Le Tartuffe de Molière à Watford

Le Palace Theatre de Watford vient de programmer une remarquable adaptation de « Tartuffe ou l’Imposteur » de Molière par ETT, English Touring Theatre, une troupe itinérante de Liverpool.

 L’adaptation du texte de Molière par Roger McGough est fidèle à l’esprit de la pièce. Il s’écarte parfois de la lettre, comme lorsqu’il remplace les citations latines par des proverbes anglais dits avec l’accent français.

 La metteuse en scène, Gemma Bodinetz, a choisi d’interpréter la pièce dans le registre de la farce. Ce faisant, elle prend le contre-pied de réalisations où domine la situation tragique d’une famille brisée par un imposteur. Celles-ci portent un message sur le caractère pervers de l’hypocrisie religieuse ; c’est l’aveuglement et l’autocratisme d’Orgon que Bodinetz ridiculise.

 On sait que Molière était fortement influencé par la Commedia dell’arte. Dans la même veine, Gemma Bodinetz donne à ses acteurs des postures, des mimiques et des paroles exagérées à l’extrême. Orgon (Joseph Alessi) est si invraisemblablement aveugle qu’il en devient sympathique ; sa fille Marianne (Emily Pithon) est d’une niaiserie de compétition ; sa femme Elmire (Rebecca Lacey) joue la femme fatale à s’y tromper ; la soubrette Dorine en rajoute dans l’impertinence et la moquerie ; et Tartuffe (Colin Tierney) lui-même est si concentré dans sa besogne de jouer la comédie de la piété que son caractère diabolique le cède au ridicule.

 On rit comme des gosses. C’est une magnifique réussite de la troupe de l’ETT. C’est aussi un hommage au génie de Molière, trois siècles et demi après qu’il eut produit le Tartuffe pour la première fois devant le roi Louis XIV.

 Photo de la pièce « Tartuffe or the Imposter », par ETT, English Touring Theatre.

Dreamboats & Petticoats

La célébration de l’anniversaire de notre fille Florence m’a permis d’assister au spectacle de son choix : la comédie musicale Dreamboats & Petticoats au Playhouse Theatre de Londres.

 Dreamboats & Petticoats était initialement une compilation de succès de la fin des années cinquante et du début des années soixante. Le spectacle au Playhouse Theatre s’apparente plus à un « juke box musical » qu’à une comédie musicale proprement dite. Le scénario est mince : en 1961, un groupe de jeunes cherche à percer dans le monde naissant du rock. La scène la plus intéressante est celle où Norman, un chanteur au physique d’Elvis Presley, parvient à faire main basse sur le groupe et à évincer son chanteur, Bobby. La rivalité de Bobby et de Norman n’est pas seulement musicale : ils sont aussi en compétition pour séduire Sue, l’extravertie, et Laura, la musicienne douée.

 La musique est jouée sur scène par un groupe d’artistes formidables qui nous replongent dans l’ambiance d’une époque qui a, cinquante ans après, l’éclat de Presley, de Gagarine et de Kennedy. Beaucoup de chansons étaient reprises en cœur par le public. L’apparition de Des O’Connor, une célébrité de la télévision depuis des décennies, suscitait l’enthousiasme général. Mes références aux années soixante sont différentes. Elles se nomment Johnny Hallyday, Claude François, Françoise Hardy ou Sheila. Pourtant, lorsque dans la scène finale, le public a été invité à se lever et à se laisser prendre par le rythme, les spécificités nationales se sont soudain dissoutes.

 Il m’est revenu à l’esprit un professeur de français de mes années de collège, dans les années soixante. Pour ridiculiser la chanson yéyé, il nous avait distribué le texte débile d’une chanson. En regardant Dreamboats & Petticoats, j’ai réalisé combien son approche était erronée. Par le langage de la musique s’exprimait une génération. Son mépris empêchait le savant professeur de comprendre ce qui se passait sous ses yeux et dans ses oreilles. Cinquante ans après, c’est lui qui se trouve ridicule.

 Photo de « Dreamboats & Petticoats »

La La La Human Steps

Sadlers Wells, une salle de spectacles londonienne consacrée à la danse, a donné récemment « New Work », la dernière œuvre du chorégraphe québécois Édouard Lock.

 La danse est par essence une forme d’art en trois dimensions. Lock, qui a créé la troupe « La La La Human Steps »  il y a une trentaine d’années, met la tridimensionnalité au carré en ajoutant à la chorégraphie la musique et l’image. Trois musiciens interprètent sur scène des adaptations modernes des opéras Didon et Énée de Purcell (1689) et Orphée et Eurydice de Gluck (1774). Plusieurs fois apparaissent projetées les images de femmes, jeunes et âgées, filmées en buste dans une attitude méditative. Leur sérénité n’est peut-être qu’apparente car elles réajustent leurs cheveux ou leur vêtement et cherchent du regard quelque chose ou quelqu’un en dehors du cadre.

 Ce qui se passe sur scène n’est pas serein. Les danseurs sont comme happés dans un tourbillon d’angoisse et de furie. Ils tournent sur eux-mêmes, battent de leurs bras comme des papillons effrayés, se frôlent l’un l’autre et se manipulent comme des marionnettes sans jamais rencontrer la paix.

 La scène est éclairée par des spots de lumière blanche provenant de projecteurs en arrière plan en aplomb de la scène. Les mouvements sont comme fragmentés, le drame se joue en noir et blanc et le visage des danseurs est illisible, ce qui ajoute au sentiment de cauchemar qui se déprend de la mise en scène.

 Le spectateur cherche souvent dans le ballet beauté et harmonie. Ce que Lock nous transmet, c’est au contraire un reflet de notre monde cruel.

 Photo de « La La La Human Steps, New Work » d’Édouard Lock.

Family Business

Le Palace Theatre de Watford donne actuellement « Family Business », la nouvelle pièce de Julian Mitchell.

William, patron d’une entreprise de tourisme, réunit ses quatre enfants pour son anniversaire dans sa maison de campagne au Pays de Galles. Il s’agit aussi de fêter son rétablissement ; âgé de 67 ans, il a eu un sérieux accident de santé et songe à laisser les rênes de l’entreprise.

Les enfants ne peuvent êtres plus différents. Jane, l’ainée, nous est présentée comme une perruche sans cervelle, seulement capable de répéter ce que dit son mari banquier. Tom s’est lancé dans la création d’un paradis touristique en Polynésie mais est en train de faire faillite entre les mains d’un associé escroc. Kate est une jeune femme vive et jolie qui va sur la trentaine. Le plus jeune, Hugo, a embrassé la cause écologiste dans sa version dogmatique et considère le tourisme de masse comme une activité attentatoire à la planète et donc criminelle.

Les révélations pleuvent en cet après-midi de retrouvailles. William annonce qu’il va prendre sa retraite de l’entreprise famililiale et qu’il a une offre pour sa reprise ; il informe aussi ses enfants de ce qu’il a conclu un partenariat civil avec Solomon, l’homme d’origine africaine venu pour s’occuper de son épouse Valerie lorsqu’elle sombrait dans la démence et qui est resté à ses côtés après le décès de celle-ci. Tom annonce qu’il est père d’un petit garçon. Kate déclare qu’elle vient de trouver le grand amour en la personne d’un ami d’enfance, Milo.

Il est alors fatal qu’un douloureux secret de famille soit révélé : Kate ne peut pas épouser Milo car William n’est pas son père, et Valerie est aussi la mère de Milo. L’union de William et Valerie était un contrat. L’entreprise de tourisme qu’ils avaient fondée ensemble permettait à William de voyager et de mener dans l’anonymat ses relations homosexuelles ; elle permettait à Valerie de vivre une vie de femme libre, amante d’hommes mariés mais jamais dépendante ni entravée.

Le vrai maître de cette famille est Solomon. Il possède le mode d’emploi de chacun des protagonistes, de l’irascible William à l’effronté et fragile Hugo. Sa vie a été un cauchemar, survivant à un massacre ethnique, enfant soldat, envoyé dans un pensionnat religieux par le couple d’Anglais qui l’avait adopté. « J’étais comme une hirondelle avec une aile brisée. J’avais volé du Sahara à l’Angleterre, mais je ne pourrais pas revenir. J’avais eu trois familles, mais je les avais toutes perdues. Que pouvais-je faire ? Je pouvais être infirmier. Aller ici et là, partager le chez-moi d’autres gens pour un moment, devenir un « membre de la famille », mais jamais pour longtemps, et n’en avoir jamais à moi. Toujours vraiment sans abri (homeless). Avec le mal du pays (homesick). Non de l’Afrique. Mon Dieu non ! D’un endroit dont j’ai seulement rêvé. On peut voyager loin, en rêve. Longtemps. Mais maintenant, le l’ai trouvé. Je suis le chez-moi. »

C’est du bon théâtre, centré sur un lieu et un moment où la vie de personnes membres de ce qu’on appelle une famille va basculer.

Photo de la pièce « Family Business» au Place Theatre de Watford.