La belle endormie

La Belle endormie (La bella addormentata), film de Marco Bellochio, nous plonge au cœur d’une controverse qui a profondément divisé les Italiens à la fin 2008 et au début 2009 : à la demande du père d’Eluana Engaro, dans le coma depuis 17 ans, un tribunal avait autorisé  l’interruption de son alimentation artificielle.

 Le Président du Conseil Silvio Berlusconi avait utilisé cette situation pour souder autour de lui l’opinion catholique. Au nom du respect absolu de la vie, il avait déposé en urgence un projet de loi obligeant à maintenir l’assistance mécanique à la vie de personnes comateuses, ce qui aurait obligé à rebrancher les appareils maintenant en vie Eluana. Le film se déroule début février 2009, six semaines après qu’Eluana eut été débranchée : elle est transférée à l’hôpital d’Udine pour y mourir ; à Rome, les Députés sont réunis pour voter le projet de loi de Berlusconi. Continuer la lecture de « La belle endormie »

« Palingenesis » italienne

L’élection du Parlement italien, celle du Président de la République et la formation du nouveau gouvernement ont révélé une culture politique typiquement italienne, mais aussi des menaces à la démocratie que partagent d’autres pays européens. Le mot clé de cette période troublée est « palingenesi », du grec « genesis », naître et « pal », à nouveau : renaître, se régénérer.

 Les élections parlementaires italiennes des 24 et 25 février ont donné une majorité au Parti Démocrate de Luigi Bersani au Parlement mais non au Sénat. Or, les deux Chambres ont des pouvoirs identiques. Le Mouvement 5 Etoiles (M5S) de Beppe Grillo, dont le programme est Vaffanculo (vas te faire foutre), ayant refusé de s’allier avec Bersani, celui-ci s’est trouvé dans l’impossibilité de former un gouvernement. Continuer la lecture de « « Palingenesis » italienne »

Vincere

La chaîne de télévision Arte a diffusé le 24 mars le film de Marco Bellochio « Vincere » (2009). Par l’histoire tragique de la femme et du fils cachés de Mussolini, c’est la mécanique de l’instauration du fascisme qui est mise au jour.

 En 1914, Ida Dalser (Giovanna Mezzogiorno), 34 ans, rencontre les pas de Mussolini (Filippo Timi). Cet homme assoiffé de pouvoir la fascine. Elle tombe éperdument amoureuse de lui. Pour lui permettre de créer son journal, le « Popolo d’Italia », elle vend tout ce qu’elle possède. Elle lui donne un fils, Benito Albino. Elle prétend qu’ils se sont mariés religieusement et que le père a reconnu son fils.

 Mais Mussolini entretient une relation avec une autre femme, Rachele Guidi. C’est elle qu’il épousera officiellement, c’est d’elle qu’il aura des enfants légitimes. Ida et le jeune Benito deviennent encombrants, d’autant plus qu’Ida ne baisse pas le ton. Elle clame à cors et à cris sa vérité. On l’enferme à l’asile psychiatrique. On la sépare de son fils, placé dans une pension glaciale, seul à l’écart de ses camarades. On ne trouve pas trace d’un acte de mariage avec le futur Duce et d’un acte de reconnaissance de paternité. La vérité d’Ida ne tient pas ; seule existe la vérité du nouveau régime. Ida et Benito mourront tous deux en détention psychiatrique, respectivement en 1937 et 1942.

 Dans la première partie du film, Marco Bellochio nous transporte dans l’excitation de la conquête du pouvoir, avec une énorme charge érotique. Dans la seconde partie, tout devient solitude, souffrance, lenteur. Il y a des scènes magnifiques, comme celle dans laquelle Ida se hisse en haut d’une énorme grille et confie au vent les messages de désespoir qu’elle destine à d’hypothétiques sauveurs, le Roi ou le Pape. Vers la fin du film, Bellochio utilise un reportage d’actualité montrant Mussolini vociférant un discours guerrier dans des postures ridicules, menton levé, bouche tordue, regard fuyant. Sollicité par des condisciples, son fils Benito Albino rejoue la scène et accentue l’absurdité du dictateur ; on le sent aveuglé de haine pour ce père qui l’a laissé tomber et ne le désigne que comme Benito Dalser.

 « Vincere » met l’art du cinéma au service d’un réquisitoire implacable contre le fascisme et la destruction qu’il opère de l’amour et de la beauté.

Beppe Grillo, l’antisystème italien

 

Beppe Grillo

L’inconnue de l’élection parlementaire italienne de ce week-end est le score du M5S de l’humoriste Beppe Grillo.

 Le MoVimento 5 Stelle (MouVement 5 Etoiles) pourrait rallier 20% des voix à l’élection du Parlement italien. Le « V » majuscule est à la fois symbole de victoire et la première lettre de « vaffanculo », « va te faire foutre » en français. Le M5S a été créé par l’humoriste Beppe Grillo, avec pour objectif de nettoyer les écuries d’Augias de l’Etat italien qualifié de bureaucratique, surdimensionné, coûteux et inefficace.

 Beppe Grillo évoque pour les français Coluche, qui s’était brièvement présenté à l’élection présidentielle pour « sortir les sortants » ; Jean-Luc Mélanchon pour ses qualités de tribun et sa capacité à rassembler en meeting des foules énormes ; et aussi Ségolène Royal pour son appel à la démocratie directe par Internet. Il dédaigne les plateaux de télévision mais occupe les journaux télévisés qui se délectent de ses bons mots et accordent une large place à ses meetings. Sur la Place du Duomo à  Milan, le prix Nobel de Littérature Dario Fo a déclaré devant environ 30.000 personnes : « cette manifestation m’en rappelle une semblable en 1945, au lendemain de la guerre ; mais alors nous avons échoué à construire l’Italie que nous voulions. Essayez, n’abandonnez pas, retournez l’Italie ! »

 Le programme du M5S est construit autour de sept chapitres, dont l’ordre est indicatif des priorités : Etat et citoyens, énergie, information, économie, transports, santé et instruction. Le fil rouge est la réforme de l’Etat, avec la disparition des provinces, le non cumul des mandats, le plafonnement des rémunérations des élus, la suppression du financement public des partis politiques. Le programme a aussi une forte teinte écologique, avec une insistance étonnante sur l’isolement thermique des bâtiments ; il recommande aussi la promotion de circuits de distribution courts. Les enquêtes montrent que le cœur de l’électorat du M5S réside dans les déçus de Berlusconi, qui trouvent dans le programme une inspiration antiétatique et libérale qu’ils jugent tarie dans le Parti des Libertés ; et dans l’électorat de gauche qui soupçonne le PDS de Bersani de corruption et de collusion avec les banques.

 Les sondages accordent au PDS une majorité absolue au Parlement mais non au Sénat, ce qui pose une hypothèque sur la gouvernabilité du pays. Le comportement des futurs élus du M5S, désignés par des primaires sur Internet et dotés d’un programme populiste, idéologique et non chiffré, pourrait se révéler un facteur important de la vie politique italienne dans les mois à venir.

Beppe Grillo et Dario Fo en meeting à Milan