Öper Öpis

   

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 Le théâtre Barbican à Londres vient de produire, dans le cadre du festival international du mime, l’extraordinaire production des artistes suisses Martin Zimmermann et Dimitri de Perrot. Elle n’appartient à aucun genre connu, pas même le mime, et est pure création.

Les ingrédients du spectacle sont un immense plateau carré d’environ 10 mètres de côté qui a la particularité de pouvoir s’incliner d’une vingtaine de degrés vers chacun des côtés ; des objets usuels, chaises, tables ; des trappes, des panneaux, des cubes en bois ; un disk jockey dont les platines produisent des sons improbables qui accompagnent ou provoquent les mouvements des acteurs ; six acteurs, trois femmes et trois hommes dont plusieurs sont des acrobates ou contorsionnistes de cirque.

Comme le dit joliment « Le Phare », les acteurs « narrent les tremblements, absurdes et poétiques, de l’effort humain pour tenir debout ». Dans la première partie du spectacle, ils sont ballottés comme des paquets entre les meubles glissant sur le plan incliné. Ils se cognent les uns aux autres dans un chaos indescriptible et drôle. Puis peu à peu ils s’adaptent à cet environnement vacillant et trouvent, par la mutuelle collaboration, une forme d’équilibre improbable mais d’une esthétique parfaite. Les acrobates offrent une prestation techniquement parfaite. Mais leur virtuosité est au service de la mise en scène d’une humanité fragile, déboussolée mais finalement capable de s’adapter à un environnement sans repère.

On assiste pendant un long moment au dédoublement d’une acrobate entre elle-même et son image figée sur un panneau grandeur nature. Le panneau bouge d’un coin du plateau à l’autre et semble s’animer ; le personnage réel est transporté, figé comme une momie ; et soudain il s’anime, semble faire corps avec son image et s’en distancie. C’est d’une puissante poésie.

Le Cirque du Soleil a ouvert la voie de l’invention de nouvelles formes d’expression artistiques au confluent du cirque, du ballet, de la comédie musicale. Zimmermann et Perrot sont dans la même ligne. Comme le Cirque du Soleil, ils savent nous surprendre, nous émerveiller et nous émouvoir. La bonne nouvelle pour les lecteurs de « transhumances » est que Öper Öpis sera en tournée en mars et avril à Saint Médard en Jalles, Bruxelles, Lyon, Petit Quévilly, Compiègne, Annecy et Grenoble.  Le programme est sur http://www.zimmermanndeperot.com.

Arturo Brachetti

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Le spectacle d’Arturo Brachetti au Garrick Theatre de Londres, intitulé « Change », est véritablement exceptionnel.

 L’art d’Arturo Brachetti, artiste italien né en 1957 à Turin, ne se laisse pas facilement caractériser par un genre : il relève du cabaret, du one-man-show, de l’illusionnisme et du théâtre d’ombres. Arturo a réinventé l’art de la métamorphose, le passage d’un personnage à l’autre en un clin d’œil. Au Garrick, il incarne environ 300 personnages différents. La prouesse technique coupe le souffle et le spectateur a parfois la tête qui tourne tant le rythme est échevelé.

Arturo crée un univers magique au sens propre et imagé du terme. L’Arturo d’aujourd’hui dialogue avec le jeune homme qu’il était. La scène joue sur deux plans, en avant et en arrière d’un écran qu’ils franchissent et déchirent plusieurs fois. Arturo évoque le cinéma américain. Lorsqu’il joue « singing in the rain », son profil est tout à tour celui d’un homme et d’une femme amoureux. Il met en scène les personnages et l’ambiance des films de Fellini, et c’est un moment d’intense mélancolie.

Le spectacle tourne autour de l’idée que le comédien doit se préparer à la métamorphose finale. Habillé de blanc, il finit par se transformer en tourbillon et disparaître dans le vent.

Sur scène, Arturo est un homme seul. Mais il est accompagné d’une équipe créative et d’une équipe technique d’une trentaine de personnes sans lesquelles la magie ne pourrait opérer.

« Change » est donné au Garrick Theatre jusqu’au 3 janvier 2010 (http://www.changelondon.com/, http://www.branchetti.com/)

Tragédies Romaines

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 Le théâtre du Barbican, à Londres, a présenté le week-end dernier les Tragédies Romaines du Toneelgroep Amsterdam : 6 heures de représentation en langue néerlandaise sous-titrée en anglais devant un public enthousiaste.

Les Tragédies Romaines, présentées en 2008 au Festival d’Avignon par la troupe hollandaise Toneelgroep Amsterdam, sont l’assemblage de trois pièces de William Shakespeare inspirées de l’histoire de Rome, et écrites entre 1599 et 1607 : Coriolan, Jules César, Antoine et Cléopâtre. Le metteur en Scène, Ivo van Hove, est passionné par la dimension politique de l’œuvre de Shakespeare. Coriolan, un guerrier revenant à Rome couvert de gloire n’accepte pas de se compromettre avec le minimum d’hypocrisie qui lui attirerait les faveurs du peuple. Banni, il pactise avec l’ennemi. Arrivé avec leur armée aux portes de Rome, il accepte de négocier avec ses concitoyens une paix honorable et est exécuté par ses nouveaux amis pour cette seconde trahison. Brutus tue César pour protéger Rome contre le risque que le héros se transforme en dictateur. Mais la fin ne justifie pas les moyens : un nouvel homme fort, Marc Antoine, écrase les conjurés. Tombé amoureux de Cléopâtre, Marc Antoine est tiraillé entre une vie personnelle qui n’a rien de privé et la conquête du pouvoir suprême. Octave quant à lui ne connait pas ce déchirement et suit une route qui le conduira à l’empire.

La mise en scène joue sur la transposition de la pièce dans le monde politique d’aujourd’hui. Le décor se présente comme le hall d’un centre de conférence, avec un bar, des divans et de multiples écrans de télévision qui diffusent de l’actualité en continu, des dessins animés ou des exploits sportifs. Des horloges marquent l’heure à Tokyo, Londres et New York. Deux percussionnistes créent une atmosphère sonore lourde d’angoisse ou libèrent le tonnerre des batailles.

Plusieurs tableaux ne sont pas joués devant le public, mais filmés par des caméras fixes ou mobiles et retransmis sur un écran géant. Ceci permet à l’action de quitter le plateau et d’occuper la coulisse ou même, dans un cas, la rampe d’accès au parking du Barbican. Les personnages sont parfois interviewés comme au journal télévisé ou s’affrontent comme dans une émission politique. Ils sont vêtus comme les hommes et femmes politiques d’aujourd’hui, souvent en costume et cravate.

Le public est invité à s’installer sur des divans au milieu des acteurs et à consommer aux bars situés des deux côtés du plateau. Un seul espace lui est interdit : il se situe au fond de la scène, entre deux vitres qui symbolisent la frontière du monde des vivants et des morts. Car tous les personnages principaux, Coriolan, César, Brutus, Marc Antoine et Cléopâtre, connaîtront un destin tragique.

La mise en scène est politiquement correcte : une femme joue le rôle d’Octave ; l’acteur jouant le rôle de Marc Antoine souffrant d’une fracture de la jambe, le décor a été aménagé pour qu’il puisse jouer en fauteuil roulant ou avec des béquilles.  

Le spectacle est entrecoupé toutes les 30 ou 45 minutes d’une brève pause qui permet de se dégourdir les jambes et de changer de place, y compris sur la scène, car les sièges n’ont pas été attribués à la réservation. Il commence à 16h et s’achève vers 22h par l’ovation debout d’un public captivé. Au long de ces 6 heures, il n’y a pas eu un temps mort. Le dynamisme de la mise en scène et l’extraordinaire jeu des acteurs transposent sans une ride l’œuvre de Shakespeare dans le monde de Gaza, du réchauffement climatique et de la crise financière.

(Photo Toneelgroep Amsterdam, www.tga.nl)

La guerre de Spike

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Le Place Theatre de Watford vient de produire une pièce drôle et émouvante : « Adolf Hitler, mon rôle dans sa chute, de Spike Milligan », en tournée dans une vingtaine de villes du Royaume Uni jusqu’en mai 2010.

Terence Alan Milligan, dit Spike (1918 – 2002) a été désigné par un sondage de la BBC en 1999 comme « la personne la plus drôle des 1000 dernières années. » Musicien de jazz, scénariste de pièces pour la radio, écrivain, il publia sept tomes de ses mémoires de guerre. La pièce montée par Tim Caroll s’inspire de plusieurs d’entre eux : « Adolf Hitler, mon rôle dans sa chute » ; « Monty, son rôle dans ma victoire » et  « Mussolini, son rôle dans ma chute ». Il demanda que sur sa tombe l’on inscrivît : « je vous avais bien dit que j’étais malade ! »

Autant dire qu’il n’y a ni fait d’armes ni héroïsme dans la guerre de Spike. Affecté à un régiment d’artillerie, il est piètre soldat, et de Dunkerque à  Dieppe, puis de l’Afrique du Nord à l’Italie, sa terreur des canons ne fait que croître jusqu’à ce qu’il termine sa guerre en 1944, classé psychonévropathique dans un camp de réhabilitation près de Naples. Sa contribution à la défaite d’Hitler, c’est de ne s’être jamais laissé impressionner par l’idéologie nazie. Avec un groupe de copains, ils forment un orchestre de jazz et pratiquent entre eux un humour déjanté sur lequel la guerre n’a pas de prise.

Jouée par cinq acteurs remarquables, dont un débutant, Sholto Morgan, dans le rôle de Spike, la pièce est menée tambour battant, avec des chansons, des effets scéniques, des moments d’une irrésistible drôlerie, et d’autres nostalgiques ou tragiques comme cette scène où Spike communique par téléphone avec un soldat pendant un bombardement jusqu’à ce que le silence, définitif, s’établisse au bout de la ligne.

Comme le dit la présentation de la pièce, « haute comédie et tragédie entrent en collision à mesure que nous suivons Spike et son quartet de jazz, à la dérive sur la marée des grands événements historiques. Pour utiliser les mots de Milligan lui-même, la pièce fusionne joyeusement la comédie, la chanson et la danse – montrant comment l’humour, la musique et la camaraderie permirent à un groupe d’infortunés jeunes gens de prévaloir contre la puissance de la machine de guerre nazie ».