attitude d’Ana à son égard est pleine d’ambigüité. Elle est fière de lui présenter son mari et leur petit garçon, son petit fils dont il ignorait l’existence. Elle est émue aux larmes à l’entendre fredonner un air d’opéra comme il le faisait pendant les dîners familiaux, autrefois. Mais Ana est aussi terrorisée à l’idée que Marco, de nouveau, puisse ruiner sa vie comme il a ruiné celle de sa mère.

 On ne sait pas ce qui s’est vraiment passé. Tout est suggéré. La sortie en mer de Marco tourne au désastre et s’achève à l’hôpital après un malaise cardiaque. C’est à l’hôpital qu’il rencontre de nouveau la boxeuse, sérieusement amochée après un match perdu. Le jouet acheté pour le fils d’Ana, un chien rockeur, chante et danse mécaniquement de manière pathétique dans la solitude d’une chambre d’hôtel.

 Pourtant, Marco ne perd pas espoir. Nous ne saurons pas s’il a réussi son pari fou de redémarrer dans la vie et d’écrire une page neuve. Du moins sommes-nous certains qu’il n’a pas été anéanti.

 « Jours de Pêche en Patagonie » est un film plein de poésie Carlos Sorin décrit la Patagonie comme un lieu abstrait, sans couleur locale, sans espoir : un espace vide. Dans ce décor âpre et rude, les sentiments s’expriment avec délicatesse, tout en nuance. Tout est beau dans ce film, le jeu des acteurs (la plupart amateurs), la photographie et la musique de Nicolás Sorin qui évoque celle de Ludovico Einaudi.

Renoir

Christa Théret et Michel Bouquet dans « Renoir »

Le film « Renoir » de Gilles Bourdos dépeint un Auguste Renoir au crépuscule de sa vie, s’acharnant à préserver une oasis de beauté et de création artistique alors que le malheur fait rage.

 En 1915, Auguste Renoir (Michel Bouquet) est âgé, souffre de polyarthrite et ne peut marcher. Dans son domaine des Collettes, à Cagnes sur Mer, il est le patron, régnant sur un groupe de femmes à son service. Malgré la souffrance et la maladie, il continue à travailler d’arrache pied, se faisant transporter à son atelier ou en pleine nature pour peindre ce qui le fascine, le corps des femmes dans la lumière.

 Il a besoin d’un modèle. Une toute jeune femme arrive au domaine, venue de nulle part, Andrée (Christa Théret). Elle est vive, ambitieuse, rebelle. Surtout, elle a un corps charnel comme Renoir les aime et une peau veloutée qui capte magnifiquement la lumière. Andrée devient la muse de l’artiste et lui permet de revenir au sommet de son art.

 Pourtant, le malheur frappe. Pierre et Jean, les deux fils aînés d’Auguste, sont blessés au front. Son épouse, bien plus jeune que lui pourtant, vient de décéder. Claude (Thomas Doret), le fils cadet resté au domaine, est en révolte permanente contre un père qui ne sait pas lui prodiguer de l’amour. Jean (Vincent Rottiers) vient aux Collettes en convalescence. Il ne tarde pas à tomber amoureux d’Andrée.

 Dans le domaine, tout semble se dérouler au ralenti, les séances de pose interminables, le souffle du mistral sur les herbes, le pique-nique au bord du ruisseau. Pourtant, les tensions s’exaspèrent lorsque Jean décide de retourner au front. Andrée se sent trahie, Auguste est menacé de perdre le modèle qui lui a rendu confiance en son art. L’oasis de beauté qu’il a réussi à préserver dans un monde enlaidi par la guerre est menacée de submersion.

 Il semble ne rien se passer, mais tout se passe derrière les apparences. Jean, le fils incertain sur son avenir, promet à Andrée que la guerre finie il fera des films dont elle sera la vedette. Auguste, le patron au cœur sec, le paralysé du corps et du cœur, parvient à se dresser sur ses pieds et à étreindre son fils à l’heure des adieux.

Un enfant de toi

Le dernier film de Jacques Doillon, « Un enfant de toi », suscite des commentaires contrastés. « Transhumances » l’a aimé.

 Mon ami italien Lionello dit qu’en moins d’une minute, un téléspectateur italien sait que le film sur lequel il vient de zapper est français. Les personnages vivent dans un milieu petit bourgeois indéfini ; ils n’exercent pas d’activité professionnelle ou celle-ci ne compte pas dans leur existence ; ils n’ont pas d’engagement associatif ou militant. Ils n’ont guère d’amis. Ils sont en comme en suspension, hypnotisés par leurs affaires de cœur. Mêmes passionnelles, celles-ci se déroulent au ralenti, de sorte qu’aucun état d’âme n’est épargné aux spectateurs. Les personnages semblent jouer les scènes de leur vie comme des moments de théâtre ; leur élocution comme la bande-son soulignent cette théâtralité.

 Un téléspectateur italien identifierait immédiatement « Un enfant de toi » comme un film typiquement français. Si Victor (Malik Zidi) exerce une profession de dentiste qui le caractérise comme un homme bien comme il faut, son métier se situe dans un compartiment étanche et ne se mêle pas à la seule chose qui compte : réussir le couple qu’il forme avec Aya (Lou Doillon). Aya semble vaguement employée dans une galerie d’art. Louis (Samuel Benchetrit), son ex compagnon et père de leur ravissante et espiègle petite fille Lina (Olga Milshtein), n’a aucune activité professionnelle connue. Aya vit avec Victor mais se demande si c’est avec lui qu’elle fera son deuxième enfant. C’est après plus de deux heures d’interrogations existentielles qu’elle finira par se décider. On comprend que beaucoup de critiques haïssent ce film dans lequel les déchirements amoureux semblent un luxe que seuls des gosses de riches préservés des vraies difficultés de la vie peuvent se permettre.

 Pourtant, j’ai aimé « Un enfant de toi ». D’une séquence à l’autre, les personnages acquièrent une véritable densité charnelle. Aya vit avec Victor, un homme gentil et attentionné, mais elle ne guérit pas de sa relation tumultueuse avec Louis. « Le manque de toi fait partie de moi », lui dit-elle. Elle entreprend de ré-apprivoiser Louis. La caméra nous montre les regards furtifs, les gestes esquissés et non aboutis, les baiser frustrés et ceux qui, brutalement, trouvent la faille. Aya et Louis sont deux félins, mortellement ennemis et mortellement attirés l’un par l’autre. Face à ce couple animal, Victor est un animal blessé. Rien ne lui apporte le confort, pas même la décision – éphémère – d’Aya de ne plus revoir son rival. Quant à Lina, sans l’air d’y toucher, elle s’impose peu à peu comme le véritable maître du jeu dans lequel les adultes s’avancent à tâtons.

 Il n’y a pas d’action dans ce film, mais beaucoup de « transhumances » d’un état psychique à un autre. C’est un film français, un bon film français.

Populaire

Romain Duris et Déborah François dans « Populaire »

Le film « Populaire » de Régis Roinsard est une honnête comédie qui joue sur la nostalgie de la France des Trente Glorieuses.

 En 1958, Rose Pamphyle (Déborah François) n’a qu’une ambition : quitter son village bas-normand et embrasser une carrière symbole de modernité : celle de secrétaire. Elle parvient à se faire embaucher par un agent d’assurances de Lisieux, Louis Echard (Romain Duris).

 Déprécié par son père, rongé par le remords d’avoir été le seul survivant de son groupe de résistants pendant la guerre, champion sportif inabouti, Louis a des revanches à prendre sur la vie. L’instrument en sera Rose, dactylographe hors pair capable de frapper à deux doigts des centaines de caractères à la minute. Louis se réinvente en agent et entraîneur de Rose dans une compétition sportive improbable : la vitesse de frappe dactylographique. Rose devra apprendre la frappe aveugle à dix doigts, suivre des cours de piano pour l’assouplissement des doigts, courir pour améliorer le souffle et l’endurance. Inévitablement, Louis et Rose s’éprennent l’un de l’autre. Leur amour sera-t-il un carburant pour la compétition, ou bien une fatale distraction ?

 On se retrouve plongé dans le délicieux passé de la Dyna Panhard et de la machine à écrire rose « la Populaire » de Japy. On est rassuré par la trame cousue de fil blanc de l’histoire : tout va de mieux en mieux, tout s’effondre, tout se termine bien grâce à un miraculeux coup de théâtre.

 En résumé, un film à voir en famille, sans lui demander plus de ce qu’il peut offrir.

La secrétaire modèle aux commandes de sa Populaire Japy