Optimisme

En Europe, l’heure est au pessimisme, pour ne pas dire à la désespérance. Une vision plus large du monde relativise cette sinistre vision et incite à l’optimisme.

 Une fois par an, en janvier, le Colloque Coface Risque Pays offre aux acteurs économiques et financiers des informations et des points de référence sur comment va le monde.

 L’édition 2012 a manifesté le gouffre ouvert entre l’Europe et le reste du monde, en particulier l’Asie. Là où les intervenants européens au colloque consacraient du temps à parler de ce qui aurait du être fait il y a deux ans pour éviter la crise grecque et protéger l’euro, une économiste chinoise évoquait les défis que son pays devra affronter dans les trente prochaines années. D’un côté, doute, indécision, stagnation. De l’autre, enthousiasme, énergie, projets.

 L’Europe est-elle vraiment condamnée à une décennie perdue, au gaspillage de sa jeunesse, au déclin ? N’a-t-elle d’horizon que le vieillissement démographique, la récession économique et la régression sociale ? N’a-t-elle pour projet que de devenir une gigantesque maison de retraite dont les pensionnaires ne songeraient qu’à conserver, aussi longtemps que faire se peut, leur qualité de vie ?

 Le fait que les Chinois, les Turcs, les Brésiliens et même, malgré leurs déchirements, les Nigérians se projettent dans l’avenir est une bonne nouvelle pour les Européens. A court terme, leurs pays vont continuer à acheter des produits et services européens. Pour cela, la récession molle qui s’annonce ne devrait pas se transformer dans la catastrophique dépression des années 1930.

 Surtout, l’appétit de vivre et de croître des pays émergents et les défis qu’ils rencontrent pour que cette croissance soit soutenable et respectueuse de l’environnement recèlent pour l’Europe des opportunités formidables. Beaucoup de Français le savent, qui parcourent le monde pour leur plaisir ou au service d’une entreprise. Il y a des marchés à prendre, des idées à développer sur les cinq continents. Nous commençons à développer des technologies vertes : c’est de celles là que les pays de forte croissance ont dès maintenant besoin.

 L’enthousiasme des jeunes Indonésiens, Ghanéens ou Péruviens est une bonne nouvelle pour les jeunes Européens. Il élargit le champ des possibles, il ouvre des communautés d’intérêt dans lesquelles on peut innover et de grandir ensemble au-delà des frontières. Le nombrilisme mène l’Europe à la désespérance. Une vision résolument internationale incline à l’optimisme.

 Photo The Guardian : piétons sur un pont à Nairobi, Thomas Mukoya

Chuks

Les Chuks sont des pays de l’Union Européenne non membres de la zone Euro : République Tchèque (Czech en anglais), Hongrie, Royaume Uni (UK en anglais) et Suède. David Cameron pensait prendre la tête d’un front non-Euro à Bruxelles. Après le sommet européen du 9 décembre, son pays se trouve isolé.

 « Je ne crois pas que David Cameron ait jamais été avec nous à la table », commentait Angela Merkel après que le premier ministre britannique ait mis son veto à une réforme du traité européen de Lisbonne.

 L’attitude de Cameron est à première vue surprenante : il prétendait monnayer son accord à une clause qui exonérerait la City de la régulation européenne. L’identification de l’intérêt majeur de la Grande Bretagne à celui de la City est choquante : les excès de la City ne sont-ils pas la cause de la grande récession de 2008 ? La City est manifestement un prétexte : amender le traité de Lisbonne avait pour but de renforcer la discipline budgétaire, ce que le gouvernement britannique ne pouvait qu’approuver ; il ne s’agissait pas de durcir la régulation financière européenne, et de fait celle-ci reste en place malgré le veto britannique.

 L’attitude de Cameron s’explique par des raisons de pure politique interne au parti conservateur. Il ne se sentait pas de force à imposer aux eurosceptiques Tory de voter en faveur du traité, et encore moins à gagner un référendum. Les accents churchilliens de Cameron, acclamé comme un héros par la droite de son parti, cachent avec peine son manque de courage et d’envergure politique. C’est attristant.

 Photo The Guardian : David Cameron et Angela Merkel au sommet européen de Bruxelles.

Splendide isolement

La municipalité de Bishops Stortford, gérée par les Conservateurs, vient d’écrire aux maires de Villiers sur Marne, en France, et Friedberg, en Allemagne, pour mettre fin au jumelage avec leurs communes.

 Officiellement, ce n’est pas l’euroscepticisme qui guide cette mesure, mais un manque d’intérêt. Il est vrai que je le constate dans ma commune, Watford, située comme Bishops Stortford dans le Hertfordshire mais gérée par les Libéraux : bien que jumelée avec pas moins de cinq communes, dont Nanterre (France) et Mayence (Allemagne), aucune activité n’a été enregistrée depuis 2009 à ce titre.

 Il reste que le manque d’intérêt va de pair avec une croissante défiance à l’égard du continent et la tentation du retour à un splendide isolement. Les jumelages se sont développés après la seconde guerre mondiale, le plus emblématique d’entre eux étant celui de Coventry avec Dresde et Stalingrad. La dynamique semble maintenant inversée.

 Interrogé par Luke Harding, journaliste au Guardian, Michael Keller, maire de Friedberg, dit qu’il n’était pas surpris. « Le jumelage commença pour nous en 1965. Ceux qui s’y impliquèrent avaient fait personnellement l’expérience de la catastrophe de la seconde guerre mondiale. Ce n’est plus aussi pertinent aujourd’hui. Le monde a changé. Je soupçonne que l’euroscepticisme anglais a joué aussi un rôle. J’aurais préféré que nous mettions fin au jumelage par une grande fête plutôt que simplement par une lettre ».

 Les édiles de Bishops Stortford n’ont visiblement pas la largeur de vue et l’humour de leurs collègues de Friedberg. Aux jeux olympiques de la mesquinerie, ils auraient leurs chances.

 Photo « The Guardian »

Cameron en Cassandre

Le Premier Ministre britannique David Cameron et le Chancelier de l’Echiquier George Osborne multiplient les mises en garde : les Britanniques doivent se préparer au pire.

 Le caricaturiste Chris Riddle exprime bien leur position. Alors qu’une partie croissante de l’opinion demande une pause dans les coupes budgétaires afin de sauver la croissance, George Osborne affirme : « nous avons un plan B : rejeter la faute sur l’Europe ».

 La situation dans l’Eurozone est dangereuse, affirment Cameron et Osborne. Le pire peut arriver et il faut s’y préparer.

 Cette position a pour les leaders conservateurs plusieurs avantages. Elle les pose en politiciens clairvoyants et responsables. Il est certain que la situation demeure dangereuse : la cure d’austérité imposée à la Grèce et à l’Italie menace leur croissance, leurs recettes fiscales et leurs chances de réduire la dette publique. Nul ne sait où peut mener cette spirale infernale, et il faut s’y préparer.

 Ils exonèrent leur responsabilité de la stagnation, et peut-être de la récession à venir de l’économie britannique, en imputant la faute aux irresponsables du Continent.

 Ils donnent un gage à la majorité anti-européenne du Parti Conservateur : pas question de venir en aide aux autres Etats de l’Union Européenne, puisque le gouvernement britannique est blanc comme neige.

 Ils valident leur propre politique : puisque les investisseurs dictent leur volonté et défont les gouvernements, il est meilleur de prendre les devants et de s’imposer à soi-même une cure d’austérité au lieu de se la faire dicter par les marchés.

 Politiquement, c’est un bon calcul à court terme. Mais en renforçant un parti pris « nous contre les autres », Cameron et Osborne prennent un risque. Dans une récente conférence à Londres, Alain Minc prédisait, au scandale du public, l’entrée de la Grande Bretagne dans l’Euro. Il y a des arguments pour cela : la livre sterling est devenue une petite devise, qui pèserait peu sur les marchés si les spéculateurs l’attaquaient ; la position « dedans – dehors » du gouvernement britannique en Europe est dommageable aux intérêts du pays, puisqu’ils ne participent pas à certaines décisions cruciales en Europe et laissent la direction au binôme franco-allemand alors qu’un triangle incluant la Grande Bretagne aurait du sens.

 Au lieu de creuser les divisions, le Gouvernement britannique aurait peut-être intérêt, dans une perspective d’avenir, à laisser davantage ouverte ses options.

 Illustration : « Down to the Greenhouse », caricature de Chris Riddle, The Observer, 13 novembre 2011.