Dans Saison des pluies, Estação das chuvas (Edições Dom Quixote, 1996), José Eduardo Agualusa livre un passionnant témoignage sur des épisodes de la guerre civile qui a ensanglanté l’Angola pendant 27 ans jusqu’en avril 2002.
Le livre se présente comme la biographie romancée de Lídia do Carmo Ferreira, née en 1928 et disparue en 1992 lors d’une recrudescence de la guerre civile dans son pays, l’Angola. Militante, poétesse, professeur de littérature, Lídia alterna des périodes d’exil au Portugal, en Allemagne et au Brésil avec des retours plus ou moins longs au pays.
Il culmine en 1977, lorsque le régime du MPLA décide de se débarrasser des « fractionnistes ». Lídia se trouve enfermée à la prison São Paulo de Luanda en même temps qu’Agualusa et des militants, le plus souvent très jeunes, partageant la même cellule après avoir milité dans des camps parfois opposés. Le chef de cellule était « Zorro », dont l’auteur dit en 1975 : « dans les derniers 12 mois, il avait vécu plus que dans les 12 années précédentes : il était parti en exil, avait connu la femme de sa vie, était revenu d’exil, s’était impliqué dans la lutte politique, avait perdu la femme de sa vie et avait fait la guerre ».
Il y a là Ángel, un mercenaire cubain engagé au service de l’UNITA contre l’armée de Castro engagée en Angola pour soutenir le MPLA. Tombé dans une embuscade, il prit l’identité d’un soldat cubain mort au combat et parvint à sauver sa peau. Il y a Santiago, élevé depuis l’âge de huit dans le bordel luandais « Luar das Rosas », devenu chanteur, puis commissaire politique. Santiago est affreusement torturé. Ramené dans la cellule, il dit à José Eduardo : « tu as peur, n’est-ce pas ? Ils m’ont dit que je ressemble à un fantôme sans visage. » Mais, écrit ce dernier, « je ne savais même pas à quoi il ressemblait. Ils lui avaient arraché les yeux, le nez et les oreilles ». Il y a Francisco Borja Neves, un blanc passé à la révolution qui, quelque temps plus tôt, disait : « même la prison est une peine légère pour certaines personnes. La révolution exige la fermeté, il est nécessaire de fusiller pour éduquer ». On trouve ici l’écho des Brigades Rouges italiennes : « en frapper un pour en éduquer cent ».
Et il y a Lay, la jeune amante de José Eduardo. De retour d’un interrogatoire, « j’entendis crier mon nom. Je me retournai. Lay riait pour moi. Je vis ses dents briller entre les gencives. Elle recommença à crier : « lilas ! ». C’était notre code des couleurs. Jaune : situation difficile, danger, urgence. Bleu : ne dis rien, reste en silence. Noir : vas-t-en tout de suite ! Marron : il n’y a rien à voir. Lilas : splendide, tout va bien ! Nous avions appris cette sottise dans un quelconque manuel de lutte clandestine, mais cela ne nous avait jamais servi. » Lay, pourtant, l’avait adapté avec succès aux jeux de l’amour ».
José Eduardo ne reverra pas Lay. Il se rappellera les interminables réunions politiques, avant la prison et avant la torture, lorsqu’ils n’avaient qu’une hâte : se retrouver dans le grand lit de Lay. « Lay montait au dessus de matelas et tirait la moustiquaire(…) Je la voyais à genoux dans le lit, tirant sa chemise par-dessus de sa tête, le corps dressé. Et ensuite, me regardant à travers le filet. Nous mettions une cassette dans le magnétophone : « le pouvoir populaire / est le cœur de cette confusion ». C’était un boléro triste et mélancolique. « Les laquais de l’impérialisme prétendent en finir avec nous ». Lay m’attirait par la nuque avec ses doigts froids. Santaca chantait avec une voix magique « en avant, peuple angolais / soyez bien vigilants, ne vous laissez pas trahir ». J’embrassai son cou interminable, j’embrassai ses seins altiers. « Soyez vigilants car la lutte continue / l’avant-garde du peuple et le MLA ». Lay, les dents me mordant la poitrine. « Le MPLA est le peuple / le peuple est le MPLA »> Ma bouche dans sa bouche. Lay : « tu embrasses comme un gosse. » Je sentais sa bouche chaude, son ventre nocturne. « Les forces armées du peuple angolais / doivent être bien vigilantes ». Lay, anxieuse : « viens ! », ses ongles fichés dans mes côtes. Et Santaca qui chantait : « il faut continuer le travail politique et la promptitude combative et la grande défense de nos conquêtes. »
Photo de Morten Taravik, « Miss Landmine », prise dans le cadre d’un concours de beauté de femmes victimes des mines antipersonnel pendant la guerre civile, organisé en 2008 pour sensibiliser contre ces armements. Cité par http://ladyblogue.typepad.fr.