Ballet Black

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Le Place Theatre de Watford a programmé le 4 mai un magnifique spectacle de danse par la troupe Ballet Black.

Ballet Black (http://www.balletblack.com/) a été créé il y  a une dizaine d’années pour donner leur chance à des danseurs d’origine noire ou asiatique.

Pendulum, une chorégraphie réalisée en 2009 par Martin Lawrance sur une musique de Steve Reich écrite en 1968, est une œuvre impressionnante. Elle met en scène un couple de danseurs, Cira Robinson et Jazmon Voss. « Pendulum est un duo qui balance entre des images de combat et des moments de proche partenariat entre ses deux danseurs », dit Martin Lawrence. Le chorégraphe « utilise les rythmes de battement de cœur des Mouvements du Pendule de Steve Reich pour élever les pulsions de son travail jusqu’à une compétition, un menace ou une poursuite. Tandis que les danseurs se confrontent l’un à l’autre dans des tourbillons, la tension qui s’accumule leur donne une aura de danger et de séduction », écrivait The Guardian en 2009.

La musique joue un rôle fondamental dans Pendulum. Au début de la chorégraphie, tout est silence : on n’entend que le frôlement et le heurtement des corps. Puis se mettent en place des graves qui font vibrer les spectateurs, avec un rythme de plus en plus implacable. C’est magnifique.

Illustration : photo de Ballet Black.

Le moment de ma vie

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Le Watford Palace Theatre de Watford présente actuellement une pièce de Alan Ayckbourne intitulée « Time of my life ». Ce « moment de la vie » est celui où l’on a été vraiment heureux sans m’en apercevoir tout de suite, seulement après que le temps a passé, lorsqu’il trop tard pour le savourer.

Le 18 janvier 1992 (année de la création de la pièce), Laura célèbre son cinquante quatrième anniversaire dans un restaurant oriental en compagnie de son mari, Gerry, de leur fils aîné Glyn accompagné de son épouse Stéphanie et de leur fils cadet Adam qui profite de l’occasion pour présenter sa fiancée Maureen. Glyn parlera quelques semaines plus tard d’un moment de bonheur : il vient de se réconcilier avec Stéphanie, Adam a enfin une fiancée et il est bon de se retrouver en famille pour célébrer l’anniversaire de sa maman.

En réalité, les flûtes à champagne sont fêlées, ainsi que le représente joliment l’affiche de la pièce. Laura n’aime pas son fils Glyn et son épouse, qu’elle juge trop conventionnels. Elle ne supporte pas que Maureen lui prenne son Adam chéri, et son aversion est exaspérée par le fait que celle-ci vient d’un milieu social inférieur qu’elle méprise. Le moment de bonheur tourne au désastre. Maureen vomit, au sens physique du terme, cette famille qui la rejette. Restés seuls, Gerry et Laura règlent des comptes  sur des infidélités vieilles de vingt ans. Gerry avoue que son affaire bat de l’aile. Ils boivent plus que de raison. Sur la route du retour, ils auront un accident dont Gerry mourra.

Le cadeau d’anniversaire de Glyn à Laura est une horloge. Le symbole est bien trouvé, car la pièce d’Ayckbourne est un mécanisme d’horlogerie.  Elle se déroule en deux actes et vingt scènes. Dix scènes sont consacrées au dîner d’anniversaire, d’abord avec toute la famille, puis uniquement en tête à tête entre Laura et Gerry, parfois troublé par l’intervention exotique et hilarante du patron ou des serveurs du restaurant. Cinq scènes remontent le temps. On y voit, à rebours, la relation d’Adam et Maureen se construire, de la bague de fiançailles à la première rencontre, par hasard et par erreur. Cinq scènes descendent le cours du temps.  Malgré ses promesses, Glyn trompe de nouveau Stéphanie, qui est enceinte de leur deuxième enfant. Il joue les forts à bras et les magnanimes : il redressera les affaires de son père, il sera toujours là si Stéphanie a besoin de lui. Lorsqu’il annonce à Stéphanie qu’il la quitte, celle-ci est effondrée et une montagne de pâtisseries orientales ne parvient pas à la consoler. Mais lorsqu’ils se revoient plusieurs mois plus tard, c’est une femme reconstruite qui lui demande le divorce, alors que Glyn est allé d’échec professionnel en fiasco sentimental.

On prend beaucoup de plaisir à cette pièce sur le temps qui s’enfuit et, semble-t-il, sur l’impossibilité du couple. On passe sans cesse du rire aux larmes. Les comédiens sont formidables, avec une mention spéciale pour le couple Glyn / Stéphanie (Chris Kelham / Anna O’Grady) et pour le propriétaire de l’improbable restaurant Calvinu (Gregory Gudgeon).

Illustration : affiche de « Time of my life ».

Shoes, Comédie Musicale

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Le Peacock Theatre de Londres donne actuellement une comédie musicale réjouissante, Shoes.

Dans la dernière scène du film Frost Nixon, David Frost offre à Nixon une paire de chaussures du type de celles qu’il chaussait pendant leur fameux duel télévisé. « Efféminées » avait prononcé l’ancien président américain.

La chaussure est un objet de désir et de séduction, qu’il s’agisse du soulier que porte une belle femme, assorti à sa robe de soirée ; de la chaussure « Nike » ou « Adidas » que le sportif choisit avec un soin maniaque ; ou encore de la botte d’un rocker intégrée à son costume de scène. Richard Thomas, auteur des textes et des musiques et Stephen Mear, chorégraphe, ont conçu un spectacle à la gloire de cet objet de tous les jours qui en oublie d’être banal.

Certains critiques ont souligné le côté hétéroclite du spectacle, qui colle des scènes de qualité inégale et tombe parfois dans la facilité. Il reste que l’ensemble est divertissant, bien enlevé et plein d’humour et de poésie. On y assiste à un cours d’hygiène et de sécurité destiné aux femmes – et aux hommes – désireux de porter des talons aiguille. On voit Imelda Marcos expliquer sa collection de milliers de chaussures de luxe. Dans un cadre de photo à la taille d’humains les participants à une noce se disputent le soulier de la mariée. Des chaussures de sport luminescentes animées par des marionnettistes invisibles dansent un ballet qui raconte la liberté de ceux qui s’affranchissent de la gravité.

Les 12 danseurs de Shoes sont formidables. La chaussure propulse, la chaussure change l’esthétique d’un corps, la chaussure atténue le choc avec le sol. Par ses rythmes, par ses courbes, par ses corps qui se touchent et s’éloignent, la danse exalte la chaussure dans tous ses états.

Il ne faut pas chercher de philosophie dans Shoes. C’est un spectacle qui se laisse savourer au premier degré, dans sa fraîcheur.

Photo du spectacle « Shoes » au Peacock Theatre de Londres. Voir aussi ma chronique « talons aiguille » :

http://xdenecker.blog.lemonde.fr/2009/11/21/talons-aiguille/

Love, love, love

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La pièce de Mike Bartlett « Love, love, love » qui vient d’être présentée au Watford Palace Theatre dans le cadre d’une tournée nationale, constitue une caricature drôle et amère de la génération du baby-boom.

La pièce se joue en trois actes : 1967, 1990, 2011.

En 1967, Kenneth a 19 ans. Etudiant, il est émerveillé par les infinies possibilités qu’offre la vie moderne, la télévision planétaire, les voyages, l’herbe. Par contraste, son frère aîné Henry, déjà entré dans la vie active, semble appartenir à une autre génération.  Kenneth drague sans vergogne Sandra, la petite amie de son frère. Pendant qu’ils dansent, tendrement enlacés, sur la chanson « all you need is love » des Beatles,  ils rêvent d’une vie d’aventures et de liberté.

En 1990,  Kenneth et Sarah vivent dans un lotissement de classe moyenne à Reading, dans la grande banlieue de Londres. Ils ont deux enfants, Rosie, dont on fête le seizième anniversaire, et Jamie, de deux ans son cadet. Jamie est un garçon vif et pétillant, mais soumis. Rose est en colère. Sa mère n’est pas venue l’encourager au concert de l’école de musique. Son père n’a qu’une idée très approximative de sa scolarité. Son petit ami est en train de la plaquer, et ses parents ne trouvent rien de mieux à faire que de se chamailler et d’annoncer leur divorce. « Je pense que les choses sont différentes maintenant, dit Sandra. Je pense que les choses ont changé, que nous avons le droit de suivre notre propre chemin, que nul ne doit nous dire ce qui est juste, ni l’église, ni le gouvernement, ni même nos enfants, ce n’est l’affaire de personne, seulement la nôtre.  Nous devons vivre nos vies, Ken, moi, Rosie, Jamie, à partir du moment où maintenant nous sommes tous des personnes séparées. Sur nos propres chemins. Il y a une part de vous qui est exaltée à cette perspective, n’est-ce pas ? Il y a une part de vous qui est exaltée à l’idée de vous battre pour votre propre chemin ? (…) Voilà où nous en sommes, les enfants. Maman et papa vont être plus heureux. Et croyez-moi. Vous serez plus heureux aussi. »

2011. Kenneth vit dans une grande maison lumineuse avec Jamie. Il a pris sa retraite et coule des jours paisibles entre son jardin et le golf. Avec Jamie, ils carburent au vin blanc. Kenneth est convaincu que son fils est heureux. Rosie quant à elle a bien compris que son frère, devenu accroc aux jeux vidéo, ne tourne pas rond.  Elle a convoqué une réunion de famille pour demander des comptes. Agée maintenant de 37 ans, elle réalise que sa vie est un gâchis, sans vrai métier, sans mari, sans enfants, sans argent. Elle en rend responsable ses parents, qui l’ont poussée à suivre son rêve sans espoir de devenir une grande violoniste et ne l’ont jamais vraiment aidée. Elle a une exigence nette et précise : « achetez-moi une maison ».  Pour Kenneth et Sandra, ce serait se priver, mener une retraite plus austère. Kenneth a une autre idée : pourquoi ne se remettraient-ils pas ensemble ? Pourquoi Sandra ne se débarrasserait-elle pas de son mari devenu grabataire et lui, Kenneth, de la charge que représente son fils Jamie ? Ils pourraient voyager de par le monde et jouir ensemble d’une retraite bien méritée par 40 ans de dur labeur !

Tendrement enlacés, Kenneth et Sandra dansent sur la chanson « all you need is love ». Le monde extérieur, à commencer par leurs enfants, est  exclu de leur étreinte.

« Love, love, love » dresse un portrait cruel d’une génération, la mienne, qui sous le masque d’une revendication de liberté a souvent le visage de l’égoïsme. Les acteurs, en particulier Lisa Jackson (Sandra) et Ben Addis (Kenneth) sont remarquables.