Concert en l’église St Paul de Deptford

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A l’invitation de Dominique Chambrin, nous avons assisté à un concert de chant choral dans la magnifique église baroque de St Paul à Deptford, près de Greenwich.

Un moyen commode de se rendre du centre de Londres à Greenwich est la ligne régulière de catamarans qui embarque à Embankment près de Westminster et passe par Tower Bridge et « La Défense » londonienne, Canary Wharf. Nous nous rendons au concert des chorales jumelées de Lewisham (près de Greenwich dans la banlieue sud de Londres) et d’Antony (dans la banlieue sud de Paris).

La première bonne surprise est l’église St Paul, construite entre 1712 et 1723 par Thomas Archer dans un style baroque italien. On y accède par un portique de colonnades corinthiennes. A l’intérieur, de grandes verrières laissent entrer la lumière. L’église a été restaurée récemment. Nous sommes accueillis par un prêtre en soutane noire, la tête couverte d’une barrette dans le plus pur style romain, bien que la paroisse soit anglicane ; il arbore une fière queue de cheval dont la liberté contraste avec l’austérité de son uniforme.

Une autre surprise est le nombre de choristes, plus de 150, qui remplissent l’espace harmonieux de l’église de leur souffle. Ils interprètent principalement des œuvres de Benjamin Britten et Gabriel Fauré, alternativement sous la direction du maître de chœur anglais et français. L’amitié franco-britannique a été célébrée le 18 juin, anniversaire de l’appel du Général de Gaulle, par le Premier Ministre britannique et le Président français. Elle s’exprime ici par la musique.

Le principal morceau est le Requiem de Fauré. Le Pie Jesu est  interprété d’une voix critalline par la jeune soprano Marie Simonnet. C’est magnifique.

Photo Wikipedia : église St Paul à Deptford.

Concert au Royal Festival Hall

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Nous avons assisté le 20 mai à un concert au Royal Festival Hall de Londres. Au programme, Bernstein, Barber et Prokofiev.

Le site du Royal Festival Hall au bord de la Tamise est remarquable. On y accède depuis la station de métro Embankment par une passerelle qui offre une vue magnifique sur la City. C’est le premier jour de vrai printemps, et la foule est nombreuse, nonchalante, heureuse. Les concerts à Londres ont en général lieu vers 19h30, ce qui permet de dîner en ville avant de reprendre sans stress le métro ou le train pour rentrer chez soi.

Le programme de ce soir est proposé par le Philarmonia Orchestra, dirigé par le jeune chef d’Orchestre ukrainien Kirill Karabits. Il interprète des œuvres de Bernstein, Barber et Prokofiev. Le moment le  plus le émouvant est le concerto pour violon op. 14 composé par Samuel Barber en 1939.

Kirill Karabits est habité par la musique, qu’il interprète sans partition. Jusqu’à l’extrémité de ses doigts, son corps exprime jusqu’à la moindre nuance, de la violente entrée en scène des percussions à la délicate ondulation d’instruments à cordes. Le violoniste Gil Shaham semble comme un ange, surhumain dans sa virtuosité et sa sensibilité, comme plongé dans une attitude contemplative.

Photo : Kirill Karabits

Pourquoi pleurons-nous les chanteurs disparus ?

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La médiatrice du journal Le Monde, Véronique Maurus, a écrit le 27 mars un article intitulé « Ferrat l’intouchable ». Elle s’interroge sur la raison de l’immense émotion suscitée par la disparition du chanteur.

 Véronique Maurus évoque deux types de réactions. Certains lecteurs déplorent le ton critique de la nécrologie rédigée par Bruno Lesprit. D’autres regrettent la – relative – discrétion du journal sur l’événement.  « Le traitement de cette disparition n’était pourtant pas anormal, s’agissant d’un artiste très populaire mais absent des studios depuis seize ans. En consacrant à Jean Ferrat une pleine page, dans une édition particulièrement dense, un lendemain d’élections, Le Monde a fait autant qu’après la mort de Claude Nougaro, en 2004, ou d’Eric Rohmer, en janvier, et plus que pour Georges Wilson, en février. (…)

Le Monde n’a donc, selon ses critères habituels, ni « sous-traité » ni « mal traité » le décès de Jean Ferrat. Pourquoi, dès lors, ce reproche global, diffus et pour le moins inhabituel d’être resté trop distancé, trop froid ? Comme si la mort, gommant d’un coup tous les accrocs d’une vie ou d’une œuvre, ne souffrait que le dithyrambe.

Les critères habituels, en l’occurrence, n’étaient peut-être pas suffisants, tant l’émotion provoquée par cette disparition dépasse la norme et la dimension d’un chanteur, même engagé. Jean Ferrat, à l’évidence, incarnait autre chose, la nostalgie d’une époque parée, dans l’imaginaire collectif, des vertus d’un âge d’or. On s’en aperçoit après coup. L’aurait-on anticipé, fallait-il pour autant entonner le chœur général des louanges en oubliant toute réserve ? Et, dans ce cas, les reproches – inverses – n’auraient-ils pas été tout aussi nombreux ? »

Pourquoi le décès de Jean Ferrat nous a-t-il davantage touché que celui de Georges Wilson ? C’est probablement parce que le théâtre nous impressionne à un moment donné, alors que les chansons nous accompagnent tout au long de notre vie, au plus profond de la mémoire : « comme au passant qui passe on reprend la chanson », chantait-il. Les belles chansons nous collent à la peau, font partie de notre identité.

Les chanteurs définissent plus que tout autre critère l’identité nationale. Les Beatles ou Bob Dylan ont une renommée mondiale. Mais la plupart des chanteurs ne sont connus que dans leur pays. Pas un mot de la disparition de Jean Ferrat dans The Guardian (Grande Bretagne). Pas un mot dans La Repubblica (Italie). Seul El País lui a consacré un bel article, signe d’une proximité culturelle entre la France et l’Espagne probablement scellée par la résistance au franquisme. Le chanteur nous touche parce que ses chansons définissent précisément qui nous sommes en tant que peuple, parmi d’autres peuples.

Je profite de cette chronique pour faire la promotion du chanteur wallon Julos Beaucarne, dont les chansons contribuent à me définir depuis trente cinq ans.

Photo : enterrement de Jean Ferrat à Antraigues sur Volane, Ardèche, le 16 mars 2010

Jean Ferrat

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La mort de Jean Ferrat m’attriste. Sa poésie chantée a accompagné les différentes étapes de ma vie depuis l’adolescence.

Dans son livre « si c’est un homme », Primo Levi raconte l’unique moment ressemblant au bonheur qu’il vécut dans l’univers concentrationnaire. Choisi par un compagnon pour le rare privilège de chercher la soupe, il lui déclama des poèmes de Dante. C’est l’image qui me vient en apprenant la nouvelle du décès de Jean Ferrat. Le rapprochement n’est sans doute pas fortuit. Le père du chanteur disparut dans l’holocauste. L’une de ses plus belles chansons est « nuit et brouillard » : « ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers, nus et maigres tremblant dans ces wagons plombés ». Comme Dante était solidement ancré dans la mémoire de Levi, la poésie de Ferrat et celle d’Aragon magnifiée par Ferrat est pour moi indéracinable.

Un jour, un jour viendra couleur d’orange, un jour de palmes, un jour de feuillages au front, un jour d’épaule nue où les gens s’aimeront…

Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre, que serais-je sans toi qu’un cœur au bois dormant, que cette heure arrêtée…

Pourtant que la montagne est belle, comment s’imaginer en voyant un vol d’hirondelles que l’automne vient d’arriver…

Dieu le fracas que fait un poète qu’on tue…

Oh mon jardin d’eau fraîche et d’ombre… heureux celui qui meurt d’aimer…

Aimer à perdre la raison, à n’avoir que toi d’horizon, à n’en savoir que dire…

C’ets mon frère qu’on assassine, Potemkine !…

Camarade !

De plaines en forêts de vallons en collines / Du printemps qui va naître à tes mortes saisons / De ce que j’ai vécu à ce que j’imagine / Je n’en finirai pas d’écrire ta chanson / Ma France

Au grand soleil d’été qui courbe la Provence / des genêts de Bretagne aux bruyères d’Ardèche / Quelque chose dans l’air a cette transparence / Et ce goût du bonheur qui rend ma lèvre sèche / Ma France

Cet air de liberté au-delà des frontières / Aux peuples étrangers qui donnait le vertige / Et dont vous usurpez aujourd’hui le prestige / Elle répond encore du nom de Robespierre / Ma France

Celle du vieil Hugo tonnant de son exil / Des enfants de cinq ans travaillant dans les mines / Celle qui construisit de ses mains vos usines / Celle dont Monsieur Thiers a dit qu’on la fusille / Ma France

Picasso tient le monde au bout de sa palette / Des lèvres d’Eluard s’envolent des colombes / Ils n’en finissent pas tes artistes prophètes de dire qu’il est temps que le malheur succombe / Ma France

Leurs voix se multiplient à ne plus faire qu’une / Celle qui paie toujours vos crimes vos erreurs / En remplissant l’histoire de ses fosses communes / Que je chante à jamais celle des travailleurs / Ma France

Celle qui ne possède en or que ses nuits blanches / Pour la lutte obstinée de ce temps quotidien / Du journal que l’on vend le matin d’un dimanche à l’affiche que l’on colle au mur du lendemain / Ma France

Qu’elle monte des mines descende des collines / Celle qui chante en moi la belle la rebelle / Celle de trente six à soixante huit chandelles / Ma France.

(Photo RFI)