Midnight in Paris

Le film de Woody Allen Midnight in Paris (Minuit à Paris) offre au spectateur un moment de poésie et d’enchantement.

 Gil (Owen Wilson), scénariste de séries télévisées à Hollywood, a deux projets dans sa vie : épouser Inez et écrire un livre sur sa période fétiche, les années vingt à Paris. Il apparait vite que ces deux projets sont incompatibles. Fille de partisans du Tea Party, Inez (Rachel McAdams) est aussi frivole qu’affriolante. Et la passion de Gil pour le Paris d’autrefois prend un tour inattendu lorsqu’il est invité à bord d’un taxi G7 de l’après (première) guerre.

 A bord du taxi, Ernest Hemingway lui-même, qui de fil en aiguille va le présenter à Scott Fitzgerald, Picasso, Dali (superbement joué par Adrien Brody), Buñuel… Gil nage dans le bonheur. Il tombe amoureux de la muse des cubistes, la jolie Adriana (Marion Cotillard). Le problème avec Adriana, c’est que, comme Gil, elle n’est pas à l’aise dans son temps. Elle ne rêve que d’une chose : émigrer dans la Belle Epoque, les années 1890, celles de Toulouse Lautrec, Gauguin et Degas.

 Adriana glisse des doigts de Gil. Mais le film a un happy end : Gil rencontre l’adorable Gabrielle (Léa Seydoux), une jolie française de 2010 qui tient une boutique de microsillons des années vingt.

 Midnight in Paris est un film drôle, tout en finesse, qui nous enveloppe de tendresse et de poésie.

 Photo du film « Midnight in Paris » : Owen Wilson et Marion Cotillard.

Les femmes du sixième étage

« Les femmes du sixième étage », film de Philippe Le Guay sorti sur les écrans français en février dernier, raconte une jolie et improbable histoire d’amour.

 Pour nous qui avons vécu à Madrid, voir de grandes actrices espagnoles comme Natalia Verbeke et Carmen Maura aux côtés de Fabrice Luchini et Sandrine Kiberlain est source de plaisir et de nostalgie. Ensemble, ils donnent au film de Philippe Le Guay énergie, humour et profondeur.

 Dans les années soixante, Jean-Louis Joubert (Fabrice Luchini) est l’héritier d’une charge d’agent de change, l’époux de Suzanne (Sandrine Kiberlain) et le père de deux garçons formatés par l’éducation des bons pères. Sa vie est grise ; celle de Suzanne, débordante de futilité.

 Suzanne recrute comme bonne Maria (Natalia Verbeke), une jeune espagnole fraîchement arrivée à Paris comme tant d’émigrants fuyant la misère et la dictature franquiste. Il se trouve que Maria habite une chambre minuscule au sixième étage du même immeuble. Les autres chambres sont aussi occupées par des espagnoles. La vie y est dure : il n’y a pas l’eau courante et les WC sont chroniquement bouchés.

 Peu à peu, Jean-Louis, « Monsieur », se fascine pour cet univers si différent, juste au-dessus de lui : un groupe de femmes qui souffrent pour elles-mêmes et les êtres chers restés au pays, qui se déchirent entre bigotisme et anticléricalisme, qui se prêtent main forte en cas de coup dur, qui partagent la paella, le vin de Malaga et le Flamenco. La fascination est d’autant plus forte qu’elle s’accompagne d’un désir de plus en plus fort pour Maria.

 Suzanne est incapable de comprendre ce qui est en train de changer en son mari. Son entourage de petites bourgeoises parle d’une nymphomane briseuse de mariages : ce personnage fantasmé a pour elle plus de réalité que la communauté de femmes qui vit à l’étage au-dessus ou que Maria elle-même, vraie fée du logis que son statut de domestique est censé déposséder de son corps de femme. Expulsé de l’appartement familial, Jean-Louis se réfugie dans l’une des chambres de bonne du sixième étage. Après la pension, après le service militaire, après le mariage, il savoure le bonheur d’avoir enfin une chambre pour lui tout seul !

 Le scénario du film est original, mais c’est le jeu des acteurs qui en fait la force : le masque gris de Jean-Louis se fissure peu à peu pour laisser doucement percer le sourire ; Maria passe de la surprise face à ce patron si peu conventionnel au rejet violent et à l’amour, au moins pour un soir.

 « Les femmes du sixième étage » est un bon film comique. Mais il est plus qu’un divertissement : il décrit la « transhumance » de Jean-Louis, de Maria et, au bout du compte, même de Suzanne, d’un état de non-vie à la découverte de la liberté.

 Photo du film « les femmes du sixième étage », Fabrice Luchini et Natalia Verbeke.

Et maintenant on va où ?

Le film de Nadine Labaki, « et maintenant on va où ? » est probablement le plus drôle et émouvant qu’il nous ait été donné de voir depuis des années.

 La salle 2 du multiplex UGC de Bruxelles est pleine, ce samedi soir, et il y a de l’ambiance. On parle français, néerlandais et arabe. Une publicité de Dexia, la banque franco-belge qui vient d’imploser, fait l’objet de quolibets. Le public rira à gorges déployées pendant le film et applaudira au générique final. 

Le cadre du film est un village du Proche Orient où les communautés musulmane et chrétienne coexistent harmonieusement, grâce à l’amitié de l’imam et du pope et malgré les provocations d’extrémistes qui aimeraient, ici comme ailleurs, mettre le feu aux poudres. Un jour, la mosquée est transformée en basse-cour ; un autre jour, le bénitier de l’église est rempli de sang. Le pire advient lorsque l’un des coursiers de l’épicerie du village est tué d’une balle perdue.

 Les femmes du village, musulmanes et chrétiennes, rivalisent d’ingéniosité pour empêcher les hommes de prendre les armes. Elles sabotent l’unique poste de télévision du village parce que le journal télévisé annonce des rixes religieuses dans un village voisin. Elles interceptent une troupe de danseuses du ventre pour faire perdre la tête à leurs maris. Elles enrichissent au haschich leurs boissons et leurs pâtisseries. Et, dernier coup fatal, elles changent de religion pour celle d’en face.

 Lorsque les hommes, suivis par tout le village, arrivent en procession au cimetière pour inhumer le jeune coursier abattu, ils trouvent d’un côté le carré musulman, de l’autre le carré chrétien. Désorientés, ils font demi tour et demandent aux femmes : « et maintenant, on va où ? »

 C’est un film formidable, où le spectateur balance sans arrêt des larmes de désespoir aux larmes de rire, une comédie absurde dont Charlie Chaplin n’aurait pas renié l’extravagance, un drame qui tourne parfois à la comédie musicale, un moment de bonheur interprété par des comédiens enthousiastes. Chapeau !

 Photo du film « et maintenant, où on va ? »

La clé de Sarah, le film

Le film « Sarah’s key », la Clé de Sarah, réalisé par Gilles Paquet-Brenner en 2009, est sorti cet été sur les écrans britanniques.

 En français, le nom du film est « elle s’appelait Sarah ». Il suit de près le roman de Tatiana de Rosnay, dont « transhumances » avait rendu compte le 19 septembre 2009. Il donne un visage lumineux, celui de Kristin Scott Thomas, à Julia, cette journaliste américaine enquêtant sur la rafle du Vel’ d’hiv qui, par son acharnement pour la vérité, va dévoiler des secrets profondément enfouis dans deux familles. Sa propre belle famille a prétendu oublier que, lorsqu’ils occupèrent en 1942 un appartement confisqué à une famille juive déportée, ils avaient trouvé  le cadavre en décomposition d’un petit garçon dans un placard. Le mari américain de Sarah, qui avait enfermé son petit frère dans le placard pour le protéger de la rafle, avait caché à sa propre famille que sa femme était juive et qu’elle s’était suicidée sous le poids de la culpabilité.

 Le film exprime bien la culpabilité écrasante des personnages, qui prétendent épargner leurs proches en gardant le silence mais empoisonnent ainsi leur vie sans s’en rendre compte. Dans le Vel d’Hiv, sous une chaleur étouffante, dans la puanteur et l’angoisse, le père de Sarah reproche à sa petite fille d’avoir condamné son petit frère à une mort atroce, et Sarah ne supporte pas que son père ait laissé filer l’occasion de faire libérer le petit garçon par une jeune femme qui avait tenté, et finalement réussi, une évasion impossible.

 Le roman était magnifique. Le film est au diapason.

 Photo : Kristin Scott Thomas dans « Sarah’s key ».