Comportements anglais

  

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C’est une approche sociologique de l’Angleterre que nous présente le livre de Kate Fox, « Watching the English, the hidden rules of English behaviour » (Hodder, 2004).

Ce sont moins les attitudes que les comportements anglais que Kate Fox, en sociologue, cherche à identifier et à interpréter. Son approche se veut expérimentale. Elle bouscule des passants et compte le nombre de « sorry » que prononcent ses victimes ; elle resquille, crime impardonnable pour un Anglais, afin de pouvoir observer les mimiques des offensés. C’est en clinicienne qu’elle attribue à ses concitoyens un « malaise social » peut-être imputable, comme au Japon, à la nécessité de coexister sur une île surpeuplée. Les Anglais réagissent à ce malaise par des réflexes : humour, modération, hypocrisie. Ils ont développé des valeurs : « fair play », courtoisie, modestie. Leurs conceptions sont teintées d’empirisme, de pessimisme et de conscience de classe.

Kate Fox passe au crible les comportements des anglais : leur conversation, qui commence invariablement par une complainte sur le temps ; leur humour et le maniement du sous-entendu (« understatement ») ; leur vie sociale au pub, dans un contexte qui les libère partiellement des inhibitions quotidiennes ; leur habitat ; leur manière de s’habiller, etc.

Sa description de l’humour anglais se cristallise pour moi en un de mes collaborateurs,  qui se trouve en état permanent de disponibilité pour l’humour. Il pratique assidument l’autodénigrement, met un point d’honneur à ne pas se prendre au sérieux, joue sans cesse des sous-entendus. « La règle du sous-entendu signifie qu’une maladie chronique débilitante et douloureuse doit être décrite comme une certaine nuisance ; une expérience vraiment horrible est bon, ce n’est pas exactement ce que j’aurais choisi ; une beauté à couper le souffle est assez jolie  ; une performance ou une réalisation exceptionnelles ne sont pas mal ; un acte d’abominable cruauté n’est pas très amical ; une erreur de jugement impardonnable n’est pas très intelligente ; l’Antarctique est assez froid et le Sahara un peu trop chaud à mon goût ; et toute personne, objet ou événement qui serait dans d’autres cultures accompagné d’un torrent de superlatifs est souvent qualifié d’agréable ou, si nous voulons exprimer la plus ardente approbation, de très agréable. »

L’auteur insiste sur un aspect de la politesse anglaise : elle ne consiste pas à s’intéresser positivement à la vie des autres, mais à éviter par-dessus-tout d’empiéter sur leur vie privée. L’habitat est caractéristique : il y a par devant les maisons adossées si typiques de l’architecture anglaise une bande de jardin souvent minuscule que l’on entretient comme vitrine, et par-derrière une bande plus profonde, peu entretenue, où l’on vit en famille ou entre amis. Le plus souvent, la maison ne porte pas de numéro, ce qui constitue un casse-tête permanent pour les chauffeurs de taxi. La maison est un château fort que protègent un pont-levis et une herse invisibles.

A plusieurs reprises dans son livre, Kate Ross revient sur les divisions de classes. Elles n’ont rien à voir selon elle avec le niveau de patrimoine et de revenu des personnes ou avec leur statut professionnel mais avec les mots que l’on emploie, une manière de prononcer, une façon d’agencer sa maison, le choix des revues que l’on laisse traîner dans les toilettes, toutes choses héritées depuis la plus tendre enfance. Elle souligne l’anxiété sociale des classes moyennes, et la relative indifférence des membres de la haute société  au qu’en dira-t-on sur leur mode de consommation.

The Power of Yes : la crise financière mise en scène

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A Londres, le National Theatre joue à guichets fermés une pièce de David Hare, « The Power of Yes », sous-titrée : un auteur dramatique cherche à comprendre la crise financière. C’est en quelque sorte le Rapport Turner porté à la scène.

Le « pouvoir de dire oui », the power of yes, fut le slogan du Crédit Lyonnais du temps de sa splendeur. Le système bancaire se sentait tout puissant, saisi dans un vertige de croissance qui lui fit oublier que la banque, c’est avant tout l’art de choisir des risques et de savoir dire non.

Ce qui s’est passé le 15 septembre 2008 avec la faillite de Lehman Brothers est vertigineux. Pendant quatre jours le système capitaliste fut en état d’arrêt cardiaque. Sans un soutien inconditionnel des Gouvernements, les guichets automatiques de banque auraient cessé de fonctionner en l’espace d’une semaine. La crise financière recèle une intensité dramatique digne des meilleures fictions. Mais comment la mettre en scène ?

David Hare, le scénariste du film « The Reader » (Le Liseur) a relevé le défi. Il a écrit en quelque sorte une pièce sur l’écriture de la pièce. L’auteur ne sait comment prendre le problème et commence par se documenter. Chaperonné par une journaliste du Financial Times, il rencontre des acteurs de la place de Londres, banquiers, chasseurs de têtes, investisseurs, traders, hauts fonctionnaires, juristes, industriels, qui l’initient à l’effet de levier, aux sub-primes, à la régulation légère, aux produits dérivés, aux hedge funds, à la titrisation et à la formule mathématique de Myron Scholes, censée éliminer le risque des marchés d’options. La pièce en ce sens est une sorte de Rapport Turner illustré, informatif et pédagogique.

Mais c’est là qu’intervient l’art du metteur en scène, Angus Jackson. Le plateau est un immense espace noir et vide. On utilise un minimum d’objets : une chaise, un tableau noir. L’animation est assurée par des écrans mobiles de grillage noir, sur lequel sont projetés l’équation de Black-Sholes, la bouche d’Alan Greenspan proférant des paroles définitives sur la sécurité du système financier, les queues de clients de Northern Rock demandant le remboursement de leurs dépôts, des écrans Reuter et le portrait de Fred Goodwin, responsable de la faillite de la Royal Bank of Scotland, traité dans le style d’Andy Warhol.

Par leur habillement, leur façon de se mouvoir et leur élocution, on croirait les personnages directement sortis de la City. Il y a des moments d’humour comme lorsqu’un des protagonistes observe, parlant des files d’attente aux guichets de Northern Rock que les Anglais ont une telle passion pour les queues que lorsqu’ils en voient une ils ne peuvent s’empêcher de s’y joindre. C’est du bon théâtre mené tambour battant, captivant, souvent drôle et parfois émouvant.

Un personnage clé de la pièce est George Soros, directeur d’un fonds spéculatif et philanthrope. Dans l’une des dernières scènes, il invite l’auteur à dîner. Le décor est somptueux avec l’Hudson et New York en arrière plan, mais aussi noir et glacial. Soros dit que ce n’est pas « business as usual », mais la fin d’une époque.

 

L’Eglise Catholique intègrera des traditionnalistes Anglicans

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Le Vatican vient d’annoncer son intention d’organiser l’intégration collective d’Anglicans dissidents au sein de l’Eglise Catholique. Au cours d’une conférence de presse, l’Archevêque de Canterbury, Rowan Williams, a estimé qu’il ne s’agit pas d’un acte d’agression. Il a toutefois admis n’avoir pas été consulté par Rome et de n’avoir été informé que tardivement.

A Rome, le Cardinal William Laveda, Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, a annoncé le 20 octobre qu’une constitution apostolique permettant aux Anglicans de se convertir collectivement au Catholicisme était en préparation. Jusqu’à présent, seules des conversions individuelles étaient admises, telle celle, spectaculaire, de Tony Blair. Il s’agit cette fois d’admettre des groupes constitués autour d’évêques et de prêtres, qui seraient autorisés à conserver des éléments de la pratique spirituelle et liturgique anglicane. Les détails de l’offre de Rome ne sont pas connus à ce stade, mais les observateurs pensent que pourrait être constituée une « prélature personnelle » dépendant directement du pape. Comme c’est déjà le cas des Uniates du Proche Orient, une adhésion à la totalité des dogmes de l’Eglise Catholique serait exigée, mais des hommes mariés pourraient être ordonnés prêtres et une liturgie propre serait maintenue.

Simultanément à cette annonce, l’Archevêque Anglican Rowan Williams et l’Archevêque Catholique de Westminster Vincent Nichols tinrent à Londres une conférence de presse commune. Rowan Williams affirma : « ce n’est pas un acte d’agression. Ce n’est pas une déclaration de défiance. C’est business as usual ». Mais la presse commente que les deux hommes étaient visiblement mal à l’aise et que Williams dut admettre qu’il n’avait pas été consulté sur cette décision majeure dont il n’avait été informé que trois semaines auparavant.

C’est donc un changement majeur qui se prépare. Il trouve son origine dans la décision du synode anglican l’an dernier d’autoriser l’ordination de femmes comme évêques. Certains mouvements traditionalistes, comme Forward in Faith (en avant dans la foi), appelé par ses détracteurs Backwards in Bigotry (en arrière dans le bigotisme), ont contacté le Vatican pour négocier leur admission dans l’Eglise Catholique. En 1992 déjà, environ 400 pasteurs anglicans traditionnalistes avaient quitté leur Eglise à la suite de la décision d’ordonner prêtres des femmes.

Il est difficile de prévoir l’ampleur de la scission à venir. On parle de 20 à 50 évêques dissidents, pour la plupart hors du Royaume Uni, et d’un nombre indéfini de prêtres et de fidèles. Dans ce pays, les envies de migration devaient être tempérées par des considérations économiques. Un pasteur anglican gagne 22.250 livres par an et est logé. Un prêtre catholique ne touche que 8.000 livres. Et cette fois, l’Eglise Anglicane n’a pas mis en place de compensation financière pour ses « objecteurs de conscience », à l’inverse de ce qui s’était passé en 1992.

Au sein de l’Eglise Anglicane, tout en dénonçant un coup bas contre l’Unité des Eglises, certains se réjouissent discrètement du départ annoncé d’une aile réactionnaire avec laquelle la coexistence devenait de plus en plus problématique.

Du côté de l’Eglise Catholique, la stratégie est claire. Il s’agit, après la réintégration d’évêques de la Fraternité Saint Pie X, dont un négationniste de l’holocauste, de consolider le bastion pour résister aux grands vents de la modernité. A ceux qui pensaient que pour adhérer à l’Eglise Catholique il fallait croire en la résurrection de Jésus et appliquer le programme des Béatitudes, le Vatican met opportunément les points sur les « i » : la ligne rouge est le statut de la femme. Une femme peut être médecin, travailleuse sociale, médiatrice ou metteuse en scène dans la vie civile. Elle ne sera jamais évêque, ni même prêtre, dans l’ordre ecclésiastique. A chacun d’en tirer les conséquences.  

 

Provocateur Gouverneur

Le Gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mervyn King, vient de lancer un brûlot dans le monde financier en réclamant la scission des banques entre une « banque de service », qui bénéficierait d’une garantie de l’Etat, et une « banque spéculative » susceptible de faire faillite.

« L’échelle impressionnante du soutien au secteur bancaire coupe le souffle. Au Royaume-Uni, sous la forme de prêts directs ou garantis et de capital, il n’est pas loin d’un trillion (c’est-à-dire mille milliards) de livres sterling, presque les deux tiers de la production annuelle de toute l’économie. Pour paraphraser un grand leader du temps de guerre, jamais dans le champ l’effort financier autant d’argent n’a été dû par si peu de personnes à un si grand nombre. Et, pourrait-on ajouter, avec si peu de réforme réelle jusqu’à présent ».

Le sommet du G20 n’avait pas non plus mâché ses mots : « là où un comportement agité et un manque de responsabilité a conduit à la crise, nous ne permettrons pas un retour à la manière habituelle de faire de la banque ».  Plusieurs séries de mesures sont en chantier. Il s’agit de construire une base de capital solide et de bonne qualité et de réduire le caractère cyclique de l’activité bancaire. On parle de règlementer les activités de marché de gré à gré. On prétend réformer les pratiques de compensation salariale, en clair les bonus, afin de réduire l’incitation à la prise de risque. On veut imposer aux géants financiers internationaux des normes prudentielles proportionnées au coût de leur possible faillite.

Voici que le Gouverneur Mervyn King joue au provocateur. Dans un discours prononcé à Edimbourg le 20 octobre, il considère que la vraie cause de la crise financière est l’irresponsabilité d’institutions financières gigantesques « trop importantes pour faire faillite ».  « Pourquoi les banques ont-elles voulu prendre des risques qui se sont avérées si nuisibles pour elles-mêmes comme au reste de l’économie ? L’une des raisons clés (…) est que les incitations à gérer le risque et accroître l’effet de levier se sont trouvées faussées par le soutien ou la garantie implicitement donnée par les gouvernements aux créditeurs des banques qui étaient vues comme trop importantes pour faire faillite ».

Le Gouverneur ne croit pas vraiment que la solution consistant à imposer aux banques un capital minimum soit totalement efficace. « Plutôt que de payer des dividendes et de généreuses rémunérations, les banques devraient utiliser leurs gains pour construire de plus grands coussins de capital. Mais plus grands de combien ? Nous ne le savons tout simplement pas. Un ratio plus élevé est plus sûr qu’un ratio plus bas, mais la fixation de n’importe quel ratio est vouée à l’arbitraire. »

Pour Mervyn King, la vraie réponse est de revenir au Glass Steagall Act qui, après la crise de 1929, avait séparé les banques de détail des banques d’affaires. Il faudrait obliger les banques à se scinder entre une banque portant les activités spéculatives et une autre consacrée au service (« utility »), c’est-à-dire dédiée à fournir aux entreprises et aux ménages un moyen de paiement pour les biens et services et à canaliser les flux d’épargne vers les investissements. Les usagers de la banque de service seraient garantis par l’Etat. Les acteurs de la banque spéculative opèreraient à leurs risques et périls ; comme n’importe quelle entreprise, leurs erreurs stratégiques seraient punies par la faillite.

Mervyn King prétend énoncer des vérités de bon sens. Il ne semble pas, pour le moment, que banquiers et politiques l’entendent de cette oreille !