Sheila, l’histoire d’une vie

Diffusé sur France 3 le 2 janvier, Le documentaire de François Goetghebeur et Jérôme Bréhier intitulé « Sheila, l’histoire d’une vie » m’a amené à réviser des préjugés.

 A l’occasion de ses cinquante ans de carrière, la chanteuse Sheila envahit les studios de radio et les plateaux de télévision. Je suis en général mal disposé à l’égard du gavage médiatique consistant à imposer au téléspectateur la célébrité du moment avec une insistance telle que même zapper ne permet pas d’en réchapper.

 J’ai toutefois regardé avec intérêt le documentaire de Goetghebeur et Bréhier. Avec intérêt et une certaine gêne. Je me targue de me défier des préjugés, mais les interviews de Sheila en 2012 et les documents d’archive retraçant sa vie mettaient en évidence des partis-pris étroits et une profonde ignorance.

 J’avais gardé de Sheila l’image d’un produit commercial du showbiz, une petite fille de français moyens propulsée sous les projecteurs, une adolescente un peu bêtasse, une chanteuse de play-back. En somme, l’image inversée d’une Barbara ou d’un Jean Ferrat, arrivés à la célébrité après des années de galère et de combat pour faire reconnaître leur talent.

 Je me suis trompé, et ce pendant cinquante ans, ce qui aggrave mon cas. Le documentaire montre une véritable artiste, passionnée par le chant et la danse, avec une belle voix et un corps de rêve sachant se mouvoir. Il donne à voir comment elle s’est réinventée, notamment aux Etats-Unis en devenant une des stars du Disco, avec Chic, Nile Rogers et les danseurs noirs B Devotion, avec d’immenses succès comme Spacer et Sing’in in the rain.  Il évoque son retour en France, la scène, les adieux à la scène, la sculpture et le roman.

 Le documentaire nous présente aussi une femme attachante, notamment parce qu’elle ne cache pas ses souffrances. Son mariage avec le chanteur Ringo, mal commencé par une cérémonie qui devait rester privée et s’était transformée en champ de foire ; ses relations difficiles avec son fils unique ; sa rupture avec son impresario de toujours, Claude Carrère ; le téléphone silencieux et les amis disparus après ses adieux à la scène dans les années quatre-vingt dix.

 J’éviterai « Vivement Dimanche » et les innombrables plateaux de télévision consacrés à Annie Chancel, devenue Sheila. Mais la chanteuse m’a « surpris en bien » comme disent les Québécois. Quitte à débusquer des préjugés, mieux vaut que ce soit dans le sens positif !

Danyel Waro en concert

Danyel Waro, musicien et poète qui a popularisé à La Réunion la musique des esclaves, le maloya, a donné un remarquable concert le 8 décembre au Théâtre de Plein Air de Saint Gilles.

 Accompagné de cinq musiciens, Waro tint  la scène pendant pas moins de quatre heures, alternant des morceaux rythmiques au bord de la transe et des mélodies douces et mélancoliques. Un moment particulièrement émouvant fut sont interprétation en créole, s’accompagnant au tambour, de « nuit et brouillard » de Jean Ferrat. La voix du chanteur est parfois à la limite de la déchirure, et un frisson traverse le public comme portée par une onde. Dans une interview avec Le Quotidien de la Réunion, il décrivait ainsi le projet de cette soirée dans un auditorium de mille places sous les étoiles : « mi sa rakont sak i toush a mwin, sak i anrag a mwin, sak y rampli a mwin lénergi. Mi plèr, mi ri. Mwin la u la shans rancontr lamour. Mi rakont la limièr lé an mwin » (je raconte ce qui me touche, ce qui me fait enrager, ce qui me remplit d’énergie. Je pleure, je ris. J’ai eu la chance de rencontrer l’amour. Je raconte la lumière qui est en moi).

Danyel Waro accorde une grande importance aux textes de ces chansons, à leur force poétique. En cela, et aussi pour l’aspect physique, il fait penser à Léo Ferré ou Julos Beaucarne. Il est aussi si attentif à la qualité du son qu’il tient à fabriquer lui-même ses instruments. Le site botanique.be mentionne le kayanm, instrument plat construit à partir de tiges de fleurs de canne et rempli de fraines de safran sauvage ; le bobou calebasse avec une corde tendue sur un arc ; le roulèr, gros tambour à partir d’une barrique de rhum sur laquelle on tend une peau de bœuf. A un moment du concert, le chanteur s’accompagne seulement du roulement de grains de riz au fond d’un van.

Botanique.be demande à  Danyel Waro ce qui caractérise son art : « Pour moi, le maloya, c’est d’abord le mot. Je cherche la cadence, l’image, le rythme dans le mot. Grâce au maloya, j’ai pris du recul par rapport à la philosophie cartésienne et aux jugements trop personnels. Le maloya m’a remis en accord avec la Réunion, les gens, notre langue.« 

Né en 1955 d’un père agriculteur dans les hauts du Tampon, sur les flancs du Piton de la Fournaise, Danyel Waro vit une enfance austère, dans une case sans eau ni électricité. Il se passionne pour la musique en écoutant Georges Brassens sur un poste à transistors. Emprisonné en France pendant deux ans pour avoir refusé de faire son service militaire, il adhère à son retour au Parti Communiste Réunionnais, et c’est par l’engagement politique qu’il découvre le maloya, la musique des esclaves interdite d’antenne par l’administration française, et devenue symbole de révolte et d’émancipation. Aujourd’hui, il n’est plus affilié au parti, et s’exprime sur les questions politiques de manière indépendante. Peut-être est-ce de l’embourgeoisement, peut-être de la sagesse, observe-t-il.

 Il a reçu en 2010 le Womex Award, prestigieuse récompense décernée par les professionnels des musiques du monde. Le concert de Saint Gilles a confirmé les qualités exceptionnelles de cet homme, professionnel de la musique rigoureux et poète inspiré.

Au Musée de Villèle de Saint Gilles les Hauts, une exposition est consacrée au maloya, avec en particulier la présentation d’œuvres de Nelson Boyer, sculpteur né en 1973.

Sculpture de Nelson Boyer présentée au Musée de Villèle. Photo « transhumances »

Nowhere Boy

 

Anne Marid Duff et Aaron Johnson dans Nowhere Boy

« Nowhere  Boy », film de Sam Taylor Wood (2010) raconte l’adolescence de John Lennon de la mort de son père adoptif en 1955 au départ de Liverpool pour Hambourg cinq ans plus tard.

 « Tu n’iras nulle part », prophétise au jeune John (Aaron Johnson), plus intéressé par les revues pornographiques et le dessin que par les matières scolaires, le directeur de son collège. Le film nous montre que John, de son côté, a parfois l’impression de venir de nulle part. Il est balloté entre Julia (Anne Marie Duff), sa mère, une femme exubérante et dépressive, allumeuse invétérée, passionnée de musique et la sœur de Julia, Mimi (Kristin Scott Thomas), qui prétend inculquer à son neveu des valeurs solides. Julia a abandonné John lorsqu’il avait cinq ans, mais maintenant qu’il est adolescent, elle l’aime d’un amour frisant l’inceste. Dans un flash back, nous voyons le petit John sommé par ses parents de choisir entre papa et maman, choisissant d’abord papa pour ensuite s’accrocher à maman et être ensuite recueilli, ou « volé », par sa tante. Mimi ne supporte pas ce reproche d’avoir « volé » le petit garçon qu’elle a considéré comme son propre fils. Il se passe entre Mimi, John et Julia une scène terrible, chorégraphiée entre quatre murs, où Mimi raconte les circonstances de l’abandon. « N’hésite surtout pas à participer à la conversation » lance-t-elle, perverse, à Julia foudroyée par la honte.

 Le génie de John nait du tiraillement entre deux femmes qui inspireront pour l’une sa créativité, pour l’autre son goût pour le travail musical bien fait jusque dans les détails. Julia abandonnera une seconde fois John en mourant dans un accident de voiture.

 John rencontre Paul McCartney (Thomas Brodie Sangster), de deux ans son cadet. Paul a lui aussi perdu sa mère, mais d’un cancer ; elle est « sort of dead » (morte en quelque sorte), dit-il curieusement à John. La communauté de deuil et la communauté musicale les transforment presque instantanément en partenaires et en amis. Paul présente à John George Harrison dans un autobus. L’aventure des Beatles peut commencer.

 

Thriller Live

Thriller Live. Photo The Guardian

Le Lyric Theatre de West End à Londres donne une comédie musicale, « Thriller Live », en hommage à Michael Jackson.

 Comment rendre hommage à un artiste exceptionnel en utilisant de bons acteurs, chanteurs et danseurs, sans que la différence de qualité saute aux yeux ?

 Thriller Live n’échappe pas à ce risque. Le début de la comédie musicale met en scène un adolescent censé figurer Michael lorsqu’il faisait ses débuts avec les Jackson 5. Mais la médiocrité du gamin saute aux yeux : il chante juste et danse correctement, mais on ne peut croire un seul instant qu’il sera plus tard le roi de la pop music. Les interventions pesantes d’un récitant insistant sur les dizaines de millions d’albums vendus accentuent un sentiment de malaise.

 La seconde partie du spectacle fait oublier l’impression de gâchis que donnent les premières scènes. C’est à un concert de Michael Jackson que l’on assiste qui, peu à peu, nous entraîne dans son rythme endiablé. La comédie musicale suit un fil chronologique, et les dernières chansons et chorégraphies révèlent Jackson au sommet de son art. Les acteurs sont des hommes et des femmes qui, par la multiplicité de leurs talents, parviennent à produire le kaléidoscope des facettes du génie de l’artiste.

 La mise en scène, les costumes, les lumières, sont fortement sexualisés. C’est au fond assez étrange pour rendre hommage à un personnage dont le positionnement était l’ambiguïté, androgyne, ni noir ni blanc, lunaire.