To Rome with love

 

 

Jack et Monica, sous le regard de l'ange gardien.

 

Woody Allen a démontré avec Vicky Cristina Barcelona (2007) et Midnight in Paris (2011) son talent pour exprimer au cinéma le génie d’une ville.

 C’est à Rome que nous transporte son dernier film, « To Rome with love ». Tous les clichés de la vie romaine s’y trouvent : le chanteur d’opéra, les paparazzi, la prostituée, les hommes d’affaires. On y retrouve aussi avec plaisir Woody Allen comme acteur, dans un rôle où il est naturellement marié à une psychanalyste.

 L’amour dont il est question dans le film, c’est celui d’un jeune couple qui décide de monter de sa province de Pordenone à la capitale pour connaître enfin la grande vie. C’est aussi celui que le cinéaste éprouve visiblement pour Rome et ses habitants.

 Le film juxtapose plusieurs sketches, dans la grande tradition du cinéma italien. Jerry (Woody Allen lui-même), ancien metteur en scène d’opéras,  identifie en Gian Carlo, le père de son futur gendre, un ténor génial. Le problème de Gian Carlo, c’est qu’il ne sait chanter que dans sa douche. Qu’à cela ne tienne : John imagine une douche mobile décorée à l’antique, dans laquelle le personnage principal interprète sur scène son rôle en virtuose, sans cesser de se laver. C’est tellement énorme que l’effet comique est immédiat : le génie de Fellini rôde ! Et aussi celui de Woody Allen lui-même. Comme Gian Carlo est entrepreneur de pompes funèbres, l’épouse de Jerry, en bonne psychanalyste, ne lui ménage aucun décodage : si tu crois bon de mettre en scène un croque-mort, c’est que tu ne parviens pas à faire le deuil de ta carrière professionnelle et à accepter sereinement la retraite !

 Roberto Benigni est dans le rôle d’un homme absolument quelconque propulsé dans la célébrité par la télévision poubelle. Le moindre détail de sa vie quotidienne, comme la manière dont il beurre ses toasts au petit déjeuner, devient l’objet de commentaires sans fin. Il sera rejeté dans l’anonymat aussi vite qu’il s’était trouvé sous les projecteurs.

 Penélope Cruz joue une prostituée en pleine possession de son art qui se retrouve pour un jour mêlée à la vie sociale et intime d’un jeune homme timide et de bonne famille.

 Dans l’un des sketchs, un architecte célèbre rencontre un débutant qui vit dans l’appartement même du Trastevere dans lequel il avait vécu lorsqu’il était étudiant. Comme un ange gardien il le met en garde contre le danger que la sulfureuse Monica fait courir au couple harmonieux qu’il forme avec Sally. En vain, bien sûr !

 « To Rome with love » n’est pas le meilleur film de Woody Allen. Mais on rit de bon cœur et on se laisse charmer par la poésie colorée d’humour qui se déprend de la ville de Rome.

Berlusconi peut revenir !

De passage à Londres pour présenter son roman « Le Cimetière de Prague » (voir « transhumances » du 28 avril 2011), Umberto Eco a rencontré le journaliste du Guardian Stephen Moss. Il n’exclut pas le retour de Berlusconi aux élections de 2013.

 « Berlusconi, dit-il, est un génie de la communication. Autrement, il ne serait jamais devenu riche. Depuis le début, il a identifié sa cible, les personnes d’âge moyen qui regardent la télévision. Les jeunes ne regardent pas la télévision, ils sont sur Internet. Les gens qui soutiennent Berlusconi sont des femmes de 50 ou 60 ans et des retraités, ce qui, dans un pays vieillissant, constitue une puissante force électorale. Même si ses fameuses gaffes sont pour vous et moi des gaffes, il est probable que pour la dame ou le monsieur de province de 60 ans, ça n’en sont pas. Son message était « payez moins d’impôts ». Quand le premier ministre dit que l’on a le droit de ne pas payer d’impôt, on est content ».

 Comment une culture aussi intellectuelle et artistique que l’Italie peut avoir élu un tel bouffon ? demande Stephen Moss. « Berlusconi était fortement anti-intellectuel, dit Eco, et il se vantait de ne pas avoir lu un roman depuis 20 ans. Il y avait  chez lui la peur que l’intellectuel soit un pouvoir critique, et dans un certain sens il y avait un affrontement entre Berlusconi et le monde intellectuel. Mais l’Italie n’est pas un pays intellectuel. Dans le métro de Tokyo, tout le monde lit. En Italie, les gens ne lisent pas. N’évaluez pas l’Italie en fonction du fait qu’elle a produit Raphaël ou Fra Angelico. »

 Umberto Eco force un peu le trait, et il est la vivante illustration du raffinement intellectuel de nombreux Italiens. Stephen Moss relève que sa bibliothèque compte plus de 50.000 livres, y compris 1.200 titres rares. Eco a appelé les livres « les couloirs de l’esprit » et coécrit récemment une lettre d’amour au texte imprimé intitulée « ce n’est pas la fin du livre ». Mais, homme pratique, il emmène sur son iPad 30 titres téléchargés, plus pratiques à lire pendant les vingt jours de sa tournée mondiale de promotion !

 Photo  The Guardian, Umberto Eco.

Comment l’Italie survit-elle à son premier ministre ?

Le Financial Times a publié le 26 octobre un article de Beppe Severgnini intitulé : « comment l’Italie parvient-elle à survivre en ayant l’élève absentéiste comme leader ? » (how Italy just survives having the class truant as leader).

 Severgnini rappelle la moue du président Sarkozy et les yeux levés au ciel de la chancelière Merkel lorsqu’en conférence de presse, un journaliste leur demanda s’ils avaient confiance dans le président du conseil italien Berlusconi. « Il est vrai qu’à la plupart des Italiens cette scène embarrassante fut épargnée dans la mesure où les principales chaines de télévision, possédées ou contrôlées par le premier ministre, évitèrent l’incident. Mais la situation est affreuse. »

 « Comment la huitième économie du monde peut-elle continuer avec un premier ministre décevant, un gouvernement faible, une opposition faible et ses finances en détresse ? » Severgnini explique que si le pays échappe à la dépression nerveuse, c’est parce qu’il reçoit l’orientation de l’extérieur et la force de l’intérieur.

 Orientation de l’extérieur : il est clair que le penchant populiste de Berlusconi l’aurait incité à dépenser plus, bien que la dette publique atteigne 127% du PNB. Mais la pression externe ne s’arrête pas à l’économie. Severgnini souligne que Berlusconi est allé en guerre contre Kadhafi, qu’il avait autrefois qualifié de « un leader de la liberté » sous la pression étrangère : « aller en guerre parce que vous ne pouvez pas dire non, c’est peut-être une première. »

 Force de l’intérieur. Le journaliste souligne la force de la démocratie locale en Italie. « Si vous allez une couche plus profond, les choses fonctionnent encore mieux. Dans les temps difficiles, les familles italiennes se mettent à faire ce qu’elles font le mieux, prendre soin de chacun d’une manière que les familles du nord de l’Europe ou des Etats-Unis ne feraient pas. Quelque 24 millions de ménages italiens deviennent des logeurs, des agences de baby-sitting ou des maisons de retraite. Quelques unes agissent comme des banques – les prêts pour le premier logement proviennent inévitablement de parents – comme compagnies d’assurance ou comme agences de placement – un italien sur trois reconnait avoir trouvé un emploi par relations. »

 « En un mot, l’Italie tient parce qu’elle est contrôlée à distance de l’extérieur et micro-régulée de l’intérieur. Ce que nous n’avons pas, c’est un gouvernement et un leader au milieu. Il est temps que nous les ayons avant qu’il ne soit trop tard. »

 Photo La Repubblica : Silvio Berlusconi.

Gianni et les femmes

Après « le déjeuner du 15 août », dont « transhumances » a récemment présenté une recension, Gianni Di Gregorio a réalisé un second film, « Gianni e le donne », « Gianni et les femmes ».

 Di Gregorio joue lui même, comme dans le précédent film, le rôle de Gianni, un préretraité d’une bonne soixantaine d’années qui traine son ennui dans les rues de Rome. Gianni est environné de femmes : son épouse, avec qui il ne partage plus grand-chose ; sa fille, qui a imposé à la maison son petit ami et son oisiveté ; la voisine d’en dessous, une charmante jeune fille toujours sur les nerfs dont il promène le grand chien, Riccardo ; et surtout sa mère (Valeria De Franciscis), quatre vingt quinze ans et toute sa tête, qui mène la grande vie et l’appelle à tout bout de champ.

 Gianni est un gentil garçon qui, comme dans le « déjeuner du 15 août », ne sait pas dire non et se laisse envahir. Mais voilà que son ami Alfonso l’encourage à relever la tête et à se trouver une amante. De fait, les femmes adorent Gianni. Mais de drague malheureuse en fiasco, il se rend compte qu’elles adorent en lui le chevalier servant, le tonton ou le grand-père et jamais l’amant.

 Gianni voit dans la glace les poches sous ses yeux, il voit dans un vieillard promenant son chien l’exacte image de ce qu’il est en train de devenir. Le film glisse peu à peu vers une indicible tristesse, celle du lent et impitoyable vieillissement. Mais ce que les mots peinent à dire, le langage cinématographique de Di Gregorio l’exprime de manière poignante.

 Photo du film « Gianni et les femmes » : Gianni Di Gregorio et Valeria De Franciscis.