Alliance militaire

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La signature par le président français et le premier ministre britannique de traités scellant pour cinquante ans une collaboration intime entre les armées des deux pays est un événement remarquable.

Ancien ministre de la Défense du Cabinet Fantôme conservateur, Bernard Jenkin a déclaré selon le Guardian : « il ne peut pas y avoir de fusion stratégique avec un pays qui a historiquement, et qui a encore, des objectifs stratégiques diamétralement différents sur la scène mondiale ». On mesure l’énormité, pour le courant de pensée auquel il appartient, d’un accord qui, à côté de la création, presque banale, d’une force d’intervention commune de 10.000 hommes, revient à partager l’arme nucléaire : « interopérabilité » des porte-avions, complémentarité géographique des missions des sous-marins, développement d’un laboratoire en France pour tester les bombes. Si ce n’est pas une fusion, cela y ressemble à s’y tromper !

Le premier ministre anglais David Cameron a évoqué le pragmatisme : il s’agit de mettre en commun des moyens pour réduire les budgets militaires tout en conservant une ambition mondiale. Méfiant à l’égard d’une défense européenne sous l’égide de Bruxelles, il est à l’aise avec un traité bilatéral qui pourrait s’élargir demain à l’Allemagne, aux Pays-Bas ou à l’Espagne.

Il a rappelé que la Grande Bretagne n’était allée seule à la guerre qu’en deux occasions au cours des trente dernières années, en Sierra Leone et dans les Malouines. Il a toutefois, semble-t-il, oublié une occasion où elle y est allée mal accompagnée : en Irak.

Photo « The Guardian » : le sous-marin britannique HMS Astute ensablé près de l’Ile de Skye

Europe, éveille-toi

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Le quotidien britannique The Guardian a publié le 20 mai un article de Timothy Garton Ash intitulé : « l’Europe  marche comme un somnambule vers son déclin. Il nous faudrait un Churchill pour la réveiller ». http://www.guardian.co.uk/commentisfree/2010/may/19/europe-sleepwalk-decline-wake

« Quelqu’un peut-il me sauver de l’europessimisme ? Je me sens plus déprimé au sujet de l’état du projet européen que je ne l’ai été pendant des décennies. L’eurozone est en danger mortel. La politique étrangère européenne avance au pas d’un escargot ivre. Les moteurs historiques de l’intégration européenne sont perdus ou toussotent. Les leaders européens réarrangent les transats sur le pont du Titanic tout en enseignant au reste du monde la navigation maritime. »

L’auteur analyse l’impuissance croissante de l’Europe, patente au sommet climatique de Copenhague et le basculement du pouvoir vers le Pacifique.

(….) « Pendant plus de 50 ans après 1945, il y avait cinq grandes forces motrices du projet européen. C’étaient : le souvenir de la guerre, un souvenir personnel profondément motivant jusqu’à la génération d’Helmut Kohl et de François Mitterrand ; la menace soviétique à l’Europe occidentale et le désir des peuples d’Europe Centrale et de l’Est d’échapper à la domination soviétique et de trouver la liberté et la sécurité ; le soutien américain à l’intégration européenne en réponse à la menace soviétique ; la République Fédérale d’Allemagne, désireuse de réhabiliter l’Allemagne post-nazi au sein de la famille européenne et aussi de gagner le soutien des voisins européens à la réunification allemande ; et la France, avec son ambition ambivalente pour une Europe menée par la France. Ces cinq forces motrices sont maintenant absentes ou grandement affaiblies.

A la place, nous avons un ensemble de nouvelles raisons pour le projet. Elles incluent des défis mondiaux comme le réchauffement climatique et le système financier mondialisé, qui ont un impact croissant sur les vies de nos citoyens, et les pouvoirs émergents d’un monde multipolaire. Dans un monde de géants, elles aident à être un géant soi-même. Mais des raisons, un raisonnement intellectuel, n’est pas la même chose qu’une force motrice affective, fondée sur l’expérience personnelle directe et un sens immédiat de menace. Nous n’avons pas ce sentiment dans l’Europe d’aujourd’hui. Tant si l’on considère leur niveau de vie que leur qualité de vie, les Européens ne se sont jamais si bien portés. Ils ne se rendent pas compte à quel degré de radicalité les choses doivent changer de manière à ce qu’elles puissent rester les mêmes.

Il faudrait un nouveau Winston Churchill pour expliquer cela à tous les Européens, dans la poésie du « sang, sueur et larmes ». Au lieu de cela, nous avons Angla Merkel, Nicolas Sarkozy, Silvio Berlusconi et maintenant David Cameron (…) D’où alors viendra le dynamisme ? Je ne sais pas. Oui, je suis passé à travers de nombreux moments d’europessimisme auparavant ; il y a eu de tels moments aussi loin que je me souvienne. Chaque fois l’Europe est sortie des ornières d’une manière ou d’une autre, pour faire un autre pas en avant. Les concurrents mondiaux de l’Europe ont tous leur lot de gros problèmes. Dans 10 ans, les historiens vont peut-être regarder en arrière et rire de l’Euroscepticisme de 2010. Mais seulement si l’Europe s’éveille au monde dans lequel nous sommes.

Europe, éveille-toi ! »

Photo « transhumances » : gisant dans la cathédrale de Lincoln

La Grande Bretagne plus européenne ?

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Le Parti Conservateur britannique affiche une position que j’ai qualifiée dans un précédent article « d’euro scepticisme toryde ». Les événements de ces dernières semaines, coalition à Londres, crise de l’Euro sur le Continent, semblent changer la donne.

Dans le Financial Times du 15 mai, on trouve un intéressant article de Gideon Rachman intitulé « la peur qui unit maintenant la Grande Bretagne et l’Europe ».

« Une semaine d’agitation politique et économique dans tout le Continent européen a abouti à ce que la politique en Grande Bretagne semble davantage européenne ; et que la politique en Europe semble davantage britannique.

La Grande Bretagne a maintenant le type de coalition gouvernementale qui semble parfaitement normal en Allemagne, en Italie ou aux Pays Bas, mais qui est complètement étranger à la tradition britannique de politique antagoniste et de gouvernement fort et monocolore. Pendant ce temps, la crise dans l’euro zone a créé une atmosphère qui rappelle la Grande Bretagne au zénith du Thatchérisme : émeutes dans les rues d’Athènes ; confrontation avec le secteur public en Espagne ; contrecoup eurosceptique mené par les tabloïdes populistes en Allemagne.

L’agent de changement en Grande Bretagne est Nick Clegg, le leader des Libéraux Démocrates et le nouveau vice premier ministre. A la fois par sa biographie et par inclination, M. Clegg est le politicien le  plus européen à s’être tant approché du sommet de la politique britannique. Il a une femme espagnole, une mère hollandaise, parle cinq langues, a été formé au Collège d’Europe à Bruges, a travaillé comme fonctionnaire de l’Union Européenne et a été député au Parlement Européen.

(…) L’accord de coalition qu’il a négocié avec David Cameron, le nouveau premier ministre, a déjà introduit la culture de négociation et de compromis de l’Union Européenne dans la politique britannique. L’accord de pré coalition rédigé par les Conservateurs et les libéraux Démocrates était bien plus reconnaissable par les journalistes politiques allemands que par leurs collègues britanniques – bien que les allemands aient noté avec envie que les partis britanniques avaient conclu un accord en cinq jours, alors que la plus récente coalition allemande avait nécessité 40 jours de négociation.

L’acceptation facile à la fois par M. Clegg et M. Cameron de ce que la politique jusque là chérie devait être jetée par-dessus bord dans l’intérêt d’un accord a semblé légèrement choquante aux média britanniques. Mais c’est le type de maquignonnage qui est profondément familier à qui a suivi les négociations européennes nocturnes à Bruxelles. Il y a quelques principes fondamentaux qui sont vraiment vraiment fondamentaux ; et il y a les autres qui peuvent être marchandés à deux heures du matin.

(…) Mais juste au moment ou le style européen de la politique du compromis devient à la mode en Grande Bretagne, il tombe en disgrâce en Allemagne. Beaucoup d’Allemands semblent être arrivés à la conclusion que l’accord pour secourir l’euro zone, négocié dans les salles non-fumeur de Bruxelles le week-end dernier, est le compromis de trop. (…) Les Allemands, qui considéraient Margaret Thatcher comme l’emblème de l’insularité britannique sembleraient maintenant vouloir un leader qui irait aux sommets européens et dirait, selon les mots associés avec ce premier ministre : « I want my money back » (je veux qu’on me rembourse ») ou simplement « non, non, non ».

Les optimistes pourraient considérer cette convergence des styles allemand et britannique de politique comme positive pour l’Europe dans son ensemble. Les Britanniques, ayant découvert un goût pour le consensus, pourraient devenir des interlocuteurs plus faciles à Bruxelles. Les Allemands, ayant perdu quelques illusions sur l’Union Européenne, pourraient être moins enclins à pousser des schémas irréalistes pour une union politique en Europe.

Mais je crains d’une certaine manière que ce ne soit pas aussi net. Car le principal facteur unissant les événements en Grande Bretagne et dans le reste de l’Europe cette dernière semaine est la terreur d’une nouvelle intensification de la crise économique. (…) L’époque des sommets européens marqués par les affrontements entre les Britanniques eurosceptiques et le reste europhile est probablement dépassée. Mais cette évolution heureuse des événements n’est pas due à une convergence spontanée entre les manières britannique et continentale de faire de la politique européenne. La raison est plus sombre et moins rassurante. Les événements de cette semaine en Grande Bretagne et à Bruxelles peuvent être un avant-goût d’une nouvelle ère politique en Europe, définie par la dette et la crainte d’une nouvelle crise financière et économique. »

Photo The Guardian : David Cameron et Nick Clegg annoncent la création d’un gouvernement de coalition.

Oui à la Turquie européenne !

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Lors de sa visite en France cette semaine, le Premier Ministre turc Recep Tayyip Erdogan a réaffirmé l’intention de son pays d’adhérer à l’Union Européenne. Le Président Sarkozy a répété son opposition à cette candidature. J’en suis pour ma part un chaud partisan.

Chacun reconnaît les obstacles à surmonter préalablement à l’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne : le degré inégal de développement du pays, la question de Chypre, le statut de la minorité Kurde, des divergences sur la politique à mener à l’égard de l’Iran. Si je ne mentionne pas l’Islam, c’est à dessein : je ne crois pas que ce soient les racines chrétiennes qui définissent aujourd’hui l’Europe, mais des valeurs partagées et l’envie de bâtir quelque chose ensemble. Exclure a priori l’adhésion de pays laïcs où l’Islam est la religion majoritaire impliquerait que l’on ferme aussi la porte à l’Albanie et à la Bosnie, pays balkaniques incontestablement européens. Et je ne mentionne pas non plus le facteur géographique, car s’il est vrai que la Turquie a sa capitale en Asie mineure, son poumon économique est de l’autre côté du Bosphore, donc en Europe.

Il y a une raison négative de souhaiter que la Turquie entre dans l’Union. Depuis des années, le pays a fait de la perspective de l’adhésion le pivot d’une politique de modernisation non seulement de son économie mais aussi de ses lois et ses institutions. Lui tourner le dos pourrait l’amener à considérer d’autres alliances, à l’est (Iran) ou au nord (Russie).

Mais les raisons positives sont plus nombreuses et convaincantes.

L’Europe vieillit. La Turquie est un pays neuf.

L’Europe a besoin de sécurité au Moyen Orient, une sécurité non imposée par les armes mais propagée par le commerce et la culture. La Turquie est un grand pays avec une grande histoire. Elle ne possède pas d’armes de destruction massive, elle respecte la légalité internationale et n’est pas hostile à ses voisins.

L’Europe a besoin de développer ses relations avec les pays du Moyen Orient, qui peuvent devenir à leur tour « émergents ». Des dizaines de millions de personnes parlent des langues apparentées au turc, jusqu’en Afghanistan. La Turquie peut devenir le navire amiral d’une région aujourd’hui déchirée mais qui aspire à la paix.

Accueillir la Turquie dans l’Union Européenne, c’est naturellement accepter des risques et consentir à ce que l’avenir de l’Union soit différent de son passé. Mais n’est-ce pas justement l’impulsion dont l’Europe que nous aimons a tant besoin ?

(Photo : Istanbul).