Les émotifs anonymes

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« Les émotifs anonymes », réalisé par Jean-Pierre Ameris, est un film drôle sur un sujet sérieux : le refoulement des opportunités que la vie nous offre, par peur de se blesser.

« Pourvu qu’il ne nous arrive rien ! » Tel est le message que le père de Jean-René (Benoît Poelvoorde) lui a légué, en même temps que la chocolaterie familiale. Celle-ci, faute d’innovation, est en train de péricliter. A force d’éviter les risques, elle est au bord de la faillite. Jean-René consulte régulièrement un psychologue. A sa manière, il lutte pour sortir du trou.

Angélique (Isabelle Carré), de son côté, est un génie du chocolat mais sa timidité névrotique lui interdit de se mettre en avant. « Je suis nulle », ne cesse-t-elle de se répéter. Elle ne peut exercer son talent que dans les coulisses, protégée par la fiction qu’un ermite du Vercors serait le créateur de pralines divines dont en réalité elle a inventé la recette. Elle fréquente, sur le modèle des alcooliques anonymes, un cercle d’émotifs anonymes où chacun raconte sa névrose et accueille celle de l’autre, dans l’espoir de s’en sortir.

Le film raconte la rencontre de ces deux êtres dont la volonté de communiquer est haute comme la montagne de leurs blocages. L’extrapolation jusqu’à l’absurde de ces personnalités que la rencontre terrorise garantit l’effet comique, et en effet on rit beaucoup. Mais le drame de l’échec personnel est toujours présent, et l’intensité dramatique est en filigrane.  Elle se déverse parfois, comme lorsque Jean-René fait irruption dans une réunion des émotifs anonymes et déclare à Angélique son amour, maladroitement mais en toute vérité.

« Les émotifs anonymes » est un bon film pour l’hiver, un film qui rappelle que le printemps n’est pas loin, avec de l’amour, des enfants ivres de chocolats et des affaires qui refleurissent.

J’ai été une nouvelle fois fasciné par le jeu d’actrice d’Isabelle Carré, entre une extrême pudeur et l’exposition au grand jour de sentiments intimes et refoulés.

Photo du film « Les émotifs anonymes », Benoît Poelevoorde et Isabelle Carré.

Séraphine

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Le film « Séraphine » de Martin Provost (2008) raconte la rencontre entre une pauvre fille méprisée  de tous et habitée par l’exigence de peindre et un collectionneur allemand que la guerre de 1914 oblige à quitter la France.

Séraphine (magnifiquement interprétée par Yolande Moreau) est une grosse femme revêche qui gagne quelques sous à faire des ménages et des lessives pour les bourgeois de sa ville, Senlis. Elle vit dans la plus extrême misère, mais dépense la majeure partie de ses gains à acheter des vernis et des pigments. La nuit, elle s’épuise à peindre. Elle le fait par obéissance à une voix intérieure, un ange gardien qui le lui commande.

Séraphine a 48 ans lorsqu’elle entre comme domestique au service du collectionneur allemand Wilhelm Uhde. A sa manière, Wilhelm est aussi un marginal, en raison de son homosexualité et de sa nationalité « boche ». Il a déjà découvert Picasso et Braque. Il a sorti de l’ombre le « naïf » ou « primitif » Henri Rousseau. Il est ébloui par le talent de Séraphine.

Wilhelm doit quitter la France en 1914 mais revient s’établir dans son pays d’adoption en 1927, à Chantilly. Il retrouve la trace de Séraphine et la prend sous son aile. Capable désormais de se consacrer totalement à son art, dotée d’un matériel professionnel auquel la misère ne lui avait jamais permis d’accéder, elle arrive au sommet de son art.

Les affaires de Wilhelm sont contrariées par la crise économique et il ne peut honorer sa promesse d’exposer les œuvres de Séraphine à Paris. Convaincue par son ange gardien qu’avec cette exposition était venue l’heure de ses noces, sûre de tenir sa revanche contre un destin qui l’avait foulée aux pieds, Séraphine sombre dans la folie. Ce n’est que bien après sa mort dans un asile psychiatrique en 1942 que Séraphine de Senlis sera reconnue comme une artiste originale et inspirée.

La photographie du film est splendide. La musique de Michael Galasso dégage une impression d’étrangeté et de vague inquiétude qui sied bien au personnage illuminé de Séraphine. Yolande Moreau est possédée par le personnage de Séraphine. On ressent la même fascination que lorsqu’Isabelle Adjani incarnait Camille Claudel ou Salma Hayek Frida Kahlo.

Photo : Yolande Moreau et Ulrich Tukor dans le film Séraphine, de Martin Provost.

Inception

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Le film « Inception » de Christopher Nolan, avec Leonardo DiCaprio dans le rôle principal, est par certains aspects frustrant. Mais il mérite d’être vu.

J’ai été loin de comprendre toutes les péripéties de « Inception », et le fait de l’avoir vu en anglais n’explique pas seul mon embarras. J’ai été aussi gêné par les fusillades, les poursuites, les flots d’hémoglobine dignes d’un James Bond, l’humour en moins.

L’idée de base du film est pourtant passionnante : il est possible d’extraire des secrets de personnes endormies par des drogues, ou de leur infuser des idées, au moyen d’une gestion coordonnée – et manipulée – de leurs rêves.

Les règles de l’extraction (ou de l’infusion – « inception ») sont qu’il existe des profondeurs différentes de rêve. Si l’on descend d’un niveau, le temps se ralentit dans une proportion d’un à dix, un mois valant une dizaine d’années. Au sein d’un groupe de rêveurs coordonnés, un participant est chargé de l’architecture du paysage des rêves ; cette architecture échappe aux lois qui régissent le monde éveillé, en particulier la gravité. Il n’est possible de remonter d’un niveau de rêve au niveau supérieur, et finalement au monde éveillé, que sous l’emprise du choc que représente sa propre mort ; cette règle est évidemment très dangereuse si  on croit rêver et que l’on se trouve bel et bien éveillé.

« Inception » est un film à gros budget. Il en rajoute dans les effets spéciaux. Le résultat est plusieurs fois exceptionnel, comme cette promenade dans Paris où le paysage urbain se plie devant les promeneurs rêveurs et se replie dans leur ciel, rendant vides de sens les trois dimensions.

Photo du film « Inception ».

Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu

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Le dernier film de Woody Allen, « Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu », laisse une impression de gâchis et d’inachevé. Mais c’était le but recherché : le film parle de personnages qui ratent leur vie. Comme réalisation artistique, il est réussi.

Alfie (Anthony Hopkins) plaque Helena après quarante ans de mariage. Il ne supporte pas de vieillir. Il épouse une « artiste », en fait une prostituée, mais cette nouvelle vie le laisse ruiné, humilié et usé.

Sally (Naomi Watts), fille d’Alfie et Helena, rumine sa frustration de n’avoir pas pu construire une famille avec son mari Roy. Elle travaille dans une galerie d’art et démissionne pour créer sa propre affaire. Sa vie sentimentale tourne au fiasco : elle quitte Roy, mais se rend compte trop tard qu’elle est amoureuse de Greg, son patron. Elle démissionne pour créer sa propre affaire, mais n’obtient pas de sa mère Helena le prêt qui lui permettra de se lancer. Helena est tombée dans les griffes d’une voyante qui lui a expliqué que la conjonction des astres n’est pas favorable à des opérations financières !

Roy (Josh Brolin) est un écrivain raté. Il profite de la mort accidentelle d’un de ses amis pour voler son roman et le faire publier sous son nom. Manque de chance, l’ami n’est pas mort mais dans le coma, avec une bonne chance de récupération. Roy quitte Sally pour la voisine d’en face, Dia (Freida Pinto) dont il observait les déshabillages avec concupiscence. Ayant emménagé avec Dia, c’est maintenant Sally, son ex, qu’il regarde de la fenêtre. Quant à Dia, elle annule au dernier moment son mariage et provoque une crise dans sa famille.

Seuls deux personnages sortent de cet univers déprimant : Helena, que sa voyante a persuadé qu’elle est la réincarnation de Jeanne d’Arc, et Jonathan, qui communique par les tables tournantes avec l’esprit de son épouse décédée. Leur propre folie les protège de la folie du monde.

Photo du film « Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu ».