Commissaire Européen

Le Commissaire Européen Michel Barnier a récemment rencontré des dirigeants de compagnies d’assurance britanniques.

  La rencontre ne s’annonçait pas facile : la Commission européenne travaille au renforcement des obligations des compagnies d’assurance en termes de fonds propres (projet « Solvency II »), mais celles-ci considèrent que le projet va trop loin.

 Le Commissaire Barnier délivre en bon anglais la partie protocolaire de son message, mais passe au français lorsqu’on entre dans une discussion technique dont chaque terme doit être mesuré au millimètre près. Il parle d’une voix chaude et un peu chuintante. Curieusement, chaque phrase est ponctuée d’un « hein », dont il est difficile de savoir s’il s’apparente au « han » du bûcheron ou du joueur de tennis après un coup de hache ou de raquette ou au « n’est-ce pas ? » de celui qui cherche l’approbation.

 Michel Barnier revendique hautement sa qualité d’homme politique. Il ne se positionne pas comme le chef d’une administration, mais comme le responsable d’un projet qui consiste à rendre le système financier européen plus sûr tout en respectant sa diversité.

 Les mesures de sécurité qui accompagnent son déplacement, la stricte contrainte de temps de la rencontre, le fait qu’il s’exprime dans une langue étrangère, l’abondant usage de la première personne (« je veux que… »), tout cela érige une barrière entre le Commissaire Barnier et l’assistance. Pourtant, le fait qu’il parle de manière compétente des sujets quotidiens de son auditoire et son insistante disposition au dialogue en font un acteur du marché londonien de l’assurance.

 Photo de Michel Barnier, Commission Européenne

Comment l’Italie survit-elle à son premier ministre ?

Le Financial Times a publié le 26 octobre un article de Beppe Severgnini intitulé : « comment l’Italie parvient-elle à survivre en ayant l’élève absentéiste comme leader ? » (how Italy just survives having the class truant as leader).

 Severgnini rappelle la moue du président Sarkozy et les yeux levés au ciel de la chancelière Merkel lorsqu’en conférence de presse, un journaliste leur demanda s’ils avaient confiance dans le président du conseil italien Berlusconi. « Il est vrai qu’à la plupart des Italiens cette scène embarrassante fut épargnée dans la mesure où les principales chaines de télévision, possédées ou contrôlées par le premier ministre, évitèrent l’incident. Mais la situation est affreuse. »

 « Comment la huitième économie du monde peut-elle continuer avec un premier ministre décevant, un gouvernement faible, une opposition faible et ses finances en détresse ? » Severgnini explique que si le pays échappe à la dépression nerveuse, c’est parce qu’il reçoit l’orientation de l’extérieur et la force de l’intérieur.

 Orientation de l’extérieur : il est clair que le penchant populiste de Berlusconi l’aurait incité à dépenser plus, bien que la dette publique atteigne 127% du PNB. Mais la pression externe ne s’arrête pas à l’économie. Severgnini souligne que Berlusconi est allé en guerre contre Kadhafi, qu’il avait autrefois qualifié de « un leader de la liberté » sous la pression étrangère : « aller en guerre parce que vous ne pouvez pas dire non, c’est peut-être une première. »

 Force de l’intérieur. Le journaliste souligne la force de la démocratie locale en Italie. « Si vous allez une couche plus profond, les choses fonctionnent encore mieux. Dans les temps difficiles, les familles italiennes se mettent à faire ce qu’elles font le mieux, prendre soin de chacun d’une manière que les familles du nord de l’Europe ou des Etats-Unis ne feraient pas. Quelque 24 millions de ménages italiens deviennent des logeurs, des agences de baby-sitting ou des maisons de retraite. Quelques unes agissent comme des banques – les prêts pour le premier logement proviennent inévitablement de parents – comme compagnies d’assurance ou comme agences de placement – un italien sur trois reconnait avoir trouvé un emploi par relations. »

 « En un mot, l’Italie tient parce qu’elle est contrôlée à distance de l’extérieur et micro-régulée de l’intérieur. Ce que nous n’avons pas, c’est un gouvernement et un leader au milieu. Il est temps que nous les ayons avant qu’il ne soit trop tard. »

 Photo La Repubblica : Silvio Berlusconi.

45% des Britanniques veulent sortir de l’Union Européenne

Le Premier Ministre Britannique David Cameron a vu son autorité contestée le 24 octobre quand 80 députés du Parti Conservateur ont voté une motion réclamant un référendum sur la participation de la Grande Bretagne à l’Union Européenne. La décision du premier ministre grec de soumettre à référendum les accords récemment trouvés à Bruxelles donne à ce débat britannique une actualité nouvelle.

 Le référendum aurait demandé aux citoyens s’ils souhaitaient que la Grande Bretagne sorte de l’Union Européenne, y reste en renégociant les termes de son adhésion ou y reste dans les conditions actuelles. Un tel référendum aurait toutes chances d’entraîner la sortie de la Grande Bretagne de l’Union Européenne, non seulement parce que les partisans de l’Europe se diviseraient entre la seconde et la troisième position, mais tout simplement parce que l’opinion bascule vers une franche opposition à l’Union Européenne.

 Selon un sondage ICM publié par The Guardian le 25 octobre, 70% des Britanniques souhaitent un référendum. S’il était organisé, 49% demanderaient la sortie de leur pays de l’Union, contre 41 % qui souhaiteraient y rester. Les anti-européens sont plus certains de leur choix que les pro-européens : ils sont 34% à être sûrs de voter contre l’Europe si le référendum était organisé ; les pro-européens ne sont sûrs de leur vote qu’à 23%. Un point positif toutefois, d’un point de vue pro-européen : les jeunes de 18 à 24 ans ne sont que 28% à vouloir quitter l’Union, alors que les 65 ans et plus sont 63%.

 La défiance des Britanniques est évidemment alimentée par la crise de l’Euro et la difficile gouvernance de l’Union. Mais ce qui s’est passé au Parlement britannique illustre le problème majeur du projet européen : son déficit démocratique. Le Premier Ministre Cameron a du agir de la carotte et du bâton pour juguler les ardeurs des députés rebelles et empêcher, provisoirement, la propagation de l’incendie.

 En France, la sortie de l’Union Européenne est un thème d’extrême droite et d’extrême gauche et n’est pas sur l’agenda des partis représentés au Parlement. Mais les 54% de non au référendum de 2005 sur la Constitution Européenne dénotent aussi un divorce entre les élites et les citoyens ordinaires, alors même que la Constitution s’attaquait au problème de la légitimité démocratique de l’Union.

 La crise favorise la fuite en avant vers plus d’intégration économique, budgétaire et fiscale en l’absence d’un mécanisme transnational de contrôle démocratique. Le « couple franco-allemand », « Merkozy » comme on l’appelle, joue comme un rouleau compresseur qui ne s’embarrasse guère de considération pour les leaders des autres pays, pour ne pas parler de leurs opinions publiques.

 Jürgen Habermas, dans une tribune publiée par Le Monde le 25 octobre, « rendons l’Europe plus démocratique », appelle à la remise en chantier de la « légalisation démocratique » de l’Union Européenne. Il n’en donne pas la recette, ajoutant seulement que ce chantier passe par la réduction des inégalités entre les Etats membres.

La question soulevée par Habermas, celle de la démocratisation du projet européen, vient d’être spectaculairement mise à la une de l’actualité par la décision du premier ministre grec de soumettre au référendum l’accord trouvé à Bruxelles sur l’annulation de la moitié de la dette du pays en contrepartie d’une nouvelle dose d’austérité. A court terme, sa volte-face ouvre une période de danger et d’instabilité. Mais il faut probablement en passer là pour que l’Europe redevienne un projet porté par les citoyens européens, dans les bons comme dans les mauvais jours. 

 Photo « The Guardian », Nick Clegg, David Cameron et William Hague aux Communes le 24 octobre pour s’opposer à une motion demandant un référendum sur l’Union Européenne.

L’euro et le Saint Empire Romain

Dans The Guardian du 22 juillet, Simon Jenkins affirme que l’union monétaire, toujours impraticable, a mis en route un désastre européen. Son point de vue, stimulant et critiquable, fait référence au souvenir de la Réforme et de la Contre-réforme.

 L’idée de base de Jenkins est que l’euro oblige les nations européennes à adopter des politiques fiscales contraignantes que les citoyens n’ont pas choisies. Il y a là une distorsion de la démocratie qui est en train de provoquer un divorce des opinions publiques d’avec le projet européen qui augure des conflits toujours plus insolubles dans l’avenir.

Après avoir noté que le langage de haut vol du premier projet de Traité de Lisbonne rédigé par Valéry Giscard d’Estaing était celui d’une encyclique papale, Jenkins écrit : « comme avant la Réforme, l’imposition de l’Europe du Nord pour soutenir les subventions et l’activité de la mère église durèrent un temps, mais elle ne pouvait durer pour toujours. Les contribuables allemands peuvent secourir les Grecs, parce que la moitié des dettes grecques appartiennent à des banques étrangères. Mais les contribuables ne vont pas aussi secourir des Portugais, les Espagnols et les Italiens. Le projet de faire revivre le Saint Empire Romain est condamné à l’échec. Les thèses de Luther vont bientôt être clouées sur les portes, non de Wittenberg mais du palais Berlaymont de Bruxelles. « Une union toujours plus étroite » a toujours été un dangereux fantasme, un impérialisme autoritaire forgé dans les imaginations trop pleines des cardinaux de la foi paneuropéenne. Ils pensaient qu’ils pourraient nier la réalité politique. Son arrogance réside dans la croyance que d’une certaine manière l’union monétaire pourrait laisser l’identité nationale intacte, qu’un parlement européen corrompu pourrait offrir suffisamment de responsabilité (« accountability ») démocratique.  Une vigoureuse démocratie interne est l’une des forces des Etats européens d’après guerre. Une distante discipline ne fonctionnera pas. Toute union plus étroite tombe carrément dans la définition de l’historienne Barbara Tuchman d’une grande folie historique, « une politique dont on peut démontrer qu’elle impraticable » et qui est connue comme telle à l’époque. C’était la politique suivie par les leaders européens, comme tant de folies auparavant, comme un « enfant chéri du pouvoir ». La tentative d’imposer une discipline fiscale dans toute l’Europe va provoquer sa mort. »

 L’article de Simon Jenkins est amusant par sa référence aux temps des guerres de religion, même si la Grèce, épicentre du séisme actuel, appartenait alors à l’Empire Ottoman et n’avait guère d’allégeance envers la papauté. Il pose surtout de vraies questions sur la démocratie. Le récent sommet de Bruxelles a ainsi décidé que tous les Etats de la zone Euro devraient revenir à 3% de déficit des finances publiques en deux ans, mais les électeurs n’ont nullement été consultés. Le manque de consultation des citoyens fait le lit des extrémismes et du populisme.

 Il est aussi profondément erroné. Il part du présupposé que, aujourd’hui comme il y a cinquante ans, le cadre national est le seul adéquat pour exercer la démocratie. Or, d’immenses centres de pouvoir se sont constitués ignorant les frontières des nations, qu’il s’agisse des multinationales industrielles ou financières ou du crime organisé. En parallèle, le pouvoir s’est aussi rapproché des citoyens par la décentralisation au profit des régions et des communes, au point qu’une sécession de l’Ecosse du Royaume Uni n’est plus inimaginable. Le projet européen n’est pas un monolithe pontifical comme le suggère Jenkins. C’est une réorganisation des pouvoirs dans la diversité, de manière à respecter et encourager les cultures multiples du continent et, parallèlement, pouvoir peser ensemble à l’échelle internationale. L’euro fait partie de ce projet. Il ne relève pas du fantasme mais d’une bonne intelligence d’un monde où la monnaie est au cœur des relations internationales.

 Jenkins raille l’obsession de Tony Blair de faire rentrer la Grande Bretagne dans l’Euro. La crise de la monnaie unique européenne rend actuellement inaudible la voix de ceux ses partisans en Grande Bretagne. Je ne suis pas certain que la question ne se repose pas dans les quelques années à venir.

 Photo « The Guardian » : un euro frappé en Grèce.