Train de nuit pour Lisbonne

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Je propose aujourd’hui une lecture dur roman de Pascal Mercier, Train de nuit pour Lisbonne (Nachtzug nach Lissabon, btb 2004).

Lorsque Raimund Gregorius, professeur de lettres anciennes aux allures de rat de bibliothèque désespérément myope, se rend comme d’habitude au lycée où il enseigne à Berne,  il ne se rend pas compte que sa vie va définitivement basculer en un instant. Il empêche une jeune femme désespérée de se jeter à la rivière. Lorsqu’il lui demande sa langue maternelle, elle répond « português », et c’est un enchantement. « Le o prononcé étonnamment comme ou, la légèreté, un ton au-dessus, étrangement contrainte, du ê et le doux ch à la fin du mot s’assemblaient dans une mélodie qui semblait beaucoup plus longue qu’elle n’était en réalité, et cela, il aurait pu l’écouter tout au long de la journée. »

« Mundus », l’irremplaçable et irrémédiablement prévisible pilier du lycée, s’enfuit de Berne par le train de nuit pour Lisbonne. Il part sur les traces de l’auteur d’un livre découvert chez un bouquiniste dans les premières heures de son échappée : Amadeu Inácio de Almeida Prado, um ourives das palavras, un orfèvre des mots, publié à Lisbonne en 1975. A cinquante sept ans passés, il cherche à savoir qui il est vraiment, à imaginer ce qu’aurait été son destin s’il avait accepté le poste de précepteur qu’on lui proposait à Ispahan au sortir de ses études. Assailli de vertiges, il craint une tumeur au cerveau et se prépare à un bilan neurologique décisif. Amadeu de son côté se savait atteint d’anévrisme et portait dans son cerveau une bombe à retardement qui le tua en 1973.

Précocement doté d’une intelligence brillante, médecin de profession, Amadeu écrivit au scalpel la chronique de ses expériences existentielles, à la recherche de sa vérité intime. Fils d’un père juge au corps torturé par une infirmité et d’une mère qui faisait porter sur lui le poids de son ambition,  il chercha sa voie dans un Portugal salazariste qui broyait ses opposants.

Gregorius se met tel un détective de l’âme sur la piste d’Amadeu. Il rencontre Adriana, sa sœur, qui a arrêté le temps à l’heure de sa mort et ne vit plus que dans l’exclusive possession de son souvenir. Mélodie, la petite sœur au pas léger qui semble ne pas toucher terre. João Eça, le résistant torturé par la PIDE, avec qui il parle de dignité : faire dans son pantalon sous la torture, dit João, n’était pas une humiliation ; mouiller ses draps la nuit dans sa maison de retraite le fait se sentir indigne. Jorge, l’ami d’enfance, le confident de toute une vie jusqu’à ce que l’irruption de Estefânia Espinhosa dans la vie de l’un et de l’autre provoque une atroce rupture. Maria João, l’amie d’enfance, qui encore aujourd’hui, âgée de plus de quatre vingts ans, diffuse un incroyable sentiment de sécurité et de confiance.

Agé de dix-sept ans, Amadeu avait donné comme major de promotion le discours de clôture de l’année scolaire. Il l’avait intitulé « révérence et dégoût pour le nom de Dieu ».

«  Je ne voudrais pas vivre dans un monde sans cathédrales. J’ai besoin de leur beauté et de leur grandeur. J’ai besoin d’elles contre la vulgarité du monde. Je veux élever le regard sur les verrières illuminées des églises et me laisser aveugler par leurs couleurs mystérieuses. J’ai besoin de leur éclat : j’en ai besoin contre les couleurs sales des uniformes. Je veux me laisser envelopper par la froideur austère des églises. Jai besoin de leur silence impérieux. J’en ai besoin contre le braillement sans âme des cours de caserne et le bavardage spirituel des béni-oui-oui. Je veux entendre le frémissement de l’orgue, le déluge aérien de sons. J’en ai besoin contre la farce stridente des marches militaires. J’aime les gens qui prient. J’aime les regarder. J’en ai besoin contre le poison malicieux du superficiel et du vide de la pensée. Je veux lire les mots puissants de la Bible. J’ai besoin de la force irréelle de leur poésie. J’en ai besoin contra la dilapidation du langage et la dictature des slogans. Un monde sans ces choses serait un monde dans lequel je ne voudrais pas vivre.

Mais il y a un autre monde dans lequel je ne voudrais pas vivre : le monde où le corps et une pensée indépendante sont disqualifiés et où les meilleures choses que nous puissions expérimenter sont dénoncées comme des péchés. Le monde qui demande l’amour des tyrans, esclavagistes et assassins, que leurs pas de bottes brutaux se réverbèrent au long des rues dans un écho assourdissant ou qu’ils se glissent en catimini avec un silence félin tels des ombres peureuses au long des rues et touchent leurs victimes au cœur avec de l’acier perçant. Ce qui est le plus absurde est que les gens sont exhortés depuis la chaire à pardonner à de telles créatures et même à les aimer (…). J’aime le mot de Dieu car j’aime sa force poétique. Le nom de Dieu me dégoute car je hais sa cruauté. »

Amadeu était surnommé de son vivant « le prêtre sans Dieu ». En suivant ses pas, Raimund Gregorius prend le risque de perdre ses repères. Mais lui, l’incurable myope, voit le monde avec un autre regard, il s’engage avec les gens dans une relation d’une profondeur inouïe. A Lisbonne, sa vie s’est dilatée.

(Photo : Plasis des Marquis de Fronteira à Lisbonne)

Epiphanie

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 L’Angleterre est recouverte par une épaisse chape de neige. Il en résulte d’innombrables tracas, mais assister à la transformation soudaine d’un paysage familier en tableau abstrait, sourd et lumineux, est magique : une véritable Epiphanie !

Pendant une bonne partie de la journée du 6 janvier, il a neigé sur le sud de l’Angleterre. La vie quotidienne des londoniens est devenue plus compliquée : l’attente de trains indéfiniment retardés sur des quais de gare glacés, la crèche ou l’école des enfants fermés, des embouteillages inextricables, des vols annulés. L’association britannique des assureurs, ABI, conseille de ne pas attendre au chaud pendant que dégivre la voiture : par dizaines, des bandits se mettent au volant et volent les véhicules !

Malgré les contrariétés, il règne une atmosphère presque joyeuse. En l’espace de quelques heures s’opère une mutation du cadre de vie : les rues sombres, les briques, l’asphalte et le béton s’effacent peu à peu. Un décor immatériel s’installe, lumineux bien qu’écrasé par le ciel bas. Au lieu des angles, des courbes voluptueuses. Le vacarme urbain est absorbé, atténué. Les gros flocons virevoltent lentement et semblent apporter une manne de bonne fortune. Au petit matin, Cassiobury Park est pénétré d’une pâle lumière bleue jusqu’au faîte des arbres chargés de neige.

Epiphanie, fête traditionnellement célébrée le 6 janvier, signifie « Manifestation ».  Un autre pays, d’une blancheur immaculée, s’est manifesté hier. 

(Photo : The Guardian)

 

Hampton Court

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 Le château de Hampton Court est étroitement lié à l’histoire d’Henry VIII et de son Chancelier le Cardinal Thomas Wolsey.

J’ai rendu compte dans un précédent article du roman d’Hilary Mantel, Wolf Hall. Une visite à Hampton Court, un superbe château construit dans une boucle de la Tamise en amont de Londres me replonge dans l’atmosphère du livre. Le château actuel comporte une belle partie baroque construite par Christopher Wren, l’architecte de la Cathédrale Saint Paul entre 1689 et 1702. La partie la plus ancienne fut construite par le Cardinal Wolsey et agrandie par Henry VIII.

Mantel évoque un divertissement donné dans la grande salle d’Hampton Court quelques jours après la mort de Wolsey, survenue en novembre 1530. « Le divertissement est celui-ci : une grande silhouette écarlate, couchée, est traînée sur le sol, hurlante, par des acteurs habillés en démons. Il y a quatre démons, un pour chaque membre de l’homme mort. Les démons portent des masques. Ils ont des tridents avec lesquels ils piquent le cardinal, le faisant se convulser et se tordre et supplier  (making him twitch and writhe and beg) ».

(Photo : cheminées du Palais d’Henry VIII à Hampton Court, 3 janvier 2010)

Tics de langage des journalistes français

Le journaliste du Times Charles Bremner vient de publier dans le Times un charmant article intitulé « French clichés to avoid like la peste ».

L’auteur s’en prend avec humour, et non sans remarquer que les Anglais sont d’aussi grands consommateurs de clichés que nos concitoyens, aux tics de langage de la presse en France.

En voici un florilège, avec des traductions proposées par Bremner :

La cerise sur le gâteau /  Dans la cour des grands / Le vent en poupe / Un pavé dans la mare [a cobblestone in the pond -set the cat among the pigeons] / Caracoler en tête [to prance in the lead, to be far out front] / Attendu au tournant [awaited at the bend, lying in wait for someone] /  Revoir sa copie [revise his (exam) copy, sent back to the drawing board] / L’ironie de l’histoire [an irony of history, or just ironically] / La balle est dans leur camp [The ball is in their court] / La partie émergée de l’iceberg [The tip of the iceberg] /  A qui profite le crime [Who profits from the crime?] / Les quatre coins de l’Hexagone [the four corners of France (The Hexagon is journalistic variation for France)] / S’enfoncer dans la crise [plunge deeper into (the) crisis] / Une affaire à suivre [a matter to be followed/a story to watch].

L’article a suscité des dizaines de réactions. Des lecteurs enthousiastes ont proposé : « que du bonheur ! », « je vais être honnête avec vous ! », « persiste et signe », « nos chères têtes blondes », « il faut savoir raison garder », « il ne passera pas l’hiver », « ce qui fait le buzz cette semaine, c’est… », « au grand dam de », « passer en boucle », « c’est vrai que », « effectivement », « au jour d’aujourd’hui »…

Et John O’d propose cette petite phrase à base de clichés :

« Allez,viens [come on, let’s go]
je ne te cache pas que [I don’t mind admitting that]
‘effectivement’ [in fact]
elle a refait sa vie [she has got over the divorce]
et que depuis des lustres [for ages now]
elle file le parfait amour avec [she’s happily loved up with]
un jeune artiste qui n’a pas encore trouvé son public [a young artist whose work nobody buys]. »

Un débat anime les participants au blog. Comment traduire en français « a couple of cherries short of a clafoutis » ?

(http://timescorrespondents.typad.com/charles_bremner/2010/01/french-clichés-to-avoid-la-peste.html)