Bordeaux, la négociante

 

David Johnston, industriel et négociant, maire de Bordeaux de 1838 à 1842

 

La ville de Bordeaux a l’âme des négociants : âpre au gain certes, mais aussi tolérante, curieuse et rarement belliqueuse.

 Depuis des siècles, les négociants ont joué les premiers rôles à Bordeaux. Le pouls de la ville battait au rythme des navires qui chargeaient et déchargeaient leurs marchandises sur la rive gauche de la Garonne en plein cœur de la cité. Ces navires assuraient la liaison avec l’empire colonial, de l’Afrique aux Antilles et à l’Indochine, mais aussi avec l’Europe du Nord, les Etats Unis et l’Amérique latine. La prospérité de la ville était liée au développement des échanges internationaux. Les périodes de guerre, de blocus et de protectionnisme l’appauvrissaient.

 Bordeaux est commerçante et pragmatique. Dans ce sens, on pourrait la dire britannique dans l’âme. Bien qu’en majorité catholique, elle n’est pas tridentine. Au dix-neuvième siècle, cinq de ses maires furent protestants : David Johnston, Alexandre de Bethmann, Emile Fourcand, Albert Brandenburg et Adrien Beysselange. De plus, Johnston était d’ascendance irlandaise, Bethmann et Brandenburg d’ascendance allemande. La ville était cosmopolite, tolérante, allergique au centralisme et au dirigisme, en un mot, girondine.

 Depuis un siècle s’est opérée une normalisation de Bordeaux. Le port a décliné et déserté le centre ville, rendant la cité orpheline de la pompe aspirante et soufflante d’hommes et de marchandises installée pendant des siècles jusque sur ses rives. La ville s’est industrialisée et forme en particulier avec Toulouse un pôle d’excellence en avionique. Le TGV l’a amarrée à Paris.

 Bordeaux reste féminine, douce, pacifique, ouverte au monde : cela fait partie de son patrimoine génétique. En un sens, la société mondialisée convient aux Bordelais dont l’âme négociante s’est toujours perçue comme partie intégrante du vaste monde. En 1871, en 1914 et en  1940, la ville est devenue brièvement capitale de la France. Elle peut jouer aujourd’hui le rôle de capitale de la confiance, branchée sur les promesses du monde qui émerge plus que sur les crispations de celui qui disparait.

L’église Saint Syméon de Bouliac

Chœur de l’église Saint Syméon de Bouliac

Bouliac, commune de la périphérie de Bordeaux juchée sur une colline de la rive droite de la Garonne, offre au visiteur une jolie église romane : Saint Syméon.

 De l’extérieur, l’église présente un aspect curieux. Le bâtiment, construit au douzième siècle, est de style roman, mais un casernement de soldats fortifié a été construit pendant la guerre de cent ans en aplomb du chœur ; le clocher date quant à lui de 1863. Du parvis, on jouit d’une ample vue sur Bordeaux et la vallée de la Garonne.

 Sous le porche roman, le regard est attiré par d’intéressants chapiteaux, malheureusement abîmés. En entrant dans la nef, le visiteur est frappé par l’harmonie du chœur roman, où coexistent le dessin architectural initial, de jolis chapiteaux, des vitraux modernes, un autel reposant sur des sarcophages mérovingiens et un reliquaire de la Renaissance qui gagnerait à être décapé.

 Le plafond de la nef est en bois, comme le sont par ailleurs la vaste tribune d’orgue, la chaire sculptée et le confessionnal. Les murs sont entièrement recouverts de peintures murales du dix-neuvième siècle, dans le style médiévaliste qui illustrait encore les catéchismes des années 1950. Ces peintures ont été récemment restaurées. Si elles heurtent notre esthétique d’aujourd’hui, il est probable qu’elles prendront leur place dans le goût des générations futures. C’est la préservation de styles différents qui donne à l’église Saint Syméon un caractère très spécial : des générations de croyants se sont succédées ici, et leur souffle est sensible dans les œuvres d’art qu’elles nous ont transmises.

Saint Martin partage son manteau, fresque murale dans l’église Saint Syméon de Bouliac

Traditions Africaines à la Base Sous-marine

La Base Sous-marine de Bordeaux présente jusqu’au 17 mars une superbe exposition intitulée « Traditions africaines, l’œil du collectionneur ».

 La Base Sous-marine de Bordeaux a été construite par l’armée allemande en 1941 et utilisée jusqu’à la libération de Bordeaux en août 1944 pour la maintenance et l’avitaillement des sous-marins. C’est un énorme bâtiment de béton d’une superficie de plus de 45.000 m², qui comportait plusieurs bassins, des centrales électriques et thermiques, une zone technique, des bureaux, des magasins et des ateliers. Lors de la retraite de l’occupant, les installations furent dynamitées. Il ne restait plus, à l’extrémité du bassin à flot, au nord de Bordeaux, qu’une horrible coque vide et laide.

 La ville de Bordeaux en a fait un équipement culturel qui accueille des expositions, des festivals, des spectacles d’art vivant. Eclairée de l’intérieur, l’énorme bâtisse est fascinante, sorte de grotte mythologique léchée par la Garonne, matrice dont on sent bien que l’art peut surgir.

 L’exposition « Traditions africaines, l’œil du collectionneur » a sa place dans ce cadre extraordinaire.   Elle présente des merveilles de l’art africain issues de sept collections privées : reliquaires, masques rituels, cimiers, statues d’ancêtres, figures funéraires, produits par une trentaine de populations d’Afrique de l’Ouest, du Mali à l’Angola. Elle prend le point de vue du collectionneur : selon quels critères choisit-il d’acheter un objet, qu’est-ce qui lui donne de la valeur, comment est-il connecté à la civilisation qui l’a produit, comment détecter une contrefaçon ?

 Dans l’obscurité de la caverne sous-marine, les objets sont éclairés avec soin. Ils semblent avoir partie liée avec la nuit, la danse, les tripes.

 La presse n’a guère parlé de cette magnifique exposition. Puissent les lecteurs bordelais de « transhumances » contribuer au bouche à oreille !

La base sous-marine de Bordeaux

Didon et Enée au Grand Théâtre de Bordeaux

L’opéra « Didon et Enée » de Henry Purcell est actuellement donné au Grand Théâtre de Bordeaux.

 Le Grand Théâtre de Bordeaux, avec sa grande salle à l’italienne de mille places, se prête particulièrement bien à la musique baroque. Henry Purcell, qui composa l’opéra Didon et Enée en 1687, près d’un siècle avant l’inauguration du théâtre, s’y serait senti à l’aise.

 Le metteur en scène Bernard Lévy a pourtant choisi la modernité. Les chanteurs sont en costume d’aujourd’hui et la scène est dépouillée. Sur un écran en fond de scène est projetée la traduction du livret. A la fin de chaque acte, les phrases dites apparaissent nettement, puis s’emmêlent, se tordent et disparaissent dans un nuage digital.

 La reine de Carthage Didon (Isabelle Druet) aime le roi de Troie Enée (Florian Sempey) qu’elle reçoit en son palais. Mais des sorcières malicieuses font croire à Enée que la raison d’état l’appelle à Rome. Didon meurt de chagrin.

 Le metteur en scène souligne le côté comique des sorcières, qui s’amusent à délivrer à Enée un faux message de Jupiter et à précipiter ainsi la ruine de Didon. Le mal n’est pas l’absence de lien social et la prévalence de haines enracinées, comme dans la vraie vie. Il est l’effet d’un jeu, une sorte de pile ou face joué par des sorcières rigolotes. C’est baroque et troublant.

 En première partie, le directeur musical Sébastien d’Hérin propose plusieurs œuvres de Purcell. On est frappé par la multiplicité de ses influences, de Lulli aux danses celtiques d’Ecosse.