Essai sur la lucidité

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En contrepoint de l’essai sur la cécité, José Saramago publia en 2004 l’essai sur la lucidité, Ensaio sobre a Lucidez, qui offre une acerbe réflexion sur nos démocraties électives. Cette note de lecture date de 2004. 

Résumé de l’épisode précédent (Essai sur la cécité) : tous les habitants d’une ville sont frappés d’une brutale épidémie de cécité blanche. Les premiers atteints sont reclus dans un ancien asile isolé par l’armée. La femme du médecin ophtalmologiste qui les a traités est mystérieusement préservée du mal. Elle les aide à survivre dans cet enfer qu’est devenu l’asile, tue le chef de bande qui s’était assuré le monopole de la distribution des vivres et permet à la petite troupe de s’enfuir.

Quatre ans plus tard, aux yeux des Autorités, la population est de nouveau en proie à une forme de cécité blanche. 83% des électeurs de la capitale ont décidé de voter blanc, laissant le Parti De Droite, le Parti Du Centre et le Parti De Gauche sans légitimité. Face à cette insurrection légale mais à ses yeux illégitime, le Gouvernement ne tarde pas à prendre des mesures. Il décrète l’état de siège, mais le blocus de leur ville ne fait pas plier ceux qu’il stigmatise de « blancheux ». Il décide d’évacuer la cité et d’en faire, en l’absence de police, la proie de l’anarchie. Même la bombe qu’il fait placer dans le métro ne les ramène pas dans le droit chemin. Il décide de refouler aux frontières de la ville les « votants » et annonce le pillage de leurs maisons par les insurgés, mais les « blancheux » leur offrent aide et compassion.

Les initiatives du Gouvernement, décidées au sein de Conseils des Ministres houleux où s’expriment les conflits de pouvoir, ont des résultats désastreux et l’exposent au ridicule. L’évacuation de la ville a lieu à trois heures du matin avec un grand déploiement de force. Celui-ci s’avère inutile : la ville est déserte, et les citoyens ont bordé de luminaires les artères  qui mènent aux sorties de la ville. Le Président de la République fait larguer d’hélicoptère un appel à la raison, mais la pluie contrarie ce largage patriotique.

Il faut trouver un bouc émissaire. A la suite d’une dénonciation, le Ministre de l’Intérieur livre à la vindicte publique et fait assassiner la femme du médecin, coupable de n’avoir pas été aveuglée lors de l’épidémie de cécité blanche, et donc coupable naturelle pour l’épidémie de vote blanc. La morale de la fable semble être que la raison du plus fort est toujours la meilleure.

L’espérance existe pourtant. Elle prend le visage du Maire de la capitale, témoin direct de l’attentat du métro et sans aucun doute sur son auteur, qui se mêle à la masse anonyme des centaines de milliers de « blancheux » venus manifester en silence leur indignation et leur détermination. Elle prend aussi les traits du commissaire de police venu secrètement enquêter sur la femme du médecin et qui, loin d’identifier le coupable recherché, découvre une personne exceptionnelle. Lui aussi sera assassiné, mais aura livré aux journaux son témoignage qui, photocopié à des milliers d’exemplaires, permettra à la vérité de se frayer un chemin.

Essai sur la Lucidité est un livre dérangeant, parce que l’exercice du droit de vote reste l’un des attributs de la démocratie. Les longues files de votants en Afrique du Sud ou, plus récemment au Venezuela, attestent de ce qu’il s’agit d’un droit fondamental. L’apologie du vote en blanc est provocatrice. Il faut reconnaître toutefois que l’élection de George Bush décidée par la Cour Suprême, les dénis de justice à Guantanamo et Abou Ghraib, les mensonges d’Etat sur les armes de destruction massive ou l’attribution à ETA du massacre du 11 mars à Madrid nous incitent à une réflexion de fond sur l’avenir de la démocratie.

José Saramago nous raconte une magnifique histoire. Il le fait avec une précision clinique dans l’analyse des mécanismes de pouvoir et de décision, et décrit l’épidémie blanche avec un parfait humour noir.

Photo du film Blindness de Fernando Meirelles, 2008

Essai sur la cécité

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La crise financière et, plus récemment, celle de la dette de la Grèce, montrent à quel point opinion publique et gouvernements peuvent être aveugles. Le livre de José Saramago, Essai sur la cécité (Ensaio sobre a cegueira, 1995), constitue une fable magnifique.

Une voiture patiente à un feu rouge. Lorsqu’il passe au vert, elle ne démarre pas. Le conducteur vient d’être brutalement frappé de cécité blanche. De l’inconnu qui le ramène chez lui et lui vole sa voiture à l’ophtalmologue qu’il consulte, puis aux clients de ce dernier, l’épidémie se propage de manière vertigineuse et irrémédiable. Le premier groupe est enfermé en quarantaine dans un asile désaffecté. Nous ne connaîtrons pas leur identité. Il y a là le « premier aveugle » et sa femme, la jeune aux lunettes noires, l’enfant atteint de strabisme qui cherche sa maman, le vieux à l’œil bandé, le médecin ophtalmologue (seule spécialité dont pourrait bien se passer un aveugle), la femme du médecin.

Dans l’asile, la vie tourne vite au cauchemar. Les soldats tirent à vue, il faut enterrer les cadavres. La nourriture manque, les gens se soulagent dans les couloirs, le manque d’hygiène est total, l’air fétide et irrespirable. Un groupe de truands se constitue en bande et fait régner la terreur. Ils contrôlent l’accès à la nourriture et se font payer par une rafle générale de tout ce que les détenus avaient emmené avec eux, puis réclament que les femmes soient mises, par roulement, à leur disposition.

Dans cet enfer, se trouve un ange, la femme du médecin. Lorsqu’on a embarqué son mari pour la quarantaine, elle a simplement déclaré qu’elle était aveugle, elle aussi. Mystérieusement, elle n’est pas atteinte par la contagion, peut-être, dira-t-elle, parce qu’il fallait que quelqu’un voie de ses yeux l’abjection. Elle voit son mari coucher avec la jeune aux lunettes noires et son attitude est de miséricorde. Pour que le groupe d’enfermés puisse obtenir de la nourriture, elle se porte volontaire pour subir le viol des truands. Une femme meurt sous cette violence : elle se procure de l’eau, et le corps de la morte et de ces femmes humiliées n’a jamais été aussi propre. Pour venger l’outrage et sauver le groupe, elle plante des ciseaux dans la gorge du chef de bande, et plus tard mettra le feu au refuge des truands. Elle souffre de remords, aimerait parfois devenir elle-même aveugle, semblable aux autres.

L’incendie libère le groupe. Il découvre que les soldats sont partis, puis que la ville entière, couverte d’immondices, est parcourue de bandes d’aveugles en recherche d’un appartement à squatter pour la nuit et d’un peu de nourriture à grappiller. Dans ce désastre, la femme du médecin organise la survie. Face à la pénurie d’eau, elle profite d’une longue averse pour laver le linge sur le balcon de son appartement. La femme du premier aveugle et la jeune aux lunettes noires la rejoignent et les trois femmes, nues, se lavent dans la pluie et retrouvent, pour un instant, une pureté miraculeuse.

Le livre de José Saramago est écrit dans une prose scintillante, parfois d’une brutalité proche de l’obscénité, quelquefois  cruelle dans la dérision, souvent admirable de tendresse.

Cette parabole d’une humanité incapable de voir, et livrée à une anarchie sans espoir, trouve ces jours-ci sa correspondance dans l’actualité. Le journal Le Monde décrivait ainsi la situation de l’armée d’occupation américaine en Irak après l’invasion : « les rapports avec les Irakiens sont de plus en plus tendus. Très jeunes pour la plupart, dans l’incertitude de leur date de retour au pays, les soldats américains se considèrent dans un environnement a priori hostile et agissent en conséquence : pas de contacts avec la population hormis de rares exceptions ; patrouilles motorisées dans les rues des villes, le doigt constamment sur la détente, harnachés de lourds équipements qui, par 50ºC, ne les rend que plus nerveux. A mesure que se multiplient les attentats contre eux, ces militaires deviennent plus brutaux à l’égard de la population. Il n’est pratiquement pas de perquisition qui ne se fasse sans violences, au moins verbales, accentuant le sentiment d’humiliation des irakiens. »

Soldats, violences, anarchie, disparition des services publics, humiliation. La parabole de Saramago sur la cécité n’est pas loin. L’humanité a besoin d’anges qui voient. D’urgence.

Photo du film « Blindness » de Fernando Meirelles, 2008

La veuve enceinte

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Martin Amis est reconnu comme l’un des meilleurs romanciers britanniques vivants. Dans « The pregnant widow » (Jonathan Cape, 2010), il évoque la révolution sexuelle des années soixante dix et ses répercussions sur un homme maintenant sur la pente du vieillissement.

Martin Amis ne craint pas la provocation. Développant le thème du « silver tsunami » brièvement évoqué dans son roman, il dit dans une interview : « il y aura une population de personnes très âgées devenues démentes, comme une invasion de terribles immigrants, puant dans les restaurants, dans les cafés et dans les boutiques. Il faudrait des cabines d’euthanasie à chaque coin de rue où l’on recevrait un Martini et une médaille ».

Le personnage de son roman, Keith Neiring, a comme lui 60 ans. Comme lui, il est angoissé par l’approche de la vieillesse, à bord d’un train filant comme une balle, où les années titubent les unes sur les autres et disparaissent. Remarquant que si les jeunes utilisent souvent le mot « cool », le mot « uncool » n’existe pas, il observe que « vieillir, c’est vraiment uncool (…) Quand on vieillit, on se retrouve à passer le casting pour le rôle d’une vie. Puis, après d’interminables répétitions, on joue finalement dans un film d’horreur, un film sans talent, irresponsable et par-dessus tout à petit budget dans lequel, comme c’est le cas dans les films d’horreur, on garde le pire pour la fin ».

« Au milieu de la quarantaine, on a sa première crise de mortalité (la mort ne m’ignorera pas) ; et dix ans plus tard, on a sa première crise d’âge (mon corps me murmure que la mort est déjà intriguée par moi) (…) Puis la cinquantaine vient et s’en va, et cinquante et un, et cinquante deux. Et la vie s’éloigne en prenant de l’épaisseur. Parce qu’il y a maintenant une énorme présence insoupçonnée dans votre être, comme un continent inconnu. C’est le passé. »

Pour Keith, le passé se concentre sur l’été 1970, alors qu’il se prépare à célébrer ses vingt et un ans. Avec son amie Lily, il est invité dans un château en Campanie par Sheherazade, la fille du châtelain. La piscine est le point focal. Les corps s’exposent et la tension érotique est exacerbée par la volonté des filles, en plein cœur de la révolution sexuelle, de se comporter comme des garçons. Keith soupire après Sheherazade, mais c’est Gloria qui s’offre à lui, le jour de son anniversaire, pour un jeu sexuel sans limite et sans amour. « Ils étaient tous à la limite de Narcisse. Ils pouvaient se rappeler comment c’était avant : le poids plus léger des individus, quand on vivait de manière plus automatique… Ils étaient les premiers à entrer dans cette mer silencieuse et ardente, où la surface est un bouclier qui brule comme un miroir. »

Amis cite en exergue du roman Alexandre Herzen : « la mort des formes contemporaines de l’ordre social devrait réjouir plutôt que troubler l’âme. Pourtant, ce qui est effrayant c’est que le monde qui s’en va laisse derrière lui non un héritier mais une veuve enceinte. Entre la mort de l’un et la naissance de l’autre, beaucoup d’eau doit couler, une longue nuit de chaos et de désolation passera. » De fait, l’été 1970 hantera Keith pendant des dizaines d’années. Il lui faudra une vie pour surmonter le traumatisme de cette période, et les trois femmes qu’il épousera à des âges différents de sa vie, étaient présentes à ce moment fondateur.

D’une lecture difficile, surtout pour un non anglophone, le roman de Martin Amis a un côté irritant. On a du mal à se passionner pour les fantasmes sexuels d’une jeunesse dorée et oisive. Pourtant, les personnages prennent peu à peu une épaisseur psychologique dans leur interaction, qu’ils soient physiquement présents au château ou que leur ombre plane, telle Violet, la sœur de Keith, vivant à sa manière la révolution sexuelle et embarquée dans une dérive fatale.

J’ai particulièrement aimé le récit de la rencontre sexuelle de Keith et Gloria, le jour de son vingt et unième anniversaire. Danseuse et artiste peintre, Gloria est une mystique à la recherche de Dieu, d’un Dieu inaccessible, inflexible et pourquoi ne pas le dire, dur. Recevoir le corps de Keith n’est pas un acte d’amour, c’est un moment absolu, hors de l’histoire. Pour Keith, chaque moment de cette rencontre est comme l’accomplissement d’un scénario déjà écrit dans ses moindres détails.

(Illustration : couverture du roman « the pregnant widow »)

Citoyen du Monde

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«Les seules batailles perdues sont celles que vous ne livrez pas ». Cette phrase pourrait servir d’exergue à la biographie de Carlos Ghosn, Citoyen du monde (Carlos Ghosn et Philippe Riès, Grasset, 2003).

Carlos Ghosn a été placé à la tête de Nissan à la suite de la conclusion de l’alliance avec Renault en 1999. Le producteur automobile nippon était au bord du dépôt de bilan. Renault, après l’échec d’AMC aux Etats Unis et l’échec de sa fusion avec Volvo, avait besoin de grandir en Asie et aux Etats-Unis. Bien que l’apport en capitaux en en hommes fût de Renault, l’alliance fut pensée comme un pacte entre égaux. Beaucoup d’observateurs considéraient que les possibilités de succès étaient réduites, compte tenu de la gravité de la situation de Nissan et de la distance culturelle entre la France et le Japon. Deux ans plus tard, Nissan transformée réalisait des bénéfices, accroissait sa part de marché et investissait dans de nouveaux modèles. Elle se lance aujourd’hui à son tour dans un partenariat audacieux avec le Chinois Dongfeng.

Le parcours de Carlos Ghosn est atypique. Né au Brésil, issu de l’émigration libanaise et gardant des liens forts avec le Liban, formé en France à l’Ecole Polytechnique et aux Mines, ils parle le portugais, le français et l’arabe. Passionné de lettres et d’histoire, ses capacités en mathématiques l’ont orienté vers la filière reine de l’enseignement supérieur français.

Arrivé à Tokyo avec un groupe d’une trentaine de français, Carlos Ghosn met en place une méthode originale fondée sur les défis précédemment surmontés chez Michelin: intégration de la filiale déficitaire Kléber, restructuration de la filiale brésilienne, absorption de Uniroyal Goodrich aux Etats-Unis. Il s’appuie aussi sur le plan de réduction des coûts chez Renault.

Carlos Ghosn se défend de posséder une méthode de management. Il parle « d’une approche de construction de ponts, fondée sur la rationalité et en même temps sur l’émotion, essentiellement tournée vers la performance objective et le redéploiement de l’entreprise ».

Performance. C’est probablement le mot-clé. Carlos Ghosn demande à ses collaborateurs français de ne pas se comporter en missionnaires. « Il y avait de notre côté la volonté de ne pas faire le changement pour le changement, mais pour la performance : le minimum de changement nécessaire pour le maximum de performance. Ce qui était important n’était pas de résoudre tous les disfonctionnements mais de détecter les plus importants et de ne traiter que ceux-là. Cela contraint à une très grande discipline personnelle, une très grande maîtrise de soi ». « Vous n’êtes pas venus pour changer le Japon, mais pour redresser Nissan, avec les hommes et les femmes de Nissan ». Il faut en permanence lutter contre l’envie de brusquer les choses, de s’énerver contre des détails comme le travail des agents administratifs en pantoufles, avec la mentalité qui va avec…

Performance objective. Le plan de renaissance de Nissan était, par rapport à toutes les références japonaises antérieures, extrêmement précis, très factuel, quantifié, non seulement pour le niveau de performance visé, mais aussi pour les délais. La marge d’interprétation était très limitée. Un élément essentiel est viser ce que les américains appellent l’ « affordability ». Réduire les coûts de telle sorte que les consommateurs puissent se permettre d’acheter. On ne peut gérer une entreprise sans avoir un œil rivé sur les coûts.

Construire des ponts. Une fois identifiés les problèmes, Carlos Ghosn constitue dans l’entreprise des équipes transversales qui mélangent les responsables de différents métiers, ingénierie, production, marketing, ventes, afin d’examiner un problème collectivement et sous tous les angles. Cette approche est cohérente avec le « cross-manufacturing », qui consiste à utiliser un même outil de production pour la fabrication de produits qui seront vendus sous deux ou plusieurs marques différentes.

Rationalité. La rationalité va de pair avec la clarté. Dans le choix même du nom « Nissan 180 » pour désigner le second plan triennal, il y a une volonté de clarté. Tous les objectifs majeurs sont contenus dans l’intitulé. Un pour 1 million de voitures supplémentaires vendues, huit pour 8% de marge opérationnelle, zéro pour une élimination totale de l’endettement. Nous avons défini la stratégie en termes simples : plus de revenus, des coûts compétitifs, plus de qualité, davantage de vitesse, une alliance plus forte avec Renault. Tout est affiché d’une manière simple, claire, quantifiée, même là où le personnel est le moins familier avec les subtilités de la stratégie, les gens comprennent où nous allons, comment nous allons et quelle doit être leur contribution. La clarté est ennemie de la dispersion. Carlos Ghosn est convaincu que l’entreprise doit rester collée à son produit : « back to basics ! »

Emotion. Carlos Ghosn a été marqué la personnalité de François Michelin. C’est avant tout quelqu’un de curieux des hommes. Il se fiche éperdument des diplômes que vous avez obtenus ou de savoir d’où vous venez, mais il est intéressé par ce que vous êtes. La curiosité de François Michelin était fondée sur le respect, sur l’intérêt porté aux gens, du haut en bas de l’échelle sociale, indépendamment de leur âge, de leur origine ou de leur position dans l’entreprise. Quand il rencontrait une personne, toutes ses antennes étaient dehors.

Les hommes appartiennent à une culture. Carlos Ghosn rend hommage à la culture française qui, tout en étant forte, avec un grand sens de son identité, est aussi perméable : on y apprend dès le plus jeune âge à s’intéresser à des cultures différentes. Il y a une curiosité à l’égard de ce qui est singulier, différent. A travers l’alliance avec Renault, Nissan est en train d’acquérir ce qui constituera à l’avenir un avantage compétitif : la dimension multiculturelle.

Un élément caractéristique de la culture japonaise, c’est qu’il n’y a ni vainqueur ni vaincu. Or, Carlos Ghosn, au sein même de Nissan, chez les fournisseurs, ses partenaires, allait désigner des vainqueurs et des vaincus, parce que la survie de l’entreprise était à ce prix.

« Y a-t-il des leaders-nés ? Je ne le crois pas. Il y a des gens qui ont des aptitudes au leadership et ils sont très nombreux, plus nombreux qu’on ne le pense. Le tri se fait sur les opportunités qui leur permettent d’être placés en conditions d’exercer et de développer cette aptitude. Ils relèvent un premier défi, ils gagnent. Un second, ils gagnent encore. Ils vont prendre confiance en eux-mêmes et c’est comme cela que vous formez des leaders. Ceux qui ont plus de potentiel, il faut les envoyer sur les fronts chauds. C’est faire coup double : régler votre problème et récupérer quelqu’un qui sera grandi par son expérience ».

La plus grande fierté de Carlos Ghosn est d’avoir vaincu chez Nissan « la culture du blâme et de l’excuse ». La source des problèmes, c’est toujours vous-même. Nissan n’a pas décliné à cause de la stagnation économique au Japon ou parce que Toyota ou Honda étaient des concurrents trop puissants. Les gênes du déclin se trouvaient à l’intérieur de l’entreprise. En assumant totalement le passé et l’avenir de l’entreprise, le chef d’entreprise s’est posé en leader, il a associé la totalité du personnel dans le management et s’est engagé sur des résultats.

(Photo : Carlos Ghosn, Le Monde)