Wigmore Hall

100423_wigmore-hall.1272011089.jpg

Wigmore Hall se distingue des autres salles de concert de Londres par son intimité et par un caractère délicieusement désuet.

Nous profitons du passage à Londres de ma filleule Marie, qui joue du violon dans un orchestre amateur en région parisienne, pour assister à un concert de musique baroque au Wigmore Hall. Des personnes très âgées descendent d’un autocar avec d’infinies précautions et se confondent en remerciement pour la patience du chauffeur. Tirées à quatre épingles, elles correspondent très exactement à l’image que l’on se fait du vieil aristocrate anglais.

Contrairement au Royal Albert Hall, au Royal Festival Hall et au Barbican, qui frappent par leur gigantisme, c’est l’étroitesse du lieu qui étonne. La quinzaine de musiciens du group English Concert a du mal à trouver place sur la scène. L’auditorium est tout en longueur. L’acoustique est excellente, et la configuration du lieu permet une grande proximité du public avec les artistes.

Bien que restauré il y a une quelques années, Wigmore Hall est resté dans l’esprit de ses constructeurs en 1901. Il a un côté légèrement suranné qui ne manque pas de poésie. La scène est surmontée d’une coupole décorée d’une fresque représentant l’humanité luttant contre l’inaccessibilité de la musique. Ce n’est pas un chef d’œuvre, loin de là, mais le spectateur se sent membre d’une communauté de mélomanes enracinée dans le temps. Wigmore Hall produit environ 400 concerts par an, ce qui signifie plusieurs dizaines de milliers depuis sa fondation.

(Photo : Wigmore Hall, http://wigmore-hall.org.uk)

Mrs Reynolds et le voyou

100419_mrs_reynolds_ruffian.1271795750.jpg

Le Palace Theatre de Watford donne actuellement une pièce de Gary Owen, « Mrs Reynolds and the ruffian » (le voyou). Elle nous parle d’une manière tendre de sujets actuels, le mal des banlieues et le droit à mourir dans la dignité.

Gary Owen est un scénariste de 28 ans dont les pièces sont enracinées dans sa ville adoptive, Bridgend (Pays de Galles), une cité glauque, célèbre en Grande Bretagne pour l’épidémie de suicides qui a emporté plus de 20 jeunes depuis trois ans. C’est précisément l’histoire d’un jeune sans perspectives et sans espoir que nous conte sa dernière pièce, Mrs Reynolds et le voyou.

Le voyou se nomme Jay. Il comparait devant la juge pour avoir saccagé le jardin d’une dame d’une soixantaine d’années, Mme Reynolds. La juge lui propose une peine d’intérêt général au lieu de la prison : il aidera sa victime à remettre son jardin en état. Bien que jeune, la juge se comporte en vraie professionnelle : elle dépassionne, reformule, propose. Pourtant, elle passe à côté de la motivation de Jay. Celui-ci se dit contrit d’un écart passager. En réalité, il a prémédité l’attaque du jardin et feint la repentance pour échapper à la prison.

Elle passe aussi à côté de la motivation de Mme Reynolds. Elle la croit désintéressée. En réalité, le saccage du jardin est arrivé au moment où le médecin vient de lui apprendre qu’atteinte d’une maladie dégénérative, ses jours sont comptés. Son mari est mort, ses enfants sont loin. Ray est l’être humain que le destin lui envoie. Elle lui offre la rédemption, mais attend de lui qu’il la sauve à ton tour de l’enfer qui l’attend.

Un ami de Jay, Kieran, le tire vers son passé. La jeune voisine d’en face, Mel, le pousse vers un avenir tout à inventer.

Les personnages de Mme Reynolds et de Jay sont magnifiquement interprétés par Trudie Goodwin et Morgan Watkins, avec une sensibilité non dénuée d’humour. La mise en scène est de Brigid Larmour, la directrice artistique du Palace Theatre. Au centre de la scène se trouve un mur chargé de graffitis qui se convertissent peu à peu en jolis dessins, à mesure que Mme Reynolds conquiert le cœur de Jay, l’aide à composer avec les atroces blessures de son enfance, parvient à le décentrer de soi-même et l’amène peu à peu à vivre pour deux femmes, Mel et elle-même.

(Photo : Mrs Reynolds and the Ruffian, Watford Palace Theatre).

Soul Play

100311_soul_play_kate_flatt.1268429207.jpg

Le Palace Theatre de Watford vient de produire une chorégraphie de Kate Flatt, « Soul Play »,  jeu de l’âme.

Rares sont les œuvres théâtrales qui parlent d’après la mort. On se souvient de « huis clos » de Jean-Paul Sartre ou de « hôtel des deux mondes » d’Eric Emmanuel Schmitt. L’œuvre de la chorégraphe Kate Flatt commence à l’instant où un jeune homme, dont nous ne saurons pas le nom, vient de se jeter sous un train. Il se retrouve seul dans un univers sombre. Il essaie de se raccrocher à des choses simples de sa vie d’avant, une sacoche, des pièces de monnaie. Mais il est passé de l’autre côté, irrémédiablement.

Une vieille femme, clopinant comme une sorcière, installe près de lui sa chaise et quelques objets personnels. L’homme essaie d’engager un dialogue avec elle, mais elle ne répond pas. Etes-vous Polonaise ? Ou bien Lithuanienne ? Peu à peu la femme s’anime, et on se rend compte que du diable de sorcière émerge un ange, aérien, léger, communiquant par le langage du corps. L’homme s’exaspère de ne pouvoir entrer en relation par la parole. Il rumine toutes les rancœurs, toutes les frustrations qui l’ont conduit au suicide, il bouscule la femme, on sent qu’il voudrait la tuer. La femme insiste, virevolte autour de lui et peu à peu l’entraine. Le lourdaud se met doucement au diapason du corps en mouvement de sa partenaire, il se fait plus léger. Lorsqu’il est mûr, elle l’entraîne doucement. Il peut disparaître, serein pour toujours, de la scène.

Ce jeu de l’âme annulant par la danse l’écrasement d’une vie ratée a quelque chose de sublime. Les mots sont chargés d’angoisse et de solitude ; le mouvement des corps apporte la rédemption. La pièce, qui dure environ trois quarts d’heure, fait partie d’un projet soutenu par le Peace Hospice, une maison de retraite de Watford. Après la représentation, la metteuse en scène Kate Flatt, la danseuse Joy Constantinides et le comédien Sam Curtis, et une professionnelle du Peace Hospice chargée de l’accompagnement psychologique des pensionnaires, sont venus dialoguer avec les quelques dizaines de spectateurs. Ils expliquèrent que la pièce est née du besoin des personnes âgées d’exprimer ce qu’elles ressentent face à la mort de personnes qui leur sont chères. Elle s’inspire d’un jeu scénique mis en scène par les habitants d’un village de Transylvanie (Roumanie) entre le décès et l’enterrement, simulant les noces du défunt avec la mort.

Une spectatrice demanda pourquoi le comédien jouait pieds nus. Kate Flatt expliqua que dans certains pays, comme au Japon, les personnes résolues à se donner la mort se déchaussent. Je pense aux manuels d’El Qaida, qui prescrivaient au contraire aux pilotes du 11 septembre de nouer scrupuleusement leurs souliers.

Un spectateur dit qu’il avait fait lui-même une tentative de suicide et que la pièce lee bouleversait.

(Photo : www.kateflatt.com)

Disconnect

100302_disconnect1.1267956017.jpg

Le Royal Court Theatre de Londres donne jusqu’au 20 mars « Disconnect », une pièce de Anupama Chandrasekhar, jeune dramaturge basée à Chennai en Inde. Elle met en scène une équipe d’opérateurs d’un call centre de Chennai affectés au recouvrement de créances privées dans l’Illinois.

Le premier personnage à entrer en scène est une manager, Jyothi. « OK, je suis Jyothi, en vérité. Les gens m’appellent Sharon (rires). J’étais Jennifer pour les appels entrants et Michelle pour les appels sortants. Mais j’ai toujours voulu être Kate, comme Winslet. Ou Hudson. » Dès le début, le ton est donné. Les personnages sont indiens, mais leurs interlocuteurs au bout du fil sont des débiteurs américains et à force de se faire passer pour leurs voisins et de contrefaire leur accent, ils finissent par laisser pénétrer le rêve américain au tréfonds de leur âme.

Jyothi reçoit dans son bureau un superviseur d’environ 45 ans, Avinash. Elle lui explique que selon tous les critères d’évaluation, A- aptitude, B- attitude, C- performance, D- engagement, il tombe dans la catégorie des employés à basse performance. Puisqu’il ne réussit pas à New York, il est muté à une région moins stressante : l’Illinois. Où est l’Illinois ? demande Avinash. Au quatrième étage, répond Jyothi Sharon.

La nouvelle équipe d’Avinash est composée de trois jeunes Indiens : Vidya, alias Vicki Lewis ; Giri, alias Gary Evans ; Rohan, alias Ross Adams. Ils travaillent de nuit, quand il fait jour à Chicago, et, contrefaisant l’accent américain, prétendent qu’ils appellent de Buffalo. Leur salaire est fonction d’objectifs de sommes recouvrées presque inatteignables. Ils doivent suivre à la lettre un script détaillé. Mais ils doivent aussi s’adapter aux situations et aux personnalités qu’ils rencontrent au bout du fil : les débiteurs ont divorcé, ont perdu leur emploi, ou ont tout simplement perdu la tête, cédant pour un moment à une frénésie de consommation dont ils n’ont pas les moyens. Tous les moyens sont bons, cajolerie, flatterie, menace : « vous avez fait une promesse. C’est le moment de la tenir. Voulez-vous que vos fils sachent que vous êtes un menteur et un tricheur ? Parce que si vous ne payez pas, c’est ce que vous êtes. Arrêtez de pleurer. Soyez quelqu’un dont vos fils seront fiers », dit Vidya à un débiteur, Harry Coltrane. Coltrane se suicidera une heure plus tard, plongeant Vidya dans une crise personnelle et professionnelle.

Giri s’est lui aussi endetté, à l’image des débiteurs qu’il poursuit. Sa vie dépend de son bonus. Ross finance par son travail les études de son frère à l’étranger et rêve d’émigrer. Il fantasme sur une débitrice de Chicago, Sara, imaginant qu’il entre avec elle dans une relation extra-professionnelle qui lui permettra de fuir Chennai. Usurpant l’identifiant du superviseur, il annule sa dette. Mais Sara, loin de lui en savoir gré, poursuit la compagnie en justice pour harcèlement. Insensible à la catastrophe, Ross, licencié de l’entreprise et menacé de poursuites pénales, contemple dans la nuit la décharge voisine du call centre et y voit Chicago, ses buildings et ses lumières.

Peu de livres ou de scénarios évoquent la vie professionnelle d’aujourd’hui. « Disconnect » d’Anupama Chandrasekhar est une exception. Magnifiquement jouée, intelligemment mise en scène malgré un espace exigu, sa pièce nous offre un bon moment de théâtre.

(Photo The Times : Nikesh Patel dans le rôle de Ross et Ayesha Dharker dans celui de Vidya)