Vincere

La chaîne de télévision Arte a diffusé le 24 mars le film de Marco Bellochio « Vincere » (2009). Par l’histoire tragique de la femme et du fils cachés de Mussolini, c’est la mécanique de l’instauration du fascisme qui est mise au jour.

 En 1914, Ida Dalser (Giovanna Mezzogiorno), 34 ans, rencontre les pas de Mussolini (Filippo Timi). Cet homme assoiffé de pouvoir la fascine. Elle tombe éperdument amoureuse de lui. Pour lui permettre de créer son journal, le « Popolo d’Italia », elle vend tout ce qu’elle possède. Elle lui donne un fils, Benito Albino. Elle prétend qu’ils se sont mariés religieusement et que le père a reconnu son fils.

 Mais Mussolini entretient une relation avec une autre femme, Rachele Guidi. C’est elle qu’il épousera officiellement, c’est d’elle qu’il aura des enfants légitimes. Ida et le jeune Benito deviennent encombrants, d’autant plus qu’Ida ne baisse pas le ton. Elle clame à cors et à cris sa vérité. On l’enferme à l’asile psychiatrique. On la sépare de son fils, placé dans une pension glaciale, seul à l’écart de ses camarades. On ne trouve pas trace d’un acte de mariage avec le futur Duce et d’un acte de reconnaissance de paternité. La vérité d’Ida ne tient pas ; seule existe la vérité du nouveau régime. Ida et Benito mourront tous deux en détention psychiatrique, respectivement en 1937 et 1942.

 Dans la première partie du film, Marco Bellochio nous transporte dans l’excitation de la conquête du pouvoir, avec une énorme charge érotique. Dans la seconde partie, tout devient solitude, souffrance, lenteur. Il y a des scènes magnifiques, comme celle dans laquelle Ida se hisse en haut d’une énorme grille et confie au vent les messages de désespoir qu’elle destine à d’hypothétiques sauveurs, le Roi ou le Pape. Vers la fin du film, Bellochio utilise un reportage d’actualité montrant Mussolini vociférant un discours guerrier dans des postures ridicules, menton levé, bouche tordue, regard fuyant. Sollicité par des condisciples, son fils Benito Albino rejoue la scène et accentue l’absurdité du dictateur ; on le sent aveuglé de haine pour ce père qui l’a laissé tomber et ne le désigne que comme Benito Dalser.

 « Vincere » met l’art du cinéma au service d’un réquisitoire implacable contre le fascisme et la destruction qu’il opère de l’amour et de la beauté.

Hors la loi

France 2 a commencé le 12 février la diffusion d’une série de trois remarquables documentaires de François Cholowicz sur le système judiciaire et l’emprisonnement.

 La réalisation de ces documentaires a nécessité la collaboration active des policiers, procureurs, magistrats, avocats, responsables de l’administration pénitentiaire, travailleurs sociaux impliqués dans l’arrestation, la garde à vue, le mandat de dépôt, la détention et le jugement de six justiciables impliqués dans différents délits (cambriolage, vol à la roulotte, agression sexuelle…). Un millier d’interviews ont été effectuées. Le projet s’est étagé sur 4 ans, à la fois en raison de l’étendue du matériel accumulé et pour pouvoir suivre le parcours des justiciables.

 Le réalisateur suit à la trace six hommes qui ont maille à partir avec la justice. Ils sont de profils différents, du SDF à l’éducateur sportif, et de l’immigré en situation irrégulière parlant à peine le français à un multirécidiviste beau parleur. Certains admettent les faits qui leur sont reprochés. D’autres les nient farouchement. Policiers et magistrats sont parfois en proie au doute et tentent de se forger une opinion ; parfois, ils sont convaincus de la culpabilité des personnes arrêtées mais peinent à la prouver.

 François Cholowicz ne prend pas parti. Il suit les policiers dans leurs interventions de nuit. Lorsqu’un suspect est appréhendé, c’est lui que la caméra suit à chaque moment de son parcours judiciaire et jusque dans la prison. C’est du point de vue du justiciable que nous nous trouvons. Nous avons en face de nous le policier qui nous interroge pendant les interminables heures de notre garde à vue, la juge d’instruction qui décide de nous envoyer en  détention provisoire, le gardien de prison qui effectue pour nous les formalités d’écrou, le directeur qui nous reçoit dans le cadre de la procédure d’accueil dans le quartier des arrivants de la maison d’arrêt.

 C’est la répétition du même scénario dans les mêmes lieux, commissariat central, palais de justice et maison d’arrêt de Toulouse, mais impliquant des justiciables de profils très différents, qui révèle peu à peu comment fonctionnent les rouages de la justice. Le film montre les hommes et des femmes qui font fonctionner cette machine. On est frappé par le professionnalisme des policiers, des agents de l’administration pénitentiaire, des juges et des avocats, des travailleurs sociaux, et aussi par leur profonde humanité. « Mais Monsieur, qu’est-ce qu’on va faire de vous ? » demande une juge, dénotant par cette question une réelle anxiété.

 Les locaux où a été tourné le documentaire sont modernes et fonctionnels ; on sait que ce n’est pas le cas de la plupart des prisons et de nombreux lieux de police et de justice. Il est probable que les personnels filmés ont donné, devant la caméra, le meilleur d’eux-mêmes. Il reste que le film est instructif et captivant.

 Le premier épisode, « entrer en prison », peut être visionné sur http://www.france2.fr/emissions/infrarouge/diffusions/12-02-2013_29023.  Les autres épisodes auront pour titre « rester en prison » et « revenir en prison ».

« Slow » et « Vintage »

L’une des chaînes du « bouquet télévision » de Free est Chérie 25. Dans son émission « 99% Plaisir », Sophie Brafman interviewait le 30 décembre un « tendanceur », Vincent Grégoire. Selon lui, ce qui est branché aujourd’hui, c’est le « slow » et le « vintage ».

 Voici comment Chérie 25 présente 99% Plaisir. « Nous aurions pu appeler ce rendez-vous « Les bonheurs de Sophie », du prénom de son animatrice et journaliste Sophie Brafman, tant la mission de cette émission hebdomadaire est claire : vous plonger au cœur du beau (design, déco, architecture…), du bon (resto, détente…), et du bonheur (voyages, événements, découvertes…). »

 Le 30 décembre, l’invité de l’émission était Vincent Grégoire, qui se présente comme « tendanceur », c’est-à-dire détecteur de tendances qui s’imposeront aux spécialistes de la mode ou aux designers. Son interview était intéressante. Il expliquait que les tendances se perçoivent de multiples manières, en regardant la télévision, en interrogeant les consommateurs sur ce qu’ils n’aiment pas (ils ne savent en général pas dire ce qu’ils aiment), en visitant des galeries, en surfant sur les réseaux sociaux. Il disait aussi qu’il fallait être surtout attentif à ce qui dérange. Si quelque chose nous irrite, c’est qu’il y a de la nouveauté et potentiellement une tendance pour l’avenir.

 Vincent Grégoire mettait en évidence deux tendances du moment : le « slow » et le « vintage ». Le « slow », c’est prendre son temps, être « cool », ne pas s’énerver, ne pas se hâter d’engloutir les choses afin de pouvoir les savourer. On parlera de « slow food » par opposition au « fast food ». Le « vintage », c’est la nostalgie du monde d’autrefois, du hula-hoop aux exercices de gymnastique des cours de récréation d’il y a cinquante ans.

 Le formidable essor de la bicyclette se nourrit naturellement du marasme économique et des préoccupations écologiques, mais il est aussi porté par un effet de mode. Malgré son nom, le vélocipède est un moyen de transport calme et « slow ». Dans les milieux branchés, il est de bon ton d’enfourcher un deux-roues « vintage ». Le résultat est obtenu soit en retapant un vélo ancien et en l’agrémentant d’accessoires : des ateliers se sont ouverts dans les grandes villes à cet effet. Soit en achetant un vélo flambant neuf, mais dont le « look » est ancien, à la manière des Fiat 500 et des Minis.

 Il y a cinquante ans, la bicyclette était le moyen de transport des ouvriers. Elle est devenue la marque distinctive de « bobos » qui entendent s’afficher comme « slow » et « vintage ».

Bicyclette « Vintage »

Reality

« Reality », film de Matteo Garrone, a reçu le prix du jury du festival de Cannes en 2012.

 Dès la première scène, le décor est planté. Un carrosse digne de celui de la Reine d’Angleterre s’achemine vers un château de la région de Naples. Des jeunes époux en descendent. Le clou de leur soirée de mariage sera l’intervention – très brève – d’Enzo, le vainqueur de la dernière édition de « Grande Fratello », l’équivalent italien du Loft. Enzo dit que c’est la plus belle mariée du monde et leur donne un conseil : « never give up », n’abandonnez jamais ! Ce sera d’ailleurs le clou d’autres mariages célébrés le même soir dans le même château avec des plus belles mariées du monde interchangeables et le même conseil : « never give up ».

 Le décor où vit la famille Ciotola est tout aussi théâtral. Il s’agit d’un palais napolitain délabré donnant sur une place dont tous les habitants se connaissent. Luciano (Aniello Arena) est père de famille : il a trois enfants et plusieurs oncles et tantes à charge. Il est le poissonnier de son quartier. Pour joindre les deux bouts, il gère une arnaque aux robots ménagers imaginée par sa femme, Maria (Loredana Simioli) ; il joue aussi occasionnellement le rôle d’un Drag Queen dans le palais des mariages.

 C’est là que Luciano fait la connaissance d’Enzo. Il se trouve que « Grande Fratello » organise à Naples un casting. Poussé par ses enfants, Luciano tente sa chance. Son bas-goût, son profil de prolétaire plaisent aux organisateurs. Il est convoqué à Rome. On lui laisse entendre qu’il a été sélectionné pour « entrer dans la maison ».

 La vie de Luciano bascule. Sûr de devenir célèbre et riche, il vend sa poissonnerie et adapte son comportement aux critères qu’il imagine que suivent les organisateurs de ce Reality Show. Il se croit épié par leurs espions. La télévision rend fou, dit-on. Luciano perd contact avec la réalité et sombre dans la paranoïa.

 Maria croit le remettre sur les rails grâce à la direction spirituelle d’un prêtre catholique. Mais lors d’une procession du vendredi saint au Colisée, Luciano s’échappe. Il rejoint Cinecittà et entre dans le saint du saint : la « maison » des « frères » du Grande Fratello. Il ricane, de satisfaction pour avoir réussi son effraction, ou de désespoir pour avoir ruiné sa vie pour un rêve vain.

 « Reality » est un excellent film, drôle et tragique, dans la droite ligne de Fellini. Le sujet qu’il aborde, le pouvoir de la télévision, est évidemment particulièrement pertinent au pays de Berlusconi. Mais la machine à produire des images vides gravées dans la tête des pauvres est un fléau universel.

Aniello Arena dans « Reality »