Chronique réunionnaise (2)

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Randonner dans les Hauts de l’Ile de la Réunion procure des sensations inoubliables. Loger dans un gîte ou se restaurer à une table d’hôte offrent des occasions de rencontre.

Randonnée au Camp du Tévelave

Nous nous rendons au Camp du Tévelave, un départ de promenades à 800 mètres d’altitude. Nous choisissons une boucle d’environ deux heures, qui donne accès à l’un de ces points de vue spectaculaires si nombreux dans « L’île à grand spectacle », à-pics de centaines de mètres dont les parois verticales sont colonisées par la végétation, canyons abyssaux, contraste de la montagne volcanique noire et du ciel d’un azur profond. Nous ne verrons rien aujourd’hui : un brouillard dense s’est installé sur la forêt de tamarins. Faute de panoramas, nous sommes attentifs aux surprises que nous réserve la randonnée, un diamant d’eau sur une feuille de fougère, le rouge écarlate de fleurs de fuchsia, les «barbes de Saint Antoine » sur les branches de tamarin.

Table d’hôte Chez Lydia

Nous avons réservé à déjeuner chez Lydia Roque, trois kilomètres au dessus du Conservatoire Botanique du Mascarin aux Colimaçons. Elle nous reçoit dans la salle à manger de sa case. Une table est déjà occupée par un évêque de Madagascar et un curé de La Réunion. Cinq couverts nous ont été réservés. Sur notre table trônent cinq bouteilles de punch à base de fruits différents, certains réputés en Europe comme le letchi et le fruit de la passion, d’autres moins connus comme la girembelle. Dans la salle trônent un crucifix, des statues de Notre Dame de Lourdes, de Jean-Paul II et Mère Teresa, une image de Lydia dansant le maloya avec une touriste allemande devenue son amie, des robes qu’elle coud pour des petites filles de Madagascar, quelques toiles d’artistes locaux ou malgaches.

Lydia est tout un personnage. Elle a quatre-vingt trois ans et sa mobilité est réduite par une fracture multiple de la jambe, mais elle fait preuve d’une énergie débordante. Elle interprète a capella des chansons françaises et réunionnaises des années vingt, nous parle de la famille, de son mari maçon et de leurs neuf enfants, de ses vingt années passées comme restauratrice en Normandie, de ses relations avec un village de Madagascar qui fabrique des marmites que les Réunionnais apprécient pour la cuisson de leurs caris. Au menu ce midi : des gratins de chouchou (la chayotte) servis en petites marmites individuelles, un cari de canard et un cari de poisson (viande ou poisson en sauce, riz blanc, haricots blancs, rougail – sauce pimentée) ; en dessert, un « gâteau patate », élaboré à base de patates douces, d’amandes amères et naturellement de rhum. Le fils de Lydia, Gilles, cuisine et devrait prendre sa succession à sa mort. Un autre fils vient la saluer pendant notre déjeuner, en tenue de cycliste et couvert de boue : il vient de participer à la « Megavalanche », une course de VTT en descente abrupte depuis le sommet des montagnes.

Lydia est profondément réunionnaise, par son habitat, dans une case agrandie au fil des années située loin des villes et de la frange côtière ; par son art en cuisine créole ; par sa religiosité ; par les liens vivants qu’elle entretient avec la Métropole et Madagascar où vivent certains de ses enfants ; par sa facilité à prendre l’avion, malgré son âge avancé, pour entretenir et consolider ces liens.

Chronique réunionnaise (1)

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Survol de l’île
Au cours des prochains jours, « transhumances » consacrera plusieurs articles à l’Ile de la Réunion, où je viens de passer quelques jours de vacances.

Au cours de nos randonnées dans les Cirques de l’Ile de La Réunion, j’ai souvent vitupéré les hélicoptères qui troublaient nos rudes et bucoliques promenades. Trente et un ans après ma première visite, je finis par me laisser convaincre.

Les hélicoptères Ecureuil d’Hélilagon emmènent 6 passagers. Le grand tour de l’île inclut les trois Cirques, Mafate, Salazie et Cilaos, le Volcan et le Lagon. Le décollage a lieu non loin du village de l’Eperon, un peu au dessus de la nouvelle route des tamarins. Nous survolons les champs de canne à sucre, puis la région des géraniums et enfin la forêt de tamarins. Soudain, nous nous trouvons avec des centaines de mètres d’à-pic sous l’appareil, et c’est comme si le sol se dérobait. Nous entrons dans le Cirque de Salazie par le col du Cimendef, et nous découvrons de riches terres agricoles consacrées en grande partie à des vergers et à des cultures vivrières comme la lentille et le chouchou (chayotte).

Le pilote nous annonce une « séquence émotion », et nous ne sommes pas déçus : nous survolons le « trou de fer », un ravin vertical circulaire de plusieurs centaines de mètres dont les parois sont habitées de végétation et traversées de cascades. L’appareil fait deux fois le tour du ravin et c’est très vertigineux.

Nous survolons ensuite la forêt de Bélouve et la ravine de Takamaka où il tombe plus de 8 mètres d’eau par an. Nous passons au dessus du plateau de la Plaine des Palmistes, avec ses prairies et ses maisons coquettes. Nous arrivons au Volcan de la Fournaise, un univers totalement minéral ; le volcan n’est pas en activité actuellement, mais la chaleur du cratère dégage de la vapeur d’eau. Par la Plaine des Cafres, nous rejoignons la crête du Dimitille, puis nous trouvons brusquement en aplomb du Cirque de Cilaos, avec l’Ilet de Bras Sec et l’Ilet à Cordes séparés du village par des précipices. Nous sortons du Cirque par les Trois Salazes, avec à notre droite de Piton des Neiges. Nous entrons de nouveau dans le Cirque de Mafate et survolons Marla et La Nouvelle, puis le Maido.

Le tour de l’Ile s’achève par un survol du Lagon et de Saint Gilles. En quarante cinq minutes, nous avons vu une incroyable diversité de paysages, de végétations et de lumières. Quand l’hélicoptère se pose, j’ai le sentiment d’avoir visionné en accéléré le film de dizaines de voyages et de la découverte obstinée des centaines de mondes que recèle cette île qui, dans sa plus grande longueur, ne fait que soixante dix kilomètres.

 

L’Origine des Espèces a cent cinquante ans

Le livre de Charles Darwin, l’Origine des Espèces, a été publié le 24 novembre 1859, il y a juste cent cinquante ans. Ce livre qui allait révolutionner l’idée que l’homme se fait de son humanité a été mûri en silence pendant vingt ans. Né en 1809, Darwin s’installa avec sa famille à la campagne en 1842 dans le village de Downe, à 25km de Londres dans le Kent. Voici une photo de la maison qu’il habita, aujourd’hui transformée en musée à sa mémoire.

 

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Tragédies Romaines

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 Le théâtre du Barbican, à Londres, a présenté le week-end dernier les Tragédies Romaines du Toneelgroep Amsterdam : 6 heures de représentation en langue néerlandaise sous-titrée en anglais devant un public enthousiaste.

Les Tragédies Romaines, présentées en 2008 au Festival d’Avignon par la troupe hollandaise Toneelgroep Amsterdam, sont l’assemblage de trois pièces de William Shakespeare inspirées de l’histoire de Rome, et écrites entre 1599 et 1607 : Coriolan, Jules César, Antoine et Cléopâtre. Le metteur en Scène, Ivo van Hove, est passionné par la dimension politique de l’œuvre de Shakespeare. Coriolan, un guerrier revenant à Rome couvert de gloire n’accepte pas de se compromettre avec le minimum d’hypocrisie qui lui attirerait les faveurs du peuple. Banni, il pactise avec l’ennemi. Arrivé avec leur armée aux portes de Rome, il accepte de négocier avec ses concitoyens une paix honorable et est exécuté par ses nouveaux amis pour cette seconde trahison. Brutus tue César pour protéger Rome contre le risque que le héros se transforme en dictateur. Mais la fin ne justifie pas les moyens : un nouvel homme fort, Marc Antoine, écrase les conjurés. Tombé amoureux de Cléopâtre, Marc Antoine est tiraillé entre une vie personnelle qui n’a rien de privé et la conquête du pouvoir suprême. Octave quant à lui ne connait pas ce déchirement et suit une route qui le conduira à l’empire.

La mise en scène joue sur la transposition de la pièce dans le monde politique d’aujourd’hui. Le décor se présente comme le hall d’un centre de conférence, avec un bar, des divans et de multiples écrans de télévision qui diffusent de l’actualité en continu, des dessins animés ou des exploits sportifs. Des horloges marquent l’heure à Tokyo, Londres et New York. Deux percussionnistes créent une atmosphère sonore lourde d’angoisse ou libèrent le tonnerre des batailles.

Plusieurs tableaux ne sont pas joués devant le public, mais filmés par des caméras fixes ou mobiles et retransmis sur un écran géant. Ceci permet à l’action de quitter le plateau et d’occuper la coulisse ou même, dans un cas, la rampe d’accès au parking du Barbican. Les personnages sont parfois interviewés comme au journal télévisé ou s’affrontent comme dans une émission politique. Ils sont vêtus comme les hommes et femmes politiques d’aujourd’hui, souvent en costume et cravate.

Le public est invité à s’installer sur des divans au milieu des acteurs et à consommer aux bars situés des deux côtés du plateau. Un seul espace lui est interdit : il se situe au fond de la scène, entre deux vitres qui symbolisent la frontière du monde des vivants et des morts. Car tous les personnages principaux, Coriolan, César, Brutus, Marc Antoine et Cléopâtre, connaîtront un destin tragique.

La mise en scène est politiquement correcte : une femme joue le rôle d’Octave ; l’acteur jouant le rôle de Marc Antoine souffrant d’une fracture de la jambe, le décor a été aménagé pour qu’il puisse jouer en fauteuil roulant ou avec des béquilles.  

Le spectacle est entrecoupé toutes les 30 ou 45 minutes d’une brève pause qui permet de se dégourdir les jambes et de changer de place, y compris sur la scène, car les sièges n’ont pas été attribués à la réservation. Il commence à 16h et s’achève vers 22h par l’ovation debout d’un public captivé. Au long de ces 6 heures, il n’y a pas eu un temps mort. Le dynamisme de la mise en scène et l’extraordinaire jeu des acteurs transposent sans une ride l’œuvre de Shakespeare dans le monde de Gaza, du réchauffement climatique et de la crise financière.

(Photo Toneelgroep Amsterdam, www.tga.nl)