Nowhere Boy

 

Anne Marid Duff et Aaron Johnson dans Nowhere Boy

« Nowhere  Boy », film de Sam Taylor Wood (2010) raconte l’adolescence de John Lennon de la mort de son père adoptif en 1955 au départ de Liverpool pour Hambourg cinq ans plus tard.

 « Tu n’iras nulle part », prophétise au jeune John (Aaron Johnson), plus intéressé par les revues pornographiques et le dessin que par les matières scolaires, le directeur de son collège. Le film nous montre que John, de son côté, a parfois l’impression de venir de nulle part. Il est balloté entre Julia (Anne Marie Duff), sa mère, une femme exubérante et dépressive, allumeuse invétérée, passionnée de musique et la sœur de Julia, Mimi (Kristin Scott Thomas), qui prétend inculquer à son neveu des valeurs solides. Julia a abandonné John lorsqu’il avait cinq ans, mais maintenant qu’il est adolescent, elle l’aime d’un amour frisant l’inceste. Dans un flash back, nous voyons le petit John sommé par ses parents de choisir entre papa et maman, choisissant d’abord papa pour ensuite s’accrocher à maman et être ensuite recueilli, ou « volé », par sa tante. Mimi ne supporte pas ce reproche d’avoir « volé » le petit garçon qu’elle a considéré comme son propre fils. Il se passe entre Mimi, John et Julia une scène terrible, chorégraphiée entre quatre murs, où Mimi raconte les circonstances de l’abandon. « N’hésite surtout pas à participer à la conversation » lance-t-elle, perverse, à Julia foudroyée par la honte.

 Le génie de John nait du tiraillement entre deux femmes qui inspireront pour l’une sa créativité, pour l’autre son goût pour le travail musical bien fait jusque dans les détails. Julia abandonnera une seconde fois John en mourant dans un accident de voiture.

 John rencontre Paul McCartney (Thomas Brodie Sangster), de deux ans son cadet. Paul a lui aussi perdu sa mère, mais d’un cancer ; elle est « sort of dead » (morte en quelque sorte), dit-il curieusement à John. La communauté de deuil et la communauté musicale les transforment presque instantanément en partenaires et en amis. Paul présente à John George Harrison dans un autobus. L’aventure des Beatles peut commencer.

 

Thriller Live

Thriller Live. Photo The Guardian

Le Lyric Theatre de West End à Londres donne une comédie musicale, « Thriller Live », en hommage à Michael Jackson.

 Comment rendre hommage à un artiste exceptionnel en utilisant de bons acteurs, chanteurs et danseurs, sans que la différence de qualité saute aux yeux ?

 Thriller Live n’échappe pas à ce risque. Le début de la comédie musicale met en scène un adolescent censé figurer Michael lorsqu’il faisait ses débuts avec les Jackson 5. Mais la médiocrité du gamin saute aux yeux : il chante juste et danse correctement, mais on ne peut croire un seul instant qu’il sera plus tard le roi de la pop music. Les interventions pesantes d’un récitant insistant sur les dizaines de millions d’albums vendus accentuent un sentiment de malaise.

 La seconde partie du spectacle fait oublier l’impression de gâchis que donnent les premières scènes. C’est à un concert de Michael Jackson que l’on assiste qui, peu à peu, nous entraîne dans son rythme endiablé. La comédie musicale suit un fil chronologique, et les dernières chansons et chorégraphies révèlent Jackson au sommet de son art. Les acteurs sont des hommes et des femmes qui, par la multiplicité de leurs talents, parviennent à produire le kaléidoscope des facettes du génie de l’artiste.

 La mise en scène, les costumes, les lumières, sont fortement sexualisés. C’est au fond assez étrange pour rendre hommage à un personnage dont le positionnement était l’ambiguïté, androgyne, ni noir ni blanc, lunaire.

Cloclo

Cloclo, le film biographique de Claude François par Florent-Emilio Siri, donne une image contrasté d’un artiste qui a marqué mes années d’adolescence et de jeunesse.

 Claude François (1939 – 1978), magistralement interprété par  Jérémie Rénier, a toujours eu des comptes à régler : avec son père, Aimé François (Marc Barbé), cadre supérieur de la Compagnie du Canal de Suez, homme autoritaire décidé à obliger Claude à renoncer à la vie de saltimbanque, puis homme humilié et brisé par l’exil à Monaco après la nationalisation du Canal par Nasser ; avec sa mère Chouffa (Monica Scattini), flambeuse accroc au tapis vert et au poker. Devenu riche, Claude deviendra comme son père le rêvait un homme d’affaires au style dictatorial, patron de presse et propriétaire d’une agence de mannequins ; comme sa mère, il dépensera sans compter jusqu’au bord de la faillite. Il mènera sa vie à cent à l’heure, hanté par ces personnages formidables, attentif au moindre détail jusqu’à l’obsession comme pour se rassurer dans la perfection, et parfois pris de crises d’angoisse. Florent-Emilio Siri nous dépeint un homme grisé par le succès et capable d’en jouir, mais aussi incapable de vraiment aimer, constamment jaloux de ses partenaires, incapable d’aimer vraiment une femme.

 Il y a de belles scènes dans ce film. Claude rompt avec France Gall, coupable pour lui d’avoir remporté le grand prix de l’Eurovision et de lui faire de l’ombre. France tambourine à sa porte, mais en vain. Au petit matin, il la découvre endormie, couchée à sa porte. Il la porte dans ses bras jusque dans la chambre.

 Alors que Claude est dans une frénésie de concerts, Paul Lederman (Benoît Magimel), son imprésario, lui conseille de se réinventer pour éviter le risque de devenir démodé. Claude va avec France Gall à New York, et en ramène l’idée des Claudettes : pour la première fois, la télévision française montrera une danseuse noire.

 Claude est au bord de la piscine de son moulin avec son équipe. Sous le choc de sa séparation d’avec France et à partir de quelques notes enregistrées, contemplant les nuages, il compose « Comme d’habitude ».

 Claude est au milieu des invités lors d’une réception au moulin. Il aperçoit à une fenêtre Marc, son second petit garçon, celui qu’il a voulu cacher pour le protéger des ravages de la notoriété. Il fend la foule des invités pour le rejoindre et passer un moment d’intimité avec lui.

 Cloclo n’est pas un grand film. Mais il fait écho à des émotions communes à toute ma génération et il présente un homme hors du commun dans toute sa complexité.

 Photo du film Cloclo.

Joan Baez en concert

Nous avons assisté à Oxford à l’un des concerts de la tournée européenne de Joan Baez.

 Le New Theatre d’Oxford joue ce soir à guichets fermés. La majorité de l’assistance avait quinze ans dans les années soixante dix quand la jeune chanteuse donnait une voix à la protestation contre la guerre du Vietnam. La voix de Joan Baez les a accompagnés quand ils sont devenus adultes ; ils la retrouvent inchangée au seuil de la vieillesse. Joan Baez a chanté pour Solidarność, pour Sarajevo, pour Bagdad et maintenant pour Occupy Wall Street.

 Le tour de chant dure deux heures. Joan s’accompagne elle-même à la guitare. Deux musiciens partagent avec elle la scène, un percussionniste et un multi-instrumentiste qui passe du banjo au clavier et à l’accordéon. Les chansons interprétées par Joan Baez sont enracinées dans une profonde foi religieuse et dans la protestation sociale. Ce qui les rend exaltantes, c’est la pureté cristalline d’une voix qui transporte l’auditeur d’ici-bas au royaume de l’esprit et du souffle : « the answer my friend is in the wind »…

 Parmi les chansons qui m’ont le plus marqué au cours de cette soirée, je citerais God is God de Steve Earle, la ballade de Marie Madeleine de Richard Shindell, le fameux « God on our side » de Bob Dylan et Gracias a la Vida, un formidable hymne à la vie.

 Photo The Guardian : Joan Baez en concert.