Le jour se lève sur le Pont de pierre qui enjambe la Garonne à Bordeaux.
L’heure est au renforcement des frontières, à l’installation de barbelés, à l’entre-soi frileux. Ne craignons pas l’inconnu, l’étranger qui ne vit et ne pense pas comme nous. Construisons des passerelles, bâtissons des ponts.
Il nous arrive d’être pénétrés par un sentiment de crépuscule, de ressentir viscéralement la fin d’un monde. Ayons confiance, imaginons des voies nouvelles entre deux rives.
Construisons ensemble des ponts de pierre, solides et beaux, porteurs d’avenir. Tel est le vœu que « Transhumances » formule à ses lecteurs pour l’année 2023 qui commence.
La chaîne de télévision Arte a diffusé le 21 octobre le film « The Magical Mystery Tour » réalisé par les Beatles en 1967, précédé d’un documentaire sur les conditions de sa production.
En 1967, les Beatles connaissent la gloire depuis déjà 4 ans. Ils sont avides de nouvelles expériences et en ont les moyens, de la découverte des effets hallucinogènes du LSD à la recherche d’autres formes d’expression que la chanson. Immergés dans la contre-culture, ils rêvent de la faire partager au plus grand nombre. Leur formidable notoriété et l’argent qu’ils possèdent par millions leur donne envie de se lancer dans la réalisation d’un film.
Le scénario est ténu. Un autocar emmène un groupe de touristes dans un voyage magique et fantastique, sans plus de scénario qu’un « trip » aux hallucinogènes. De fait, s’assoupir pendant un long trajet en autocar ouvre les vannes du rêve et du fantasme. C’est cette rêverie sans queue ni tête que les Beatles mettent en branle dans leur film, parmi des paysages anglais et avec des passagers anglais à qui l’absurde est familier. Il y a dans le film des morceaux d’anthologie : Ringo Starr entretient avec sa tante Jessie une relation aussi conflictuelle que puérilement affectueuse ; le major en retraite Bloodvessel, qui ne rate aucun magical mystery tour et se prend pour le guide, s’éprend de Jessie ; le serveur de restaurant John Lennon sert à la pelle des spaghettis à la volumineuse Jessie. Le guide fait observer que le paysage à gauche de l’autocar est tout à fait quelconque… mais à droite ! La campagne anglaise se transforme magiquement en un paysage du Far West, puis en surface lunaire. Un officier éructe des ordres inarticulés jusqu’à ce que Ringo lui demande innocemment « que voulez-vous dire ? » et lui coupe ses effets. L’autocar entre par mégarde ou par magie dans un anneau de vitesse et le dispute à une Rolls Royce et une Mini, parfaits symboles de l’esprit britannique.
La BBC programma le film le 26 décembre 1967, et cela heurta la sensibilité de beaucoup de téléspectateurs qui attendaient, au lendemain de Noël, une programmation plus en ligne avec la période des fêtes. Le film fut oublié jusqu’à sa récente restauration, 45 ans après. Le spectateur de 2012 n’est pas choqué par l’esthétique du film : l’underground d’hier a pris sa place dans le courant dominant. Il rit de bon cœur aux situations comiques de collégiens imaginées par les Beatles. Il est ému par les chansons qu’ils interprètent, telle The Fool on the Hill. Et surtout, il est frappé par la diversité des passagers de l’autocar et le regard empathique que portent sur chacun les cinéastes quel que soit leur âge et leur aspect physique.
Paul McCartney reconnait que The Magical Mystery Film ne restera pas comme une œuvre marquante du cinéma. Mais il aide à comprendre le profond enracinement des Beatles dans la contreculture des années soixante et se laisse regarder avec nostalgie, attendrissement et un ravissement certain.
Les électeurs islandais se sont prononcés le 20 octobre par référendum en faveur du projet constitutionnel élaboré par 25 citoyens ordinaires de la société civile.
Six questions étaient soumises à référendum, toutes relatives à la nouvelle Constitution. Il s’agissait de décider si le travail du comité constitutionnel servirait de base au nouveau texte fondamental et quelle position prendre sur des sujets controversés, comme la propriété sociale des ressources naturelles qui ne seraient pas déjà privées, le référendum d’initiative populaire ou la mention dans le texte de l’institution d’une église nationale.
Les deux tiers des votants ont approuvé le projet de texte constitutionnel. La participation a été faible : seulement 49% des 233.000 électeurs. L’enjeu parait ridiculement petit en comparaison de l’élection américaine de novembre. Il est toutefois significatif en raison de l’exemplarité que revêt la démocratie islandaise pour les mouvements de contestation, des indignés espagnols aux occupants de Wall Street. Les sanctions pénales infligées aux banquiers coupables de la faillite nationale de 2008, le refus des électeurs l’an dernier de sanctionner par référendum un accord de remboursement de la dette de 3,1 milliards de livres à la Grande Bretagne et le processus d’élaboration de la Constitution lui-même sont apparus comme des modèles. Rappelons qu’un comité de 25 citoyens ordinaires avait été constitué, et que celui-ci avait systématiquement soumis ses propositions à discussion par Internet, recherchant l’enrichissement de ses travaux par l’apport du plus grand nombre (« crowdsourcing »)
Le faible taux de participation, comme le relatif désintérêt constaté pendant la consultation par Internet, sont décevants. Il reste que les électeurs islandais ont approuvé le résultat de ce processus innovant. Et le préambule de la nouvelle Constitution capture bien l’esprit du temps :
« Nous, Peuple d’Islande, souhaitons une société juste offrant les mêmes opportunités à tous. Nos origines différentes sont une richesse commune, et ensemble nous sommes responsables de l’héritage des générations : la terre, l’histoire, la nature, la langue et la culture. »
La désinence du mot Watergate a servi depuis des dizaines d’années à nommer une grande variété de scandales : le dernier en date, le « Plebsgate », a conduit à la démission du « Chief Whip » britannique, Andrew Mitchell, à la suite d’une altercation avec des policiers assurant la sécurité de Downing Street.
Le Chief Whip est l’équivalent du président du groupe parlementaire de la majorité en France, mais à la différence du système français il fait aussi partie du gouvernement. Son rôle consiste à s’assurer que les députés de base (backbenchers) suivent les consignes de vote du gouvernement. Le mot « whip » signifie fouet, ce qui indique la nature pas totalement paisible de la fonction.
Andrew Mitchell a probablement été choisi pour ce rôle en raison de son tempérament combatif. Toujours est-il que, confronté à des policiers qui refusaient de le laisser passer à bicyclette par la grande porte qui barre Downing Street et prétendaient l’obliger à emprunter la sortie de service, il s’échauffa et insulta copieusement les fonctionnaires de police. Mitchell s’est excusé pour son comportement déplacé. En revanche, il ne reconnait pas avoir prononcé deux mots que les policiers lui attribuent : « morons » (attardés mentaux) et « plebs » (prolos). A vrai dire, ce n’est que le second qui fait problème. L’opinion britannique y a vu une illustration du mépris de l’élite Tory, formée à Eton, Oxford et Cambridge, pour les couches populaires.
Le problème pour Mitchell est que ce fut sa parole contre celle des policiers. A ce jeu, il ne pouvait avoir le dessus : prétendre que les policiers mentaient ne pouvait que confirmer le sentiment qu’il les méprisait. Nourri de ce cercle vicieux, le « plebsgate » s’enfla de semaine en semaine. L’acharnement de David Cameron à défendre son Chief Whip s’est révélé une coûteuse erreur politique.