En remontant en voiture de Breda à Rotterdam puis Amsterdam, le voyageur est frappé par l’activité industrielle de la Hollande. On ne compte pas les usines, visibles de loin dans le paysage de plaine. D’énormes péniches sillonnent les canaux.
Dès le dix-septième siècle, les Hollandais ont utilisé des machines pour la production et su capter l’énergie du vent pour animer des moulins.
A Zaandijk, à une vingtaine kilomètres au nord d’Amsterdam, un moulin traditionnel côtoie une usine moderne, au bord de la rivière Zaan.
Le parc floral de Keukenhof, aux Pays-Bas non loin de La Haye, est le plus grand du monde. On se trouve émerveillé par la symphonie de couleurs et de volumes, orchestrée par des paysagistes ingénieux.
Une foule immense déambule dans le vaste parc. Des milliers de photos sont prises chaque minute, dans toute les postures : visages collés, smartphone au bout du bras tendu ; visages émergents d’un massif de tulipes ; gros plan sur le pistil d’une tulipe, vision panoramique d’un massif d’amaryllis, tunnel d’une allée boisée ; photos de groupe ; photos de quelqu’un photographiant quelqu’un ; parodiant Bénabar, les petits devant, les grands derrière.
A Londres, les footballeurs du Chelsea fêtent sur la plateforme d’un autobus leur victoire en coupe d’Europe. Des milliers de spectateurs les mitraillent de photos. Ils ne sont pas en reste : eux-mêmes photographient la foule. Il ne suffit pas d’être là, de se pénétrer de l’euphorie de l’instant : il faut prendre des images, les mettre en boîte et tenter ainsi de conserver un peu de ce bonheur fugace.
A Anvers, nous visitons le musée de la photo. Une exposition rapproche les œuvres de John Burk (1843 – 1900) et de Simon Norfolk (né en 1963) sur fond de guerres en Afghanistan. Le premier avait profité de la guerre anglo-afghane de 1878 – 1880 pour s’introduire dans un pays jamais encore photographié et faire une bonne affaire commerciale ; le second a voulu dénoncer la guerre commencée il y a plus de dix ans. L’un et l’autre mettent le focus sur ceux qui habitent ce pays, des misérables de la banlieue de Kaboul à ces habitants fugaces, colosses aux pieds d’argile que sont les forces d’occupation. Cette exposition est bouleversante par la beauté des gens et des montagnes, mais aussi par la rage silencieuse qui affleure.
Nous avons eu l’occasion de passer un long week-end aux Pays-Bas. Bien que le pays soit à quelques heures de voiture de Paris ou de Londres, on ressent un profond dépaysement.
Une jeune femme roule à bonne allure sur une piste cyclable d’Amsterdam, consciente de sa supériorité cyclopédique, indifférente aux piétons et aux automobilistes. Sur sa bicyclette haute, elle emmène ses deux jeunes enfants, l’un devant, l’autre derrière.
Sur le minuscule perron d’un immeuble sur une artère d’Amsterdam, une jeune femme prend le soleil, indifférente aux regards, ou au contraire flattée de se savoir regardée. Elle joue avec son téléphone portable.
A Zaandijk, à 20km au nord d’Amsterdam, les moulins à vent se mirent dans la rivière Zaan. Ils sont devenus des objets de culte, soigneusement entretenus comme témoins d’une époque pas si lointaine, lorsque 10.000 moulins pompaient l’eau des polders, broyaient le grain et toutes sortes de matériaux. Aujourd’hui, les éoliennes fournissent une bonne partie de l’électricité du pays, et certains moulins d’autrefois sont encore actifs. Des moulins de Zaandijk se déprend une atmosphère à la fois paisible et industrieuse.
Dans le parc floral de Keukenhof, un groupe de chanteurs en costumes folkloriques interprète des chansons de marine au son de l’accordéon.
Cambridge, à une centaine de kilomètres de Watford, est l’une de nos excursions favorites.
Nous avions savouré au printemps l’an dernier, avec Michèle et Jean-Marc, un Cambridge nonchalant, à bord d’une barge glissant au fil de la Rivière Cam aux mains d’une ravissante gondolière, frayant son chemin parmi le gentil chaos des navigateurs du dimanche. Ce dimanche d’avril, il ne cesse de pleuvoir et la température ne s’écarte guère des 7°C. Bien que commencée dans une chocolaterie, la promenade avec Catherine et Philippe revêt un caractère de gravité. Nous nous émerveillons des proportions de la chapelle de Kings College, de l’exubérance végétale de sa voûte et, malgré les nuages, de la lumière de ses vitraux. Cambridge nous apparait comme un écrin de science et d’intelligence, tout en intériorité. Lorsqu’on sort, c’est discrètement, avec pour seul bruit le crissement des pneus de bicyclette sur la chaussée trempée.
Et puis, tout près du ponton des barges de la rivière Cam, nous le croisons. Il est là, sur son fauteuil équipé d’un écran d’ordinateur, reconnaissable parmi des milliers. Stephen Hawkin va s’embarquer à bord d’un monospace noir. Je suis profondément ému. Cette ville impénétrable nous révèle un joyau. Recroquevillés sous la pluie, nous nous ouvrons à la dimension de l’univers.
Plus tard, nous arpenterons l’immense cathédrale du petit bourg d’Ely, à une trentaine de kilomètres de Cambridge. Comme Chartres, Ely a été un important centre de pèlerinage. Au douzième siècle, on a construit une immense nef romane, au treizième siècle, un chœur gothique, au quatorzième, une tour lanterne. Les vitraux médiévaux sont somptueux. Deux sculptures contemporaines retiennent notre attention : la reconnaissance de Jésus par Marie Madeleine, de David Wynne, et Jésus les mains ouvertes par Hans Feisbusch, dont j’avais aimé la peinture du Baptême de Jésus dans la cathédrale de Chichester. Ely s’enracine dans le passé pour nous donner des signes à lire aujourd’hui.