Reasons to be cheerful

Le Palace Theatre de Watford vient de présenter une étonnante production du théâtre GRAEE : « reasons to be cheerful », des raisons pour être joyeux.

 Il s’agit d’une comédie musicale construite à partir de chansons du groupe punk  Blockheads et des son compositeur Ian Dury, mort en 2000 du cancer à l’âge de 58 ans. Un groupe d’amis d’un quartier populaire d’une ville anglaise rêve d’assister au « gig » (concert géant) des Blockheads, en compagnie du père de l’un d’eux, aveugle et paralysé, qui prétend que les Tories lui ont inoculé le cancer. Hélas, le concert se joue à guichets fermés. Avec la complicité de l’ex petite amie d’un jeune fortuné, la fine équipe s’empare de billets. Mais l’expédition s’achève sur une plage, après que la voiture est tombée en en panne. Le vieil homme renoue avec les sensations de ses vacances d’enfant, au même endroit.

 Les chansons de Ian Dury, écrites pour la plupart dans les années soixante dix et quatre vingt, ont une forte connotation sexuelle (Sex, drug and Rock n’ Roll, Hit me with your rhythm stick). Elles parlent de l’humiliation des handicapés (Spasticus Autisticus) et de celle de ceux qui ne trouvent pas leur place dans la société (What a waste). Le titre de la pièce est celui d’une des chansons à succès du groupe. La plus émouvante est probablement « my old man », où Dury évoque la figure de son père, chauffeur d’autobus puis de Rolls Royce, qu’il a à peine connu.

 La troupe nous offre deux heures de musique trépidante, jouée et dansée par des acteurs étourdissants. Ce qui est véritablement unique, c’est le casting. La plupart des acteurs sont handicapés. Le chanteur John Kelly, qui a une voix magnifique, se déplace en fauteuil roulant. Stephen Collins est malentendant. Nadia Albina n’a qu’un bras et ne cherche pas à cacher son moignon. GRAEE a fait de l’accessibilité du théâtre sa raison d’être. Quand on voit l’énergie et la joie de jouer des acteurs, on admire sa magnifique réussite.

 Ian Dury avait lui-même été victime de la polio pendant son enfance et était handicapé. Il avait soutenu le GRAEE dans ses premières années. Je n’aurais probablement pas connu ou apprécié ses chansons, avec leur rythme échevelé et un texte âpre bouillonnant en cascades, sans la comédie musicale de ce soir. C’est pour moi une découverte, émouvante et forte.

 Photo de « Reasons to be cheerful ».

Aïda au Royal Albert Hall

Le Royal Albert Hall produit actuellement l’opéra « Aïda » de Giuseppe Verdi.

 Le Royal Albert Hall et l’opéra « Aïda » de Verdi sont exactement contemporains : ils datent l’un et l’autre de 1871. L’une des plus fameuses salles de spectacle au monde offre à Verdi un cadre majestueux. Pour ne rien gâcher, la sonorisation est parfaite, ce qui relève de l’exploit dans un si vaste espace.

 Le metteur en scène Stephen Medcalf a choisi de nous faire partager le regard d’une égyptologue anglaise du dix-neuvième siècle, Amelia Edwards. Ce parti pris se défend, car le livret d’Aïda a été élaboré à partir d’une histoire écrite par un autre égyptologue, le Français Auguste Mariette. Amelia supervise des fouilles archéologiques et s’imprègne si profondément de son histoire que les personnages, Aïda, fille du roi d’Ethiopie captive du roi d’Egypte, Amneris, fille de ce dernier, Radames, commandant de l’armée égyptienne, prennent vie devant elle. Le décor de ruines amplifie le drame ; la forme elliptique de l’auditorium rend les cinq mille spectateurs tout proches ; des images projetées, le Nil, le désert, les pyramides, l’amplifient.

 Cette superproduction, avec costumes inspirés de l’époque et chorégraphie moderne, pourrait verser dans le kitsch. Elle ne tombe toutefois pas dans ce travers, en partie grâce aux interprètes, les chanteurs et le Royal Philarmonic Orchestra, et surtout par la magie de l’œuvre de Verdi. Le sort des prisonniers éthiopiens à la merci du roi d’Egypte et celui de Radames, condamné pour trahison à mourir enseveli vivant dans son tombeau évoquent immédiatement la population martyre de Homs, livrée à la barbarie du tyran de Damas. Le trio final du triangle amoureux, Aïda et Radames dans la tombe, Amneris à l’air libre mais désespérée, est bouleversant.

LOL, Lots of Love

Le Palace Theatre de Watford vient de produire « LOL, Lots of Love », une chorégraphie de Luca Silvestrini sur la communication virtuelle sur la Toile.

 LOL est une abréviation que l’on met en conclusion d’un SMS ou d’un courriel en anglais. Elle se lit « Lots Of Love » (de l’amour en quantité), mais aussi « Laugh Out Loud », (rire à gorge déployée). De fait, la chorégraphie de Silvestrini est hautement comique et le public du Palace Theatre, en majorité jeune ce soir, ne boude pas son plaisir.

 S’agit-il d’ailleurs vraiment d’une chorégraphie ? Le spectacle relève d’un genre complètement nouveau, qui emprunte au théâtre (les danseurs parlent), au cirque (les danseurs sont aussi des acrobates) et au mime (les danseurs expriment des sentiments par leurs corps). Il utilise la vidéo, et notamment des images de visages prises par une webcam. Il s’appuie sur une bande son qui fait la part belle au crépitement de claviers d’ordinateurs.

 Le spectacle est une satire de la société Facebook et Twitter. Dans la première scène, un acteur est empêtré dans un amas de câbles électriques. Il est rejoint par cinq autres personnages. Ils disent des phrases tirées de manière aléatoires de « chats » sur Internet. Leurs corps se croisent, se frôlent, se touchent, ils prennent appui les uns sur les autres, virevoltent, tombent, se relèvent. Les individus semblent des atomes de Bohr, animés d’un mouvement continuel dénué de sens.

 Nous voici sur un site de rencontre. Les personnages essaient de se définir, de définir le prince charmant ou la femme de leur vie. Ici, l’humour reste présent et l’on rit à chaque instant, mais on est dans l’humour noir. On ressent chez eux une oppressante solitude, un besoin d’amour béant, mais ils formulent leur désir sur le registre d’Internet : cocher les cases. Le langage corporel exprime l’intensité du désir mais aussi l’abîme d’incommunication qui s’ouvre entre des humains qui ne se regardent pas.

 Dans la scène suivante, c’est la rencontre réelle de personnes qui se sont trouvées sur la Toile. Mais quel comportement adopter ? Il y a de la précipitation, et même de la violence, de la timidité, de la maladresse. Le spectacle se termine comme il a commencé. Un personnage tient dans les bras un amas de câbles. Il l’enlace tendrement et esquisse un pas de danse avant de s’endormir avec lui, comme avec la femme rêvée qu’Internet ne lui a pas permis d’atteindre.

 Les six comédiens danseurs sont formidables. « LOL, Lots of Love » est un spectacle tonique, drôle et tragique à la fois. Recommandable !

 Photo « The Guardian » : Kip Johnson dans LOL, Lots of Love

Backbeat

Jouée au théâtre Duke of York’s de Covent Garden à Londres, la comédie musicale Backbeat raconte l’histoire de la naissance des Beatles, entre Liverpool et Hambourg de 1960 à 1962.

 La comédie musicale est dérivée du film homonyme réalisé par Iain Softley en 1994. Pour la mise en scène, Softley lui-même s’est associé à Stephen Jeffreys.

 En 1960, les Beatles sont cinq : aux côtés de John, Paul et George se trouvent Pete Bust, qui sera brutalement remercié trois ans plus tard par le nouveau producteur du groupe et remplacé par Ringo Starr, et un cinquième homme, Stuart Sutcliffe.

 Stuart (joué par Nick Blood) et John (Andrew Knott) se sont rencontrés à l’académie d’art de Liverpool. Stuart est un médiocre musicien mais, fasciné par la personnalité de John, ne peut lui refuser de faire partie de son groupe. A Hambourg, Stuart rencontre une jeune photographe allemande, Astrid Kircherr (Ruta Gedmintas) et en tombe éperdument amoureux. Cette rencontre réveille en lui sa vocation de peintre. Il est déchiré entre sa fidélité à John, qui exige de lui qu’il se fonde dans le groupe, et sa propre ligne de vie. Accepté à l’Académie de Hambourg, il se résout à quitter les Beatles mais décède brutalement à l’âge de 22 ans d’une hémorragie cérébrale, probablement suite à une bagarre quelques mois auparavant.

 La comédie musicale nous montre l’enfantement des Beatles, d’un groupe de rock parmi d’autres aux quatre garçons dans le vent dont le look, la voix et les chansons marqueront les années soixante d’une marque indélébile. A Hambourg, ils doivent jouer 6 heures par soirée dans un club louche et vivent dans une débauche de bière, de cigarettes et de prostituées (dans Backbeat, les acteurs fument tant sur scène que cela en devient gênant pour les spectateurs). Peu à peu, leur style s’affirme. Paul interprète pour John la chanson qu’il vient de composer, Love me do. Après une première réaction de mépris, John propose à Paul une intonation, un rythme plus affirmés. Lorsqu’Astrid dessine pour le groupe un costume à pan droit et col serré et qu’elle remplace leur chevelure à la Elvis par la coupe au bol, les Beatles sont prêts pour la célébrité.

 Backbeat nous dépeint un John Lennon dominateur et manipulateur bien que fragile. Astrid dit à Stuart : « John veut le monde et Paul va trouver les moyens pour qu’il l’obtienne ». Dans les griffes de John, Stuart est un être torturé. Une belle scène de la pièce est celle de la mort de Stuart dans les bras d’Astrid, qui s’était vêtue d’une tenue de soirée étincelante pour le séduire mais se trouve soudain confrontée à l’atroce absence de l’être aimé.

 Photo : Andrew Knott et Ruta Gedmintas dans Backbeat.