Francisco Ayala, témoin du siècle

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L’écrivain espagnol Francisco Ayala est mort le 3 novembre à l’âge de 103 ans, devenu un symbole de l’Espagne réconciliée.

Francisco de Paula Ayala García-Duarte était né à Grenade, comme Federico García Lorca, son aîné de huit ans. Comme lui, il s’engagea dans la défense de la République contre l’insurrection franquiste. Federico mourut sous les balles d’un peloton d’exécution au début de la  guerre civile. Francisco partit pour un long exil. Doté d’une impressionnante longévité, il participa en 2006 à une conférence internationale pour marquer son propre centenaire. Au-delà des clivages politiques et des plaies de l’histoire, il était devenu emblématique d’une Espagne moderne et pacifiée malgré les sirènes de l’intolérance.

Son livre « A propos de mes pas sur la terre » (De mis pasos en la tierra, Punto de Lectura 1996) raconte son itinéraire. Né en 1906 à Grenade, il étudie à Madrid mais, en avance sur son temps, décide de faire son « Erasmus » à Berlin. Ami du président républicain Azaña, il s’exile en Argentine, à Porto Rico et aux Etats Unis et revient pour la première fois en Espagne en 1960. Il porte sur les gens, les structures et les choses un regard distant et lucide, non exempt parfois de poésie. Voici quelques réflexions que j’ai particulièrement appréciées, parce qu’elles rejoignent mes propres expériences ou ma manière de voir.

Grenade. « Si tous les sens contribuent à percevoir un enchantement si subit – eau qui chante dans les vasques et les fontaines, arômes qui emplissent l’air, douceur et fraîcheur de la pierre – c’est peut-être l’ouïe qui nous livre la part la plus intime et la plus délicate de l’esprit grenadin ».

Venise. « Elle brille, nette, avec la plasticité et le luxe atroce de ses mausolées et ce n’est pas tant qu’elle soit morte elle-même : elle loge, avec une magnificence imposante, la mort en son sein. Dans « mort à Venise », Mann a bien perçu ce qu’il y a de mortel dans la beauté, sa séduction impossible, la chute de l’artiste dans la consolante et anhihilante attraction du parfait ».

Séville. « Pour moi, Séville est et a été depuis le commencement moins une réalité pratique qu’une expérience littéraire, poétique ».

Tourisme. « Un touriste, ce qu’il peut le plus haïr dans le monde, ce sont les touristes. Les touristes empêchent le touriste de profiter confortablement de ses vacances bien gagnées et méritées ».

Ayala ne croit pas qu’il soit possible de caractériser l’âme d’un peuple, ou alors il faut le faire avec modestie et en toute conscience du contexte historique. Il cite José Antonio Maravell : « l’image de l’Espagnol à la fin du seizième siècle se caractérise par des traits de réflexion, calcul, astuce, froideur. Par sa répétition et par la qualité de certains de ces auteurs, nous devons considérer ces représentations comme stéréotype de l’Espagnol à l’époque de la prépondérance politique de l’Espagne. Il est intéressant de noter que ce qui ressemble le plus à ce stéréotype est celui de la « Perfide Albion » au temps de son hégémonie ». Et Ayala ajoute : « ce qui s’y  oppose le plus, c’est l’image de l’Espagnol chérie par le Romantisme : passionnel, sans souci du lendemain, impulsif, spontané, image que les Espagnols eux-mêmes ont assumée en cherchant à s’identifier avec ce modèle ».

Et pour finir, le récit d’une expérience simple et touchante. « Nous fûmes victimes ces jours-là d’une de ces agressions qui, en raison de leur fréquence, ne sont même plus mentionnées par les journaux. Des manieurs de poignards habiles, décidés et impavides nous dépouillèrent en un instant de tout ce que nous portions sur nous, nous laissant stupéfaits et irrités. Nous non plus, n’étions pas à l’abri. Et ainsi, puisque c’était notre tour d’être protagonistes – ou mieux protagonistes passifs – d’un épisode chaque jour  tant de fois répété, mais qui ne nous avait jamais jusque là affecté personnellement, sa réalité se fit effective, provocant en nous un épuisement confus, sans doute disproportionné à sa cause. Bien que triviale, l’expérience avait été pour nous dévastatrice. »

(Photo tirée du quotidien El País)

Euroscepticisme Tory(de)

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 Le leader Conservateur David Cameron vient d’annoncer la politique européenne de son parti. Il s’est attiré une riposte d’une clarté inattendue du Secrétaire d’Etat français aux Affaires Européennes, Pierre Lellouche.

David Cameron a annoncé le 4 novembre que son parti revenait sur sa promesse de soumettre l’approbation du traité de Lisbonne à référendum. En contrepoint de cette reculade, le leader Tory tint des propos d’un euroscepticisme torride : « plus jamais un gouvernement britannique n’autorisera que des pouvoirs soient transférés à l’Union Européenne, comme ils l’ont été par le Traité de Lisbonne, sans l’accord du peuple britannique (…) On a dit aux gens que nous allions rejoindre un Marché Commun, et il s’avéra que c’était une Union Européenne. On leur a dit qu’ils auraient leur mot à dire sur la constitution européenne, mais cette promesse n’a pas été tenue. » Il indiqua qu’un gouvernement Tory ferait voter une loi sur la souveraineté nationale garantissant que l’autorité ultime serait celle du Parlement, qu’un référendum serait organisé avant un éventuel passage à l’Euro et avant tout transfert de compétences à l’Union Européenne, qu’il chercherait à exempter le Royaume Uni du respect de la charte des droits fondamentaux et à rapatrier à Londres la législation sociale et sur l’emploi. »

Le lendemain, la Une du quotidien The Guardian titrait : « France : les Tories « autistes » châtrent la Grande Bretagne ». Il est vrai que, dans un entretien avec le journal, Pierre Lellouche, Secrétaire d’Etat français aux Affaires Européens, n’y allait pas par quatre chemins.

« Les Tories ont une ligne et ne font que répéter la ligne. Cela donne une bizarre impression d’autisme (…) C’est pathétique. Il est tout simplement triste de voir la Grande Bretagne, qui est si importante en Europe, se couper du reste et disparaître de l’écran radar. Je sais qu’ils vont revenir, mais j’espère que le voyage sera court (…)  J’ai dit à William Hague (son homologue dans le « shadow cabinet » Tory) : allez-vous en pour deux ou deux ou trois ans. Compte tenu de votre situation politique et économique, vous allez vous retrouver tout seuls et vous reviendrez. Allez-y,  faites le. C’est mon message pour eux… Vous voulez être marginalisés, allez-y. Mais c’est une perte de temps pour nous tous. »

Le parti Conservateur a quitté l’an dernier le Parti Populaire Européen de Berlusconi, Merkel et Sarkozy pour s’allier à de petites formations dont certaines flirtent avec l’extrême droite et l’antisémitisme. Sa probable arrivée au pouvoir dans les prochains mois promet des jours difficiles pour l’Europe.

(Photo Conservative Party: David Cameron and William Hague)

Guy Fawkes Night

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 Le 5 novembre au soir, c’est une explosion de feux d’artifice dans tout le Royaume Uni. Les Britanniques célèbrent la Guy Fawkes Night.

De notre appartement de Watford, la vue s’étend jusqu’au stade de Wembley à une quinzaine de kilomètres. En cette soirée du 5 novembre vers 20h, des dizaines de feux d’artifice éclairent l’horizon. Le plus proche, à quelques centaines de mètres, est artisanal et est probablement tiré d’un jardin.

C’est la nuit de Guy Fawkes, aussi appelée bonfire night, la nuit du grand feu. On célèbre l’échec de la conjuration de Catholiques qui, en 1605, avaient projeté de faire sauter le Parlement et, avec lui, le roi James I et l’aristocratie. Jusqu’en 1857, la célébration de l’événement était obligatoire. Le rite inclut des feux d’artifice, ce qui est dans la logique de l’explosif projet des insurgés, l’allumage de brasiers dans lesquels sont brûlés les effigies des conjurés, dont leur artificier Guido Fawkes, dit Guy (qui signifie « gars » en anglais), et des plats spécifiques, dont les jacket potatoes (pommes de terre en robe des champs) cuites sur les braises du bonfire.

La tradition du feu d’artifice s’est maintenant étendue à l’automne tout entier. Des feux sont allumés pour la fête indienne de Diwali, pour Halloween. Dans le parc de Cassiobury à Watford, un festival artificier est prévu pour la nuit de samedi. Et la revue de loisirs et spectacles Time Out consacre sa couverture et son principal article aux meilleurs feux d’artifice et aux pubs où se respire le mieux l’ambiance de poudre, de rébellion et de complots de la Guy Fawkes night.

(Photo du Guardian, Guy Fawkes Night à Glasgow)

Sculptures polychromiques à Valladolid

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Plusieurs pièces de l’exposition « The Sacred made Real » à la National Gallery de Londres ont été empruntées au musée national de sculpture de Valladolid. Je l’avais visité à l’été 2006.

Valladolid a connu deux périodes glorieuses. Pendant le Siècle d’Or (seizième), elle reçut souvent la Cour des rois, notamment celle de Philippe II. Cervantès vécut à Valladolid. Christophe Colomb y mourut le 20 mai 1606. La seconde a commencé il y a quelques années avec l’implantation industrielle de Renault. La ville est en plein chantier de rénovation. On restaure les monuments historiques, on crée des musées, on soigne les jardins et, fait rare en Espagne, on aménage des pistes cyclables.  Plusieurs mariages se célèbrent en ce samedi après-midi, et les convives endimanchés confèrent à la ville couleurs et élégance.

Le musée national de sculpture est aménagé dans le palais de Villema et dans le Collège de San Gregorio, dont la magnifique façade est de style « isabélin » très proche du « manuélite » portugais. Le Guide du Routard qualifie le musée de « plus émouvant de Castille ». Il constitue, avec le Couvent des Déchaussées à Madrid, un témoignage frappant de l’histoire spirituelle espagnole sous l’Inquisition, force vitale écrasée et tordue par la répression mais cependant invaincue. La collection de sculptures religieuses baroques en bois polychrome couvre les seizième, dix-septième et dix-huitième siècles.  La salle consacrée aux sculpteurs Alonso Berruguete et Juan de Juni (Jean de Joigny) contient des chefs d’œuvre : la Marie-Madeleine de Juni, le Sacrifice d’Isaac et l’enterrement de Jésus de Berruguete. L’art de Berruguete n’est pas sans rappeler celui du Greco. Pour exprimer la sujétion du corps à l’esprit, « la force du sentiment d’angoisse religieuse allonge la proportion des corps et les crispe dans une tension qui se traduit en mouvements violents et instables. Les visages la manifestent à travers d’expressions douloureuses, de bouches ouvertes haletantes et de sourcils froncés ».

Dans le même esprit baroque, le musée présente une crèche napolitaine du dix-huitième siècle, remarquable de réalisme et de détail. Deux orchestres célèbrent la Nativité. Le musée est aussi propriétaire de scènes de la passion de la même époque, qui sont encore aujourd’hui portées en procession pendant la Semaine Sainte. Nous avions vu à Ossuccio, sur les rives du lac de Côme, un Sacro Monte dont les chapelles abritaient des scènes identiques, mais en mauvais état, comme à l’abandon. Le « Paso procesional » de Valladolid a été magnifiquement restauré.