Cantina

Donné dans le cadre du « London World Festival », Cantina est un spectacle de cirque exceptionnel par la virtuosité des acrobates et la charge émotionnelle qu’il dégage.

 Pendant l’été, le Southbank Centre, déjà équipé de deux magnifiques salles de spectacle, le Royal Festival Hall et le Elizabeth Festival Hall, occupe un espace supplémentaire. Dans le Jubilee Garden, tout près de la grande roue au bord de la Tamise (le London Eye), il offre un espace de fête foraine nommé « London Wonderground ». Un chapiteau de cirque y est planté au milieu des attractions foraines. Pendant les spectacles qui s’y déroulent, on entend le hurlement des passagers des engins de production d’émotions fortes.

 Jusqu’à la fin septembre, une troupe australienne donne sous le chapiteau un spectacle d’une heure, Cantina. Les ingrédients sont ceux du cirque : acrobatie, contorsionnisme, funambulisme, équilibrisme. Mais, comme au Cirque du Soleil quoiqu’à une échelle plus humaine, on ne vise pas la prouesse technique en tant que telle, mais l’émotion provoquée par le corps humain écartelé. Le spectacle a l’esthétique des années vingt, visuellement et par les musiques interprétées sur scène.

 Sur un fil d’acier, un homme et une femme (elle portant naturellement des talons hauts) tentent de trouver leur équilibre, chacun pour soi mais en tentant de se raccrocher l’un à l’autre. Un homme tente de modeler une femme, pantin inerte, à son image. L’homme qui virevolte le cou pendu à une corde a le visage revêtu d’une cagoule, évoquant le supplice d’un condamné à mort. Une femme piétine de ses chaussures à talon le torse nu d’un homme qui la battait.

 Il y a dans Cantina une humanité bestiale qui affleure, celle qui veut asservir, dominer, écraser ; mais aussi celle qui atteint, par la virtuosité physique et la grâce de la chorégraphie, à une sublime beauté.

Cantina, photo de South Bank Centre Dance Blog

Shakespeare : mettre le monde en scène

 

A Robben Island, Mandela annote "Jules César" de Shakespeare. Photo The Guardian

Le British Museum présente jusqu’au 25 novembre une exposition intitulée « Shakespeare ; Staging the world » (mettre le monde en scène).

 La pièce la plus émouvante de l’exposition est celle présentée aux visiteurs au moment de la quitter : un recueil des œuvres complètes de Shakespeare, introduite clandestinement à Robben Island. Les prisonniers avaient souligné le passage qu’ils préféraient. Nelson Mandela avait retenu le suivant, de la pièce Jules César : “Cowards die many times before their deaths/The valiant never taste of death but once.” Les lâches meurent plusieurs fois avant leur mort / le valeureux ne goûte la mort qu’une seule fois ».

 L’exposition a pour ambition de montrer les influences qui ont modelé la personnalité et l’œuvre de Shakespeare. Elle le fait à partir d’objets tels que des cartes géographiques, des tableaux, des sculptures, des accessoires de la vie quotidienne comme cet émouvant bonnet de laine obligatoirement porté par la plèbe ou des reliques, comme le reliquaire contenant la cornée d’un jésuite martyrisé.

 Elle évoque naturellement la vie bucolique de Stratford upon Avon et du Warwickshire, le comté d’origine du dramaturge. Mais c’est surtout Londres qui se trouve au centre de l’exposition, une ville qui comptait déjà 200.000 habitants, comprenant beaucoup d’immigrants (en particulier les protestants persécutés sur le Continent) et dotée d’un quartier, Southwark, où se pratiquait la prostitution, se montraient des ours attaqués par des chiens et se produisaient des spectacles avec une grande gamme de prix où l’on mangeait et l’on buvait. Londres devenait un port international important, au moment où Francis Drake entreprenait son tour du monde : que Shakespeare ait appelé son théâtre « The Globe » n’a rien de surprenant.

 L’actualité politique est sous-jacente à beaucoup de pièces de Shakespeare, sous le long règne d’Elizabeth I (1558 -1603) puis de James I (1603 – 1662). L’incertitude sur la succession dynastique, la guerre d’Irlande, les tentatives de coups d’Etat, la féroce répression des catholiques après le complot de Guy Fawkes, tout cela fournit un ample matériau aux pièces de Shakespeare, sous le déguisement du Moyen Age ou de l’antiquité romaine. L’intervention des sorcières dans Macbeth par exemple a elle-même une connotation historique : le roi James I était persuadé que la menace de naufrage qu’il avait vécu au cours d’un passage entre la Grande Bretagne et le Danemark était dû à un sort qu’on lui avait jeté.

 Dans plusieurs salles, des vidéos montrent des acteurs jouant des scènes de Shakespeare qui font écho aux influences que présentent les objets exposés. On comprend mieux, grâce à eux, comment l’art s’est élevé sur les épaules de l’histoire.

Portrait posthume de William Shakespeare

La Royal Academy of Dramatic Art

La Royal Academy of Dramatic Art (RADA) a organisé du 27 juin au 7 juillet un festival pour présenter ses activités et ses productions.

 L’Académie Royale d’Art Dramatique a été fondée en 1904. Elle forme l’élite des métiers du théâtre, acteurs (28 par promotion), metteurs en scène ou spécialistes de sons, de lumières, de décors ou de costumes. Son festival donne l’occasion au public de découvrir le travail des élèves.

 Le jeune metteur en scène Matthew Monaghan présente Penetrator, une pièce écrite par Anthony Neilson en 1992 dans les mois suivant la première guerre du Golfe, qu’il a adapté au contexte de la guerre d’Afghanistan. Deux jeunes chômeurs, Max et Alan, partagent un appartement délabré, entre alcool, drogue, revues porno. Deux petits nounours occupent le centre de leur logement et symbolisent leurs fantasmes sexuels, hétéro pour Max, que sa petite amie vient de quitter, homo pour Alan. Leur vie tranquille, parfois minable, parfois drôle, est bouleversée par l’arrivée impromptue d’un ami d’enfance qui vient d’être réformé de l’armée. Tadge a vécu en Afghanistan une expérience effrayante : il se croit poursuivi par une conspiration de « Penetrators » qui veulent l’assassiner. Il croit reconnaître en Alan un membre clandestin de la secte. Dans une scène interminable, il menace de l’égorger pendant que Max tente de le convaincre de lâcher le couteau. C’est alors que Tadge s’effondre et avoue son amour pour Max. Les Penetrators de l’Armée Britannique ne sont-ils que le reflet inversé de la répression que la société fait peser sur les homosexuels ? La mise en scène de Monaghan exprime avec force le couvercle de plomb qui pèse sur les désirs, rend inévitable des explosions de violence, de sang et de sexe et rend les personnes incapables d’aimer vraiment.

 Une autre pièce présentée au RADA festival est « Chelsea Hotel », écrite par Lucy Shaw et mise en scène par Stephen Darcy. Mag, une jeune serveuse de 19 ans emménage dans un nouveau studio. Elle est perdue dans la vie. Un jour, elle rencontre dans la rue une mendiante et la ramène chez elle. Celle-ci est une toxicomane ravagée par le remords de ne pouvoir s’occuper de son jeune enfant. La famille de Mag se met en travers de cette relation. Comme dans « Penetrator »,  le couvercle de plomb de l’homophobie étouffe les protagonistes. Mais à l’inverse de Penetrator, les deux femmes ont vécu une brève mais véritable relation d’amour, et celle-ci est porteuse de rédemption.

 Mon amie Bridget vient d’occuper à RADA une fonction consistant à faire connaître l’Académie et développer son chiffre d’affaires commercial. Les potentialités sont considérables. L’Académie sélectionne les meilleurs, définit avec eux des parcours individuels, exploite leurs caractéristiques psychologiques les plus profondes, les amène à transcender leurs limites. Elle a accumulé un savoir-faire unique qu’elle valorise déjà dans des formations et des parcours de coaching pour le développement personnel, la construction d’équipe, la mise en scène de projets d’entreprise. Cette soirée de festival prouve que les opportunités sont considérables.

The Real Thing

 

Geral Kyd (Henry) et Marianne Oldham (Annie) dans The Real Thing

Le Palace Theatre de Watford vient de présenter une pièce écrite par Tom Stoppard en 1982, « The Real Thing ».

 Tom Stoppard, né en 1937 en Moravie et émigré eux ans plus tard dans les possessions de l’Empire Britannique pour fuir les persécutions nazies, est un dramaturge connu en Grande Bretagne. Il a en particulier coécrit le scénario du film Shakespeare in Love.

 Dans « The Real Thing » (la Réalité), c’est aussi un dramaturge, Henry, qui s’efforce de vivre sa vie de la manière la plus honnête, ou la plus romantique, possible. Le premier acte nous montre la rupture avec sa première femme, Charlotte, qui le trompait effrontément, et le début de sa relation avec Annie. Dans le second acte, Annie à son tour confesse une relation extraconjugale mais jure à Henry son amour, non exclusif.

 Quelle est la réalité de l’amour d’un homme et d’une femme ? Annie comme Charlotte est comédienne. La première scène est « une pièce dans la pièce », Charlotte jouant le rôle de l’infidèle ; plus tard, dans le deuxième acte, nous verrons aussi Annie répétant un dialogue avec un homme qui est aussi son amant. Ce jeu de miroir entre les personnages eux-mêmes et les personnages jouant comme comédiens, brouille la carte des relations. « Are you all right ? » – « est-ce que tu vas bien ? » revient comme un refrain obsessionnel : jouent-ils à l’amour ? Aiment-ils vraiment ?

 Annie milite pour la libération d’un militant, Brodie. Celui-ci écrit des textes politiques que Henry juge dénués de talent. Il compare le métier du dramaturge à une batte de cricket : elle est capable de projeter une balle à des centaines de mètres avec une accélération formidable. Le mauvais écrivain est celui qui se sert d’une batte comme d’un vulgaire morceau de bois.