George Harrison, vivre dans le monde matériel

Le film de Martin Scorsese, « George Harrison, living in the material world », a été réalisé en 2011, dix ans après la disparition du chanteur. Il nous décrit le parcours d’une personnalité forte et attachante.

 L’affiche du film (diffusé en deux DVD) nous montre le visage de George Harrison émergeant d’une surface liquide sereine, nous fixant d’un regard énigmatique. L’image est bien choisie : elle situe George entre deux mondes, l’eau et l’air étant une allégorie du matériel et du spirituel. Imprégné de spiritualité indienne, Harrison était convaincu que le corps n’est que l’enveloppe provisoire de l’âme. Son épouse, Olivia Harrison, raconte dans le film combien George avait été choqué par l’assassinat de John Lennon, non seulement parce qu’il perdait un ami cher mais aussi parce que celui-ci n’avait pas eu la chance de vivre consciemment ce passage qu’est la mort. George, dit Olivia, s’était entraîné toute sa vie en prévision de ce moment.

 Le film fut projeté en avant première à la Foundation for Art and Creative Technology de Liverpool, et c’est justice. Harrison et les Beatles sont nés à Liverpool, et ils sont traversés par l’énergie de cette ville anglaise et irlandaise, ouverte sur l’Océan, abîmée par la guerre et avide de vivre.

 La période Beatles est d’une extraordinaire fécondité artistique. Soumis à la pression de foules hystériques, le groupe ne trouve d’intimité qu’entre soi et forme une communauté de vie et de création. Peu à peu toutefois, des intérêts divergents s’expriment. Au nombre des raisons qui conduisent à l’éclatement du groupe en 1970 se trouve la frustration de George, dont peu de chansons sont acceptées. Des dizaines de titres inédits serviront de base à sa carrière en solo.

 Qualifié de « Beatle tranquille », s’exprimant d’une voix douce laissant le temps à la réflexion, George Harrison allait aussi au bout de ses passions. Il passa des jours à réciter les mantras de Hare Krishna, apprit la musique indienne aux côtés de Ravi Shankar, initia le premier concert mondial humanitaire (concert pour le Bangladesh en 1971), s’enthousiasma pour la course automobile avec Jackie Stewart, produisit les films des Monty Python, acheta un grand manoir néogothique en ruines, Friar Park à Henley (en amont de Londres sur la Tamise) le restaura, y installa un studio d’enregistrement et se révéla un paysagiste talentueux.

 Ce qui se dégage du film, c’est la capacité de George Harrison à se faire des amis et à les conserver. Ringo Star raconte la visite qu’il lui avait rendue dans la clinique en Suisse où il était hospitalisé, dans les derniers mois de sa maladie. Il avait pris congé, car il devait se rendre à Boston pour rencontrer sa fille, elle-même soignée pour un cancer. « Veux-tu que je t’accompagne ? » lui demanda George.

La Dame de Fer

Le film de Phyllida Lloyd « The Iron Lady » (La dame de fer) raconte la carrière exceptionnelle d’un personnage révéré et haï dans son pays et à l’étranger : Margaret Thatcher.

 Margaret Thatcher n’est pas morte que déjà l’organisation de ses obsèques nationaux est commentée par les journaux britanniques. Et c’est une Thatcher vieillie et même sénile que nous présente le film réalisé par Phillida Lloyd et écrit par Abi Morgan. Dans la première scène, elle va elle-même acheter son lait et provoque la panique de l’équipe de sécurité censée la protéger, d’abord contre elle-même. Revenue chez elle, elle se plaint de la hausse du coût de la vie. Margaret se retrouve en terrain connu : elle était fille d’épicier et aux anciens élèves d’Eton qui constituaient (et constituent encore) l’épine dorsale du Parti Conservateur, elle fait la leçon en citant le prix d’articles du panier de la ménagère.

 Thatcher a toujours pensé pour agir, et agir pour changer les choses. A l’approche de la mort, il lui faut apprendre à être. Elle a toujours tracé son chemin seule, seule femme dans un monde d’hommes. Mais lorsque Dennis, son mari, la laisse veuve, elle ne ressent que vide et désespoir.

 Le film est construit autour de flash-back, dans lesquels Maggie se rappelle de moments-clés de sa vie, sa vie à l’épicerie familiale, le Blitz, la première campagne électorale, la rencontre avec Dennis, la bataille pour le leadership du parti Tory, les grèves de mineurs, l’attentat de l’IRA à Brighton, la sourde-oreille à la grève de la faim de Bobby Sand, la guerre des Malouines et finalement la bataille de trop et la révolte des députés Tory qui la contraignent à la démission. « Je me suis battue à chaque instant de ma vie », dit Maggy aux généraux venus lui présenter des plans de reconquête des Malouines.

 Le film nous incite à la pitié pour la personne délabrée que la femme de fer est devenue dans son grand âge. Il nous fait admirer sa détermination malgré les épreuves. Il nous montre la fermeté de ses convictions : la protection sociale infantilise les gens, il ne faut pas avoir peur du succès, il faut encourager l’esprit d’entreprise. Il s’attarde longuement sur la victoire des Malouines. Il présente Callaghan et les Travaillistes comme des velléitaires et des faibles.

 Il est certain que « La Dame de Fer » est un film apologétique, et le Parti Conservateur ne cache pas sa satisfaction. Il reste qu’il ose s’intéresser à un personnage considérable de l’histoire contemporaine de la Grande Bretagne et que la performance de Meryl Streep dans le rôle principal est remarquable.

La Couleur des Sentiments

« The Help » (la Couleur des Sentiments) est l’adaptation cinématographique par Tate Taylor du best seller de Kathryn Stockett sur l’éveil à la conscience de bonnes noires au début des années soixante dans le Mississipi.

 Le film est une production de Hollywood comme on les aime : des personnages typés, une marée de bons sentiments, des rebondissements, un happy end. Il nous décrit la vie des bonnes noires au service de familles blanches dans la région de Jackson (Mississipi) alors que l’égalité civique est loin d’être acquise. Dans la bourgeoisie blanche, les hommes travaillent et sont absents. Les femmes mènent une vie sociale futile entre soins de beauté et table de bridge. Elles sous-traitent l’éducation de leurs enfants aux bonnes noires. Celles-ci ont avec les petits enfants blancs une relation d’intimité quasiment charnelle. Aibileen (Viola Davis) encourage la petite fille dont elle a la charge : « you is kind, you is smart, you is important » (toi est gentille, toi est intelligente, toi est importante).

 Si les bonnes noires sont placées dans une situation de pouvoir de fait par la démission des parents, elle peuvent néanmoins être remerciées du jour au lendemain, elles n’ont aucun recours contre les accusations calomnieuses de leurs maîtres et sont l’objet d’un mépris permanent. Une jeune femme de Jackson, Hilly, fait campagne pour installer des toilettes séparées pour les femmes de couleur, au prétexte qu’elles sont porteuses de maladies spécifiques.

 Skeeter (Emma Stone), une jeune étudiante blanche, revient à Jackson pour chercher du travail après ses études universitaires. Elle découvre qu’Augustine, la bonne qui l’a élevée et l’a éveillée à elle-même, a quitté brusquement la maison. Elle soupçonne qu’elle a été licenciée. Elle s’intéresse à la vie des bonnes, veut écrire leur histoire. Malgré les menaces qui pèsent sur leur emploi et jusqu’à leur vie, malgré leurs doutes sur les motivations d’une jeune femme de l’autre côté de la barrière sociale, Aibileen, puis son amie l’inénarrable Minny (Octavia Spencer), et enfin d’autres femmes de la congrégation qui se réunit le dimanche au temple, acceptent de raconter leur histoire. Le livre de Skeeter sera un immense succès de librairie. Licenciée de son emploi à son tour, Aibileen considèrera cette rupture comme une opportunité pour s’inventer une vie à elle.

 Tate Taylor nous présente cette histoire comme un conte moral dont les ressorts sont un ange du bien, Skeeter, et un ange du mal, Hilly. Ce n’est pas par hasard que l’une et l’autre sont blanches. La prévalence blanche est naturelle. La servitude n’est pas un mal en soi, ce sont les abus commis par des personnes méchantes qui le transforment en cauchemar : Aibileen traite Hilly de « personne sans Dieu ».

 On ne cherchera donc pas dans « la couleur des sentiments » une critique sociale. Mais ce mélodrame se laisse regarder avec plaisir, porté par des actrices remarquables. Du côté noir, Aibileen est épaulée par Minny, un personnage énergique et impertinent ; du côté blanc, la meilleure alliée de Skeeter est Celia (Jessica Chastain), une jeune femme coquette que son origine populaire met au ban de la petite coterie des femmes de Jackson. C’est en Celia que Minny trouvera une patronne enfin humaine. Vu d’Hollywood, pourquoi faire la révolution ? De bons sentiments en couleurs ne suffisent-ils pas ?

The Artist

“The Artist”, film de Michel Hazanavicius, est en compétition pour les Oscars, après que Jean Dujardin eut décroché la palme du meilleur acteur à Cannes pour son interprétation.

 Jean Dujardin interprète George Valentin, une star du cinéma muet que la révolution du cinéma parlant vers 1930 va marginaliser et même clochardiser. L’histoire est simple : George, au faite de sa gloire, tombe amoureux d’une figurante, Peppy Miller (Bérénice Bejo), et cet amour est réciproque. Mais Peppy se lance dans une carrière d’actrice du parlant, alors que George s’obstine dans le muet. Peppy sauvera George de la ruine, de la déchéance et du suicide en lui proposant de jouer avec elle dans un film dans le style de Fred Astaire.

 The Artist est en noir et blanc, dans l’esthétique des films muets des années 20. De fait, il est majoritairement muet, sauf à deux moments clé. George est seul dans une pièce ; il s’efforce de parler, mais aucun son ne sort de sa bouche ; en revanche, des objets banaux – un verre que l’on pose, une goutte d’eau tombant sur le sol – font un vacarme assourdissant ; c’est la fin du cinéma muet. Plus tard, Peppy et George interprètent une chorégraphie de claquettes ; le martèlement des pieds sur le sol est partie intégrante du spectacle ; George exprime son talent dans l’ère du cinéma parlant.

 Les acteurs secondaires jouent un rôle dans le film : le chauffeur Clifton, interprété par James Cromwell, est une parfaite réplique du Jeeves de Wodehouse. Le petit chien savant de George Valentine fait irrésistiblement penser à celui qui accompagne Charlot. Et c’est à Charlie Chaplin aussi que l’on pense dans l’une des scènes les plus magiques du film : Peppy s’est introduite dans la loge de George et, à moitié engagée dans son manteau pendu à une patère, mime une étreinte.

 Il fallait du culot pour réaliser un film quasiment muet en 2011, même sous l’excuse du pastiche. On passe un excellent moment, épicé de grands moments de cinéma.

 Photo du film « The Artist ».